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SOCIÉTÉ
DES
ANCIENS TEXTES FRANÇAIS
ŒUVRES COMPLETES
D'EUSTACHE DESCHAMPS
I.c IJuy, typographie de Marchessou fils, boulevard SaijJt-I.aureiit, 2 3
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OEUVRES COMPLETES
DE
EUSTACHE DESCHAMPS
PUBLIÉES D'APRÈS LE MANUSCRIT
DE LA BIBLIOTHEQUE NATIONALE
PAR
LE MARQUIS
DE QUEUX DE SAI NT- H I L A I R E
PARIS
LIBRAIRIE DE FI RM IN DIDOT ET O
56, RUE JACOB, 56
M DCCCLXXXVI!
Publication proposée à la Société le 24 février 1876.
Approuvée par le Conseil le 9 mars 1876 sur le rapport d'une com-
mission composée de MM. le baron de Ruble, Siméon Luce et
A. Longnon.
Commissaire responsable :
T\ fi M. Gaston Paris.
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Tiré à cent exemplaires sur ce papier
BALADES
Balades.
DCCCXXXII
Balade.
{Regrets d'avocats.)
'autrier esbanoier m'aloie a
Ou marché, bien près de Ducler ;
Si vi assez près de ma voie
D'avocas un moult grant parler b .
Dist li uns : « Je m'en veil aler; 5
Venez disner en ma maison ;
. Assez pou vous pourray donner :
Perdu avons nostre saison.
« J'ay veu, quant disner vouloie,
Uen faisoit presens présenter; 10
De prendre le desdaing faisoie.
i. près du ducer.
a. J'allais m'amuser. — b. Assemblée.
T. V ,
2 BALADES
Nul ne daingnoie l déporter;
Les nobles faisions deffubler a
Et tout oster leur chapperon ;
1 5 Or ne nous daingnent regarder :
Perdu avons nostre saison.
« L/argent ont que avoir souloie, 21 7 a
Dont il me fauldra recouper b.
Du leur treslargement vivoie ;
20 Or fault la dance retourner,
Qu'aeulx me fault gaige tourner
Et estre en leur subjection,
Et si n'osons un mot sonner :
Perdu avons nostre saison. »
DCCCXXXIII
Balade.
(77 faut être bien portant pour plaire.)
Povre signe est que d'avoir mal es rains,
Plaindre son doux c et devenir goûteux,
Mal es costez et avoir chaudes mains
Et de sentfr quant le temps est pluieux ;
Telz signes ne valent rien ;
Car qui devient tel astronomien
Et de certain il 2 scet quant il plouvra
I, daingnoit. — 2. il manque.
a. Décoitïer. — b. Retrancher.— c. Dos.
BALADES 0
Pert ses amours, toute joye et tout bien :
Jamaiz dame forment a ne l'aimera.
Car de doleur procèdent tous ses plains : 10
Se plouoir doit, il devient 1 angoisseux ;
S'il s^est armé, es lieux ou fu attains
Des cops se deult qui le font dolereux;
Lors le fault vivre du sien
Et visiter par le fisicien b i 5
Qui medicine ou puison lui donrra;
Lors dit Amours : « De li cure ne tien » 2;
Jamaiz forment dame ne l'aimera.
Seuffre tes maulx, l'en ne veult que gens sains
Et qui soient puissans et vertueux, 20
Juenes, jolis, de toute joye plains,
Trippens c, saillans d comme est uns escuireux e;
Et se Tomme est ancien,
Voist conceiller et soit saint Julien 3,
Et le juene non goutteux poursuira, 25
Car se saint Mor l'agrippe 4 en son lien,
21 7 & Jamaiz dame forment ne l'aimera.
1. plouuoir dont il vient. — 2. curer te tien.— 3. saint julian.— 4 sant mort
la trippe.
a. Beaucoup. — b. Médecin. — c. Dansant. — d. Sautant.
e. Écureuil.
BALADES
DCGGXXXIV
Autre Balade.
(Contre le mal de dents.)
Aucuns dient : « Grant peine est de veiller,
D'avoir tierçaine ou lièvre tout a fait,
Ou mai ou ventre, ou d'estre prisonnier,
D'avoir goûtes de quoy Ten crie et brait,
5 Ou gehinez estre pour son merïait. a »
Maiz c'est tout riens au regart que je prens :
Il n'est doleur fors que l le mal des dens!
Tel meschief n'a femme pour travailler b,
Mal de teste telle doleur ne fait,
10 Car on ne puet ne boire ne mangier,
Mais fault crier mal gré que Ion 2 en ait;
On ne pourroit pis avoir par souhet;
Qui a tel mal plus est que hors du sens :
Il n'est doleur fors que l le mal des dens.
i 5 On ne pourroit dormir ne sommeillier;
Qui tel mal a mainte maie nuit trait,
Quant il espoint c, il convient erragier d ;
La joe enffle, li viaires défiait,
Et d'en garir ont pluseurs moult de plet e,
20 Qui tout gastent quant il couchent dedens :
Il n'est doleur fors que 3 le mal des dens.
i que fors. — 2. l'on mangue. — 3. que manque.
a. Etre torturé pour sa faute. — b. Accoucher. — c. Quand il pi-
que. — d. Enrager. — e. De peine.
BALADES
DCCCXXXV
Balade \
(// ne doit plus s'appeler Eustache, mais Brûlé
des Champs.)
j
e fu jadiz de terre vertueuse,
Nez de Vertus, le paiz renommé
Ou il avoit ville tresgracieuse
Dont li bon vin sont en maint lieux nommé ;
Jusques a cy avoit mon nom nommé, 5
Eustace fu appelle dès enfans;
Or sui tous ars, s'est mon nom remué a :
J'aray desor a nom Brûlé des Champs.
Dehors Vertus ay maison gracieuse
Ou j'avoye par long temps demouré, 10
Ou pluseurs ont mené vie joyeuse,
21 7 c Maison des champs l'ont pluseurs appelle ;
Mais, Dieu merci, toute plaine de blé,
Ont les Angles le feu bouté dedens ;
Deux mille frans m'a leur gerre cousté : 1 5
J'aray desor a nom Brûlé des Champs.
Las ! ma terre est destruitte et ruyneuse ■ b, '
Je suis désert, destruit et désolé;
Fuir m'en fault, ma demeure est doubteuse,
Se 2 je ne sui d'aucun reconforté; , 20
' Publiée par Crapelet, p. i.
I. rayneuse — 2. Se manque.
a. Changé. — b. Ruinée.
BALADES
Ainsi seray de mon lieu rebouté,
Comme essilliez a, dolereux et meschans,
Se mes seigneurs n'ont de mon fait pitié :
J'aray desor a nom Brûlé des Champs.
DCCCXXXVI
Balade.
[Sur le désastre de la ville de Vertus.)
Se vous voulez veoir grant povreté,
Pays destruit et ville désertée l,
Murs ruineux ou le feu a esté,
Povre logis et gent desconfortée,
5 Droit a Vertus est la chose esprouvée;
Vous y aurez povres lis et ors b draps,
Et pour chevaulx dolereuse livrée :
Pour ce te pri, gardes bien ou tu vas !
Les murs chéent, c'est trestout tempesté,
10 Mauvaiz y fait, c'est périlleuse alée.
Li Angles ont par tout le feu bouté;
A poines yert de nul temps relevée c,
Et s'ont en eulz aucun 2 maie goulée
D'autruy parler et de faire debas,
i5 Dont la ville est 3 de pluseurs moins amée :
Pour ce te pri, gardes bien ou tu vas !
i. déserte. — 2. aucune. — 3. est manque.
a. Dépeuplée.— b. Sales.— c. Elle ne sera relevée de longtemps.
BALADES 7
Le terroir yert désormais déserté,
On ne tendra compte de la vinée a,
Car il sera mal fait et labouré
Et si l yra par tout la renommée : 20
L'en paiera mal ceste première année;
217 d Telz parloit haut cfon fera parler bas,
Ainsi sera la ville anichilée :
Pour ce te pri, gardes bien ou tu vas !
DCCGXXXVII
Balade.
(Les hommes d'armes sont seuls estimés.)
Qui ne chevauche et qui n'est bien montez,
Qui ne poursuit et qui n'a grant estât,
Bassinet nuef et tout entier armez,
Et qui ne va la 2 ou l'en se combat,
Chascun dit qu'il ne vault rien: 5
C'est uns chetifs qui espargne le sien ;
Oncques ne vit sachier du fuerre espée • ;
Maiz se pluseurs s'avisassent tresbien,
Ja ne deissent sur autrui tel 3 goulée.
Pluseurs y vont qui en sont endebtés, 10
Qui de paier font souent grant débat
Et en la fin en sont déshéritez,
1 . si manque. — 2 la manque. — 3. telle.
a. Vendange. — • b. Tirer l'épée du fourreau.
8 BALADES
Et se portent leurs besongnes de plat ;
De telz gens compte ne tien,
1 5 C'est droictement un va tost et revien
Sur povres gens qui composent Tannée;
Maiz s"*il sceussent qu'ont fait li ancien,
Ja ne deissent sur autrui tel > goulée.
S'uns homs ne va, est il donc reboutez,
20 Destruire autrui 2, grever et faire mat,
Et acquérir mille péchez mortelz
Ou nulle honeur maintes foys ne s'embat?
Nennil; mieulx li vaurroit bien
Vivre envers Dieu, comme vray crestien,
25 Que faire mal pour avoir renommée.
S'aucuns seussent ce mot, or le retien,
Ja ne deissent sur autrui tel 8 goulée.
DCCCXXXVI1I
Balade.
(Raillerie sur une dévote.)
Haro! dame, souffrez que l'en vous voye !
Vous me semblez trop précieuse chose ;
Maiz sans vo gré approucher n'oseroye
Si doulx saffir ne si 4 vermeille rose; 218 a
Trop est hardiz qui atouchier vous ose;
Vous n'estes pas de manière amoureuse :
;. telle. — 2 Autrui destruire. — 3. telle. — 4 si manque.
BALADES 9
Haro! haro! est ce bien, gracieuse?
Qui vous verroit aler parmi la rue,
Jhesu semblez dedens vostre habit close ;
Vous parlez bas afin qu'on ne vous oye, 10
La trinité est dedens vous enclose ;
Par saint Trotin, homme regarder n'ose,
Car homme voir est chose périlleuse :
Haro! haro! est ce bien, gracieuse?
Toudiz plourez, nulz temps ne faictes joye, i5
Ne vostres cuers fors en Dieu ne repose;
Si fait grant bien qui un po vous resjoye,
Et quant a moy je tesmoingne et suppose
Que qui feroit avec vous longue pose
Que vous seriez un po bien l amoureuse : 20
Haro! haro! est ce bien, gracieuse?
DCGCXXXIX
Autre Balade.
(L'habit ne fait pas le moine.)
Telz fait souvent bien le religieux
Et telle fait aussi la Magdalaine,
Portans cotes et habis marmiteux *,
Qui ont toudiz aussi verde la vayne b
1 . bien manque.
a. Humbles, modestes. — b. Le sang aussi vif.
10 BALADES
5 Que de telz gens mènent vie mondaine,
Combien qu'aucuns l dient de tel et telle :
« Cest droitement Jhesus sur une pelé a. »
Devant les gens font sy le gracieux
Qu'a paine ist il de leurs corps poux n'alayne b,
10 Maiz ce font il comme malicieux;
L'en çongnoist mal le mouton a la layne ;
Tel malice leur voulenté amayne
A leur effort; rouges sont dessoubz l'ele c:
Cest droitement Jhesus sur une pelé.
i5 De telles gens dist nostre sire 2 Dieux,
Quant on les voit vestus de pel humaine,
Gomme brebis faisant 3 le précieux, 218 b
Que bonne euvre n'est pas en eulx certaine ;
Faictes leurs diz , maiz nulz leurs faiz ne praigne,
20 Car qui les voit a leur couleur mortelle,
C'est droitement Jhesus sur une pelé.
D
DCCCXL
Balade.
Un de perdu, deux de retrouvés.)
ieux, que je suis dolente et esbahie
Comme je voy sans cause mon ami
i. que aucuns. — 2. messire. — 3. faisons.
a. Sans doute : sur une patène. — b. Le pouls ni l'haleine.
c. Rusés, métaphore prise sans doute de la fauconnerie.
BALADES i I
Desloyaument faire nouvelle amie,
Qui dès long temps s'estoit donné a mi,
Et il se part l et m'a du tout guerpi 5
Sens dire adieu, li desloyaulx prouvez !
Maiz j'en reprends 2 bon reconfort aussi :
Pour un perdu j'en ay deux retrouvez !
Qui loyaulx est en l'amoureuse vie
A poine ara jamès joye de lui, 10
Maiz qui y ment et sert de tricherie,
Il est amé, comme a esté cellui
Qui en mentant m'a de tous poins failli.
Bien est par moy faulx amensesprouvez ;
Courcée en sui, or m'en conforte 3 ainsi : i5
Pour un perdu j'en ay deux retrouvez !
Voist donc a Dieu, par ma faulte n'est mie 4.
Pour ce, dames, a toutes voussuppli 5
Que vous servez de la nappe ployé a
A ces 6 amens qui font sy le joly; 20
Piz leur ferez, mieulx arez, je vous dy,
Et plus servans tousjours les trouverez 7.
D'Amours me plaing, maiz au fort, Dieu merci,
Pour un perdu j'en ay deux retrouvez !
1. départ. — 2. reprendre.— 3 reconforte. — 4. trayc. — î>. supplie. —
. Assez. — 7. trouverrez.
a. Locution signifiant sans doute : que vous rendiez la pareille,
ou bien : que vous fassiez des tours d'escamotage.
12 BALADES
DCGCXLI
Autre Balade.
{Sur une ordonnance du Roi.)
Oez, oez l'ordenance du roy,
Vous qui avez a son père servi ;
Soyez aise se vous avez de quoy :
Tous vous retient, ne soyez esbahis !
5 Vous aurez tuit bouche a court, 218 c
Maiz l'en vous fait d'avoir gaiges le sourt a,
Et si n'arez rien pour fourbir vos dens
Fors bouche a court, senz riens mettre dedens.
Establi est a la court comme loy
10 Que viel servant ne soyent conjoy b ;
Ainsi l'ont dit l li ancien, se croy,
N'oncques encor meilleur règle ne vi.
L'un s'en fuit et l'autre acourt :
Ainsins le prix de l'un a l'autre court c,
i5 Qui ne départ ilec a povres gens
Fors bouche a court sens riens mettre dedens.
Li viel servant eurent riche conroy,
Que li présent estoient apovri ;
Or est li temps retournez, que je voy,
20 Que des derrains d sont li premier bany;
Ainsi leur gloire decourt,
1. dit manque.
a. La sourde oreille. — - b. Caressé. — c. Aussi le bénéfice passe
de l'un à l'autre. — d. Que par les derniers.
BALADES 1 3
Dont se paigne u ou le leur nés secourt b,
Li viel l n'auront desormès, hors ne ens,
Fors bouche a court sens riens mettre dedens.
DGCGXLII
Balade.
{Allégorie.)
Je fu jadiz emprisonnez
En la tour Dangier le villain,
Pour ce que trop énamourez
Fu de la tresbelle que j'ain.
La m'assailli Honte et Desdain 5
Et Faulx Semblant li ypocrites,
Maiz je leur respondi le plain :
« Mes seigneurs, j'oy bien que vous dites. »
Par eulx fu lors interroguez ;
A moy mirent de fait la main io
En disant : « Voir confesserez,
Vueilliez ou non, hui ou demain.
Dire vous faultles démérites. »
Adonc leur diz : « Je ne vous crain,
2i8d « Mes seigneurs, j'oy bien que vous dites. » i5
Lors furent il tuit forcenez
Et virent que f n'i fait pas sain,
i. 11. — 2. qui.
a. Ce mot paraît altéré. — b. Ou leur peigne bien ne les aide.
14 BALADES
A mon conseil estoit Pitiez
Et Raisons disans : « Toy refrain *,
20 Laisse dire, sache ton frain b,
Lors seras de ta prison quittes.»
Si les aux c, disans ce refrain :
« Mes seigneurs, j'oy bien que vous dites. »
DCCCXLIII
Autre Balade.
(Sur les différentes manières de rire.)
Avoir ne puis trop grant merencolie
Des ris que font au jour d'ui mainte gent
L'un rit des yeux et en riant colie d
Et l'autre rit qui ne passe le dent ;
5 Li autres rit si tresorriblement
Qu'il semble folz, tant li siet son ris mal
Que se semble le ris d'un cardinal.
Aucuns si ' font un riz d'ipocrisie,
io Combien qu'il n^nt de rire nul talent ;
Et l'autre rit, qui ne se mocque mie,
Du bon du 2 cuer, pour quelque esbatement ;
Aucuns y a qui rient francement,
Et l'autre rit qui a joye du mal;
i. si manque. — 2. du manque.
a. Retiens-loi. — b. Tiens-toi en bride. — c. Je les laisse.
d. Tend le cou.
BALADES 1 5
Des oreilles rit aucuns tellement 1 5
Que se semble le ris cTun cardinal.
Senz cause rit aucuns par sa folie,
Qui de rire n'a certain mouvement ;
L'autre est joyeux qui a plaine voix crie
Et qui le fait sans mau^aiz pensement ; 20
Et l'autre rit maiz traiteusement,
Car son ris vient de parfont et d'aval a ;
Pour ce en tel cas dit on communément
Que ce semble le ris d'un cardinal.
DGCCXLIV
Autre Balade.
[Sur les différentes manières de manger.)
T
ristes, pensis, mas b et mornes estoye
Par mesdisance et rappors de faulx dis
21 g a A une court royal ou je dinoye,
Ou pluseurs gens furent a table assis;
Maiz oncques mais tant de nices c ne vis 5
Que ceulx firent que Yen veoit mengier.
D'eulx regarder fu de joye ravis :
Oncques ne vi gens ainsi requinier d.
Li uns sembloit truie enmi une voye e,
a. Tiré de loin et d'en bas — b. Affligé. — c. Grimaces.
d. Rechigner. — e. Au milieu d'une route.
I 6 BALADES
io Tant mouvoit fort ses baulifres a toudiz ;
L'autre faisoit de ses dens une soye fc,
L'autre mouvoit le front et les sourcis ;
L'un requignoit, l'autre torcoit son vis c,
L'autre faisoit sa barbe baloier d,
i5 L'un fait le veel, l'autre fait la brebis :
Oncques ne vis gens ainsi requignier.
D'eulx regarder trop fort me merveilloye,
Car en mâchant sembloient ennemiz e;
Faire autel l'un com l'autre ne veoie,
20 L'un machoit gros, l'autre comme souriz ;
Je n'oy oncques tant de joye ne ris
Que de veoir leurs morceaulx ensacher f.
Or y gardez, je vous le l jure et diz :
Oncques ne vis gens ainsi requignier.
l'envoy
25 Princes, qui est courroussez et pensis
Voist gens veoir qui sont a tabte mis :
Mieulx ne porra sa tristesse 2 laissier;
Des grimaces sera tous esbahis
Que chascun fait; j'en fu la bien servis :
3o Oncques ne vis gens ainsi requignier.
i. le manque. — 2. trisse.
a. Lèvres. — b. Scie. — c. Contorsionnait son visage. — d. Se
répandre, s'étaler. — e. Diables. — /. Faire disparaître. .
BALADES i 7
DCCCXLV
Autre Balade.
[Doléances de la ville de Vertus)
G
uerre me font tuit li .mi. élément,
Les dieux de l'air, de feu, d'eaue et de terre :
Mars me destruit par son embrasement
21 g b Et Saturnus par froit me vient requerre,
Cerès mes blez acravante et atterre a 5
Et mes vingnes a destruictes Bachus;
Jupiter pleut, qui de grésil m'enserre b :
De tous ces l maulx est servie Vertus.
Arse c ay esté toute generalment
Par ceulx de Bruth, de l'ille d'Angleterre, io
Puis m'a forgé foudres espessement
Vulcans 2 d li dieux ; contre moy Fortune erre
Tant que ne sçay fruis, blez ne vins enquerre;
Mes noms est trop arrebours entendus,
Chascuns me fuit ; qui bien en veult en querre, 1 5
De tous ces ] maulx est servie Vertus.
Vertus n'est pas; on m'appelle autrement :
Confusion, s'en est la droitte serre;
Fermer me vueil, maisonner ensement
Et n'ay de quoy, ne riens ne puis acqucrre : 20
Autre place me convandra conq uerre
1. ses. — 2. Vultons.
a. Ecrase et renverse.— b. M'accable. — c. Brûlée.— d. Vulcain.
T. V 2
I 8 BALADES
Et autre nom, le mien est confondus;
Deserre a suis et chascun me fait guerre :
De tous ces maulx est servie Vertus.
l'envoy
25 Prince !, et vous, dieux et déesses, de gent
Qui les fourmes muez complètement 2
Gomme jadiz fu mué Antheus,
Muez mon nom et ostez mon tourment;
Biens me deffuit *, Atropos nVentreprent :
3o De tous ces maulx est servie Vertus.
DCCCXLVI
Autre Balade.
( Utilité de l'écriture . )
Quelz choses sont c'on doit plus honorer
Et dont chascuns doit plus grant compte fai re,
Qui font les gens de la mort respirer c,
Qui font paier et remerir salaire, 21g c
5 Qui font l'argent de maint paiz attraire,
Et 3 qui nous font 4 a la foy estre enclin?
Ce sont quatre 5, qu'en ce ver vous declaire :
1. Princes.— 2. complètement manque. — 3. Et manque. — 4. fait. —
5. quatre manque.
a. Désertés. — b. Tout bien me fuit. — c. Différer, se donner du
répit.
BALADES 1 9
Ancre, cire, pappier et parchemin.
Quant aucun va mourdrir a autre ou tuer,
Chartre lui faut, vers la court se doit traire ; 10
Et si convient pour finance lever
Ancre et pappier, autel b pour sattisfaire ;
Et la loy faut escripre a .1. libraire,
Car autrement tost yroit a déclin;,
Pour guérir fault, dont je ne me puis taire, 1 5
Ancre, cire, pappier et parchemin.
Donc doit chascuns la brebis bien l louer,
Et viez drappiaux c ne lui doivent desplaire ;
Les mouchetés d font les lettres sceler,
L'ancre les fait assevir e et pourtraire ; 20
S'on vous doit riens /, l1en dit au secrétaire :
« Délivrez moy, trop me fait de hutin. »
Lors arez vous tout 2 ce qui vous doit plaire :
Ancre, cire, pappier et parchemin.
l'envov
Prince, au jour d'ui voit on tout tribouler S", 25
Et 3 je n'i voy nul remède trouver
Fors que lettres qui vont par le 4 chemin ;
Maiz quant au fort, qui veult guerre mener,
Ne 5 li fault rien 6 autre chose ordonner
Qu'ancre, cire, pappier et parchemin. 3o
1. bien manque.— 2. tout manque.— 3. Et viatique.— 4. le manque — 5. 11.
— 6. bien.
a. Assassiner. — b. Autant. — c Vieux linges. — d. Les petkes
mouches à miel qui font la cire. — e. Accomplir. — /. Quelque
chose. — g. Bouleverser.
20 BALADES
DCCCXLVII
Balade.
(Pourquoi Dieu a-t-il mis un grand cœur dans un corps
chétif ?)
J'ay povre corps et bonne voulenté,
Cuer de bien faire en vérité enclin i,
Dont petit puis pour ma grant povreté
Et pour le corps qui poi puet de hutin : 21 g d
5 Mes le cuer est a toute honneur enclin,
Qui de mon corps a tous se plaint et tanse
Et dit partout au soir et au matin :
Pourquoy mist Dieux grant cuer en povre pense?
Trop me merveil ce qu'est 2 ne qu'a esté,
10
Car leur grandeur est droite orribleté b
Quant on les voit aler par le chemin,
Maiz leur queue mettent comme un mastin
Soubz leur 3 jambes, qui rumeur leur commande.
1 5 J'enrage lors comme fol 4 acquarin c :
Pourquoy mist Dieux grant cuer en povre Dense?
Dont puet venir a grant corps lascheté
Et au petit si courageux destin?
Que n'achascuns droicte proprietté?
I. enclin manque. — 2. ce qui est. — 3. leur manque. — 4. fol manqua.
a. Il devait, dans ce vers, être parlé des Anglais. — b. Horreur.
— c. Voué à saint Acaire.
BALADES 2 1
Veoir ne puis en ceste chose fin. 20
Se cuer eust corps, je fusse palatin > ;
Se corps eust cuer, ainsi con je le pense,
Tout alast bien, maiz tout va a déclin :
Pourquoy mist Dieux grant cuer en povre pense ?
DCCCXLVilI
Autre Balade.
[Pourquoi Dieu a-t-il mis un petit cœur dans un grand
corps. )
Se grant corps eust cuer en hastivité a,
Grous et félon, mains fussent orphenin
Et li petis feussent trop reboute' :
Pour ce est moyen entre ces deux afin b .
L'en voit souvant ploier le hault sapin, 5
Mes le buisson ne se ploie a nul fuer c,
Ains pique et point trop plus que le 2 grant pin :
Pour ce mist Dieux en gros corps petit cuer.
Li petit sont pour leur cuer rebouté d,
Plus tost muevent que roe de moulin ; 10
Maiz pour leur corps ont peu de poesté e,
Et li grant sont de débonnaire engin ;
20 d Leur lasche cuer ployent com 3 jong marin,
I. platin. — 1. le manque. — 2. comme.
a. Vivacité. — b. Allié. — c. A aucun prix. — d. Repousses. —
Puissance.
2 2 BALADES
Tart se muevent, paour ont, crainte et pleur;
i 5 S'autrement feust, tout meissent ■ a fin.
Pour ce mist Dieux en grant corps povre cuer.
Li petit ont leur sanc plus aprestéa,
Car leur membres sont prez du cuer voisin ;
Pour c'est plus tost devers le cuer monté
20 Que des grans corps qui ont cuer de poussin ;
Des membres vient leur sanc par long chemin,
S'ont mouvement plus tardif par defuer 6,
Dont je concluz par ces moyens et fin :
Pour ce mist Dieux en grant corps povre cuer.
DCCCXLIX
Balade.
{Injures contre une femme.)
J'ain par amours la plus belle figure
Que nulz homs puist de ses yeux regarder ;
Courte et grosse est, et s'a la danteure 3,
Groin et cheveux con hure de saneler 3,
Barbe ou manton c; elle me fait trambler
Quant de ses yeux gros et noirs me regarde.
Maiz se semble le dyable a son parler :
Je prie a Dieu que mal feu d'enfer Tarde.
I. missent. — 2. danture — 3. sanglier.
a. Vif. — b. Par dehors. — c. Barbe au menton.
BALADES 2 3
Court a le col et gros a desmesure,
Maiz des tettes se ' scet bien acemer a : 10
Troiz piez en a, qui a droit les mesure,
Jusqu'es jambes 2 li voit on avaler b ;
Elle en a bien pour un roucin maler c,
Trippes d'un buef semblent, qu'y poet garder 3 d\
Nez a camus c'on sent a alener : i 5
Je pri a 4 Dieu que mal feu d'enfer Tarde.
Courte eschine a, ventre plain de présure,
Qui toudiz bruit que e tonnoirre ou 5 escier,
Cul de jument, et 6 trumeaux /plains d'enfleure,
Piez de crapaut, bras qu'on ne doit seler, 20
220 b Rons, cours et gros; ne s'en puet acoler
Ne de ses mains; pesans est et felarde Ê*
Onques ne fust faicte que pour rouler :
Je pri a 4 Dieu que mal feu d'enfer Tarde.
Q
DCCCL
Autre Balade.
[Un serviteur fait son éloge.)
ui a 7 mestier d'avoir un bon servant?
Juenes homs suis, aprestés de servir.
1. se manque— 2. Jusques es jambes. — 3. qui bien y poet garder. — ' 4. a
manque. — 5. en. — 6. et manque. — 7. Qui cncques a.
a. Elle sait bien parer sa poitrine. — b. Descendre. — c. Char-
ger. — d. Si on y regarde. — e. Plus que. — /. Jambes. — g. Pa-
resseuse.
24 BALADES
— De quoy sers tu? — Je suis bien chevauchant,
Je sçay trancher, moy en cuisine offrir,
5 Maie trousser et au besoing pestrir,
Garder chevaux et une chambre tendre,
Je sçay pignier, un lit faire et fournir ;
Nulx, Dieu mercy, ne me scet riens aprandre.
Je sçay aler et parler entre gent,
10 Compter, getter a, le mon maistre b tenir,
Faire ses fraiz, gouverner son argent,
Escripre assez pour mon fait soustenir,
Rendre compte sanz le sien retenir,
Songneusement a sa besongne entendre;
i5 De ce me puet bien laissier convenir c :
Nulx, Dieu mercy, ne me scet riens aprandre l.
Je couche tart, je suis si diligent
Que je n'en puis reposer ne dormir,
Je descouche d devant soulaii levant,
20 Tousjours sui prest, oncques ne vueil mentir,
On me puet bien 2 ses consaulx descouvrir,
Je suis preudon sans riens de Tautrui prendre.
— Je te retien. — Et je vueil obbeir :
Nulz, Dieux mercy, ne me scet riens apprendre.
i Nulx dieu mercy etc. — 2. bien manque.
a. Compter avec des jetons. — b. Les affaires de mon maître.
— c. Il peut bien me laisser arranger tout cela. — d. Je me lève.
BALADES 2b
0 c /^^\ui a l
V^Jeus
DCCCLl
Autre Balade *
(Même sujet.) .
220 c f~\m a l mestier d'avoir un bon servant ?
eusnes homs suis, aprestezde servir.
— lJiTquoy sers tu? — Je suis bien chevauchant,
Je sçay tranchier, moy en cuisine offrir,
Malle trousser et au besoing pestrir, 5
Garder chevaulx et une chambre tendre,
Je sçay pigner, un lit faire et fournir;
Nulz, Dieu merci, ne m'en scet rien aprendre.
Je sçay aler et parler entre gent,
Compter, getter, le mon maistre tenir, io
Faire ses fraiz, gouverner son argent,
Escripre assez pour mon fait soubstenir,
Rendre compte sanz le sien retenir,
Songneusement a sa besongne entendre ;
De ce me puet bien laisser convenir : 1 5
Nulz, Dieux mercy, ne m'en puet rien aprendre 2.
Je couche tart, je suis si diligent
Que je n'en puis reposer ne dormir,
Je descouche devant souleil levant,
Tousjours sui prest, onques ne vueil mentir, 20
' Même balade que la précédente. Un autre copiste a commencé avec cette
page. C'est par erreur, sans doute, qu'il a reproduit la ballade déjà copiée
que nous réimprimons à cause des légères variantes qu'elle présente.
1. Quiconques a. — 2. ne men puet reprendre.
20 BALADES
On me puet bien ses consaulx descouvrir,
Je suis prudoms sanz riens de l'autrui prendre,
— Je te retien. — Et je vueil obéir :
Nul, Dieux mercy, ne me scet rien aprendre.
DCCCLII
Balade.
{Défauts d'un varlet.)
J'ay un varlet, qui le vouldroit louer.
Que son pareil ne trouveroit on mie.
— De quoy sert il? — De boire et de jangler a;
Il het chevaulx; ne leva en sa vie
5 Sanz lui trois foiz appeler.
En cuisine ne scet un oeuf peler,
Non pas servir lui meismes a la table,
Mais il scet bien viande demander.
— Je n'en vueil point; varletsoit ilau diablel 220 à
10 — Ba ! si ferez ; il ne ' met a lever
En trestous temps plus de lieue b et demie,
N'il n'est homme qui le feist haster
Que sa teste ne fust avant pignie ;
S'on ne le 2 laisse aprester,
i5 Tout a par li sanz venir 3
I, sc. _ 2. le manque— 3. La rime manque; les deux vers \3 et i\ sonl
écrits eu un seul.
a Babiller. — b Heure.
BALADES . 27
Fors au disner, la est il servissable a
Pour desservir souvent sanz commander.
— Je n'en vueil point; varlet soit il au diable!
C'on t'en oie : scet il lire ou chanter
Ne escripre chose que Ten lui die? 20
— Certes, nenil; mais bien scet murmurer
Et esmouvoir riote a la mesnie b ;
Trousser ne veult ne maler c,
Chambre fournir ne cheval estaler <*,
Car il se tient pour varlet honourable. 2 5
Vous ne pouez nul meilleur recouvrer.
— Je n'en vueil point, varlet soit il au diable !
DCCCLIII
Autre Balade.
(Une dame se plaint de la jalousie de son mari.)
La fièvre quarte et la double tierçainne,
Le mau saint Leu e et le saint Matelin/,
La rage es dens, ou chief goûte, migraine,
Les tranchoisons du ventre et Tavertin r,
La goûte es flans et le mau saint Quentin s 5
Puist il 2 avoir qui mari me donna,
1. et de lauertin. — 2. il manque.
tf. De bon service. — b. Faire naître une dispute parmi les gens
de la maison. — c. Faire un paquet ou une valise. — d. Mettre un
cheval à l'écurie. — e. Epilepsie. — /. Folie. — g. Hydropisie.
2 8 BALADES
Et le gros mal a au soir et au matin,
Et panduz soit qui ainsi m'assena!
D'ydropisie ait il la pance plaine,
10 Thisiques soit et éthiques en fin,
La gravelle ait .xvin. foiz la sepmaine,
Esquinance, soit son corps palasin bt
De saint Fiacre puist estre pèlerin
Et de saint Mor qui par goûtes fîna,
1 5 Et a tous mauls soit offert et enclin 221 a
Et panduz soit qui ainsi m'assena !
Honteuse mort lui soit briefment prochaine!
Car mon baron nVest trop cruel voisin;
Je n'ose aller en bois, ville ne plaine,
20 Dancer, chanter, manger, boire de vin,
Que le villain, a guise d'un mastin,
Ne m'abbaie, crians : « Que fais tu la? »
Perdue suis, maudis soit, sy deffin c,
Et pandus soit qui ainsi m'assena !
l'envoy
25 Princes, qui a franchise en son demaine rf,
Se saiges est, ja ne le guerpira e.
Vray mari ai l qui me fait trop de paine,
Et panduz soit qui ainsi m'assena !
i.ai manque.
a. Le mal caduc. — b. Paralytique.— c. Ainsi je finis. — d. Qui
est libre. — e. Abandonnera.
BALADES 29
DGGGLIV
Autre Balade.
SUR LES MANDEMENS DU ROY
Puisqu'il me fault aler au mandement
Ou mois cTAoust et en Septembre aussi,
En un pais ou n'a blez ne nomment,
Vigne ' a gaster ne fruis, j'avise yci
Que four me fault, moulin, bief autressi, 5
Grange, grenier pour trousser a derrier moy,
Cave et celier; je vueil aler garny :
. En cel estât puis bien servir le roy.
Or me convient porter hébergement b
Pour reposer quant seray endormi, 10
221 b Draps a couvrir, chars et vaissellement c,
Harnois entier contre mon ennemi;
Se tout ce n'ay, je suis mort a demi,
Comme Rolant languiroie de soy;
Mais se j'ay foing et avoine emprès mi, 1 5
En cel estât puis bien servir le roy.
S'un sommier d puet tout porter prestement,
Du voyage gaires ne m'esbahy,
Car je vivray en ce cas largement
Et trestous ceuls qui le feront ainsi, ■ 20
1. Vignes.
a. Porter sur mon cheval.— b. Tente. — c. Vaisselle. — d. Une
bête de somme.
3o BALADES
S'autre bien n'ont, veu qu'argent est failli
Et que les fors tiennent tout soubz leur loy ;
Quoy qu'on die, je seray desconfi :
En tel estât puis bien servir le roy.
l'envoy
25 Prince, qui veult en yver mener gent
Doit moult doubter le grésil et la nov a:
Mais quant au fort, se j'ay or et argent,
En tel estât puis bien servir le roy.
DCGCLV
Autre Balade *.
Conseil de ne pas se rendre aux mandements. )
[i386-i3S7.]
On dit qu'eschaudez yaue ciaint,
Poissons batu fuit le fille h,
Et cerf qui a esté empaint c,
Et chaz qui a le cul brûlé ;
Mais de ce sont trop aveuglé
Pluseurs qui vont aux ma n démens
Dont ilz sont destruit et gasté : 221c
G'y renonce; a Dieu les commans d\
* Publiée par Tarbé, tome I, p. gx.
a. La neige. — b. Filet- — c. Poursuivi, chassé. — i. Je les re
commande à Dieu.
BALADES 3j
Maint seignour cscrivent a maint,
Qui souvent en sont taboulé a : 10
« Soiez a nous, et ne remaint,
A ce jour monté et armé,
Et vous ne serez ja moqué;
Pour moys arez quatorze frans,
Chevalier .xxx., est ce vo gré> » i5
G'y renonce; a Dieu les commans! .
Car maint homme de ce se plaint,
Qui en est povre et endebté,
Dont il n'est ne 1 saincte ne saint
Qui n'en soit sanz cause blasmé ; 20
L'en n'a croix 6, s'est contremandé,
La pert on chastelet despens :
Voist qui veult, j'en suis retourné :
G'y renonce; a Dieu les commans!
l'envoy
Princes, qui d'aler la se faint, 2 5
Considéré les contremans c,
Saiges est ; si dy comme abstraint d :
G'y renonce ; a Dieu les commans !
1. ne manque.
a. Bouleversés. — b. Argent. — c. Les mandements contradic-
toires. — d. Comme contraint.
32 BALADES
DCGGLVI
Autre Balade.
(Injures à tin homme.)
Pales et vers, longue teste et cocue a, 221 d
Yeulx de perdriz et nés de chahuant,
Groing de pourcel, long coul comme une grue,
Bossus derrier et enfossez b devant,
5 Ventre a soufflet, cuisses de coqmarant c,
Hanches de buef et jambes de héron,
Cul d'estourneau, gros genoulz d'oliphant :
Qui onques vit corps de telle façon?
Uns longs piez plas qui ont oingnons en mue,
10 Grans chevilles qui se vont ataingnant,
Mule es talons avez \ parmy la rue,
De lascheté vont voz membres tremblant,
A vostre aler en faictes bien semblant,
Et voz deux bras semblent estre baston,
1 5 Ongles de chien, longue main et meschant :
Qui onques vit corps de tele façon?
Bien ressemblez une coquesague d,
Barbe n'avez, et si 2 dient auquant e
Que vous avez la creste si ague
20 Qu'en voz fourreaux n'a marteau ne sonnant f\
1. Mule avez es talons — 2. si manque.
a. Grotesque. — b. Creux. — c. Cormoran. — d. Coquecigrue.
— e. Plusieurs. — /. Grelot.
BALADES 33
Vous vous tuez, com fait le pellicant,
A vostre bec de boire, ce dit on,
Et de manger a guise de gourmant :
Qui onques vit corps de tele façon ?
J
DCCCLVII
Autre Balade.
(Sur sa détresse.)
e n'ay houseauls «, chauces ne esperon,
Manteau, pourpoint, que tout ne soit usé,
222 a Hopelande, villain, ne chaperon,
Drap, linge entier, et quant fay bien musé,
De mes chevaulx est mon hoste rusé b : 5
Finer n1en puis pour aler jusque l au boys,
Se gaige n'a, ains 2 je suis amusé :
Le crucefis et je n^ont que .11. crois c.
Les chevaulx sont vielz ferrez au talon,
Ce qui pis est, sont de faim aveuglé, 10
Grain ne voient; je n'ay selle n'arçon,
Tasse, pannel d, qui ne soit affolé,
Bride, poitral qui ne soit renoué <•',
Cengle rompue en deux pièces ou 3 trois ;
Enc ent lieux doy, mais, quant j'ay bien compté, 1 5
t. jusques. — 2. ainsi. — 3. ou en.
a Bottes. — b. Refusant. — c. C'est-à-dire : Je ne possède en
tout qu'une croix, pièee de monnaie. — d. Couverture de cheval.
— e. Raccommodé.
T. V 3
34 BALADES
Le crucifis et je n'ont que .11. crois.
Courroie n'ay, tasse ne fremillon at
Que n'aie ja 1 de pieça endebté,
Foy a mentir ne plege compaignon bf
20 Si 2 ay argent de pluseurs emprunté;
Je ne voy mais nulle subtilité,
Fors de fuir. Adieu donc; je 3 m'en vois
Se je ne suis d'aucun reconforté :
Le crucifis et je n'ont que .11. crois.
envoy 4
25 Princes, qui suit court de prince ou baron
Souventefoiz devient mon compaignon,
Ses varies oit crier a haulte vois
Et l'oste brait. Helas ! et que feron ?
Le crucifis et je n'ont que deux croix.
DCCCLVIII
Autre Balade.
[Les bêtes valent mieux que les gens.)
Je me complaing de toute créature, 222 b
Mais des bestes me puis assez louer,
Qui ensuivent et aiment leur nature
1. ja manque. - 2. Et si. — 3. donc je manque. — 4. autre balade.
a. Boucle. — b. Qui me serve de caution.
BALADES . 35
Et vont entr'eulx pour leur forme garder,
Et tous oiseaulx vont leur femelle amer; 5
Mais seulx homs, dont je me dueil,
Ne veult amer dame, par son orgueil,
Ains la defuit et son per a aime a part,
Tant que je voy par tout tristece et dueil :
Amour n'y voy fors l'amour de Renart. 10
Ou temps jadis tesmoigne l'escripture
Que l'en souloit dancier et karoler *,
Et que dames avoient leur droiture c
Des chevaliers veoir et honourer,
Et eulx aussi des dames entramer i 5
Et estre de bel acueil;
Mais dame n'est qui ose lever l'ueil,
Car de dolour ont dolereuse part;
De leur hostel n'osent passer le sueil :
Amour n'y voy fors amour de Renart. 20
Ainsi chascun se pert et desnature ;
Et l'en souloit les grans fais achever
Par vraie amour qui estoit ferme et pure,
Que les vaillans sçavoient bien celer,
Mais a présent veulent tout révéler, 25
Dont tele honte recueil
Que tous hommes désormais hair vueil
Quant décliner les voy de leur droit art;
Je suis Raison, qui puis juger a l'ueil :
Amour n'y voy fors l'amour de Renart. 3o
a. Son pareil. — b. Danser en rond. — c. Que les dames fai-
saient leur légitime habitude.
36 BALADES
DCGGLIX
Autre Balade.
(Sur sa malechance.)
Chascun me dit : « Dieu gart! Dieu gart a ! 2
Plus d'omme compte ne tenez,
Mectez de ces flourins a part;
Vous faictes ce que vous voulez, »
5 Adonc suis je tout forsenez
En disant : « Vous me rusez b bien ;
Povre suy, pour ce me moquez :
Je me tue et si ne faiz rien.
« Grans sires le sien l ne départ
10 A pluseurs, si com vous cuidez;
Qui trop s'i fie, il est coquart,
Car s'aucune chose en avez
Ce et plus y despanderez
Avant qu'il vous en aille bien 2.
1 5 De ce fait suis acertenez :
Je me tue 2 et si ne faiz rien.
« Mais encor 3 vault il mieulx a tart
Soy congnoistre que estre assotez,
Et que l'en advise aucun art
20 Dont l'en puist estre gouvernez ;
Car cilz est de bonne heure nez
1. li siens. — 2. Avant quil vous aille. — 3. partue. — 4. encore.
a- Dieu vous garde. — b. Vous vous moquez de moi.
BALADES 37
Qui puet et scet vivre du sien.
Penser y vueil. — Or y pensez.
! — Je me tue et si ne faiz rien. »
DCCCLX
Autre Balade.
(On ne vaut rien si on ne se vante.)
y e jamais jour ne vantoit . un. vens,
s
Si seroit bien ly mondes aventez,
Carchascun dit au jour d'ui : « Je me vens a
Que je suis grant et bien emparentez ; »
5 Et Pautre dit : « Que je suis bien rentez, » 222 d
Qui maintefoiz n'a vaillent une moufle b.
Se Pun dit voir, Pautre dit : « Vous mentez : »
Il ne vault rien au jour d'ui qui ne soufle c.
Chascuns promet, mais que vault telz convens d
10 Quant sur mentir le principe est entez ?
Telz prometteurs sont deceuz decepvens,
Qui de voir dit n'ont pas les dens dentez e :
C'est cy faulx vens qui est cy augmentez
Que chascuns dit : « Cest li chans de l'escoufle /» ,
1 5 Dont ly mondes est tout empulentez ff\
Il ne vault rien au jour d'ui qui ne soufle. (
a. Vante. — b. Un gant; une chose sans valeur. — c. Qui ne se
vante. — d. Promesse. — e. La bouche meublée. — /. Espèce de
milan. — g. Empesté.
38 BALADES
Ceste feste a tous les mois ses advens
Et chascun jour en sont pluseurs temptez
Qui, au coucher et quant ilz sont levez,
20 Sourient si fort qu'en suis l espouentez :
Mauditte soit si fausse voluntez
Et qui troua premièrement tel sourie
Dont pluseurs sont destruit et tourmentez
Il ne vault rien au jour d'ui qui ne sourie.
DCCGLXI
Autre Balade.
(Il faut savoir dissimuler.)
On dit qu'il fault dissimuler
Et que saige 2 est qui dissimule ;
Et qui veult avoir cumuler
En dissimulant l'acumule ;
5 Et pour ce vueil porter la mule
Si qu'om ne me tiengne pour chievre ;
Chascun est moqué qui recule :
Je vous di que la gist le lièvre.
Mais cil qui veult tout emmuler a
io Et d'avoir faire un trop grant mule è, 2 23a
Se puet de legier aculer
i. que j'en suis. — 2. saiges.
a. Amonceler, amasser, mettre en meule. — b. Meule, monceau,
tas.
BALADES 39
Se largesce ne le descule a ;
Face adonc que nulz ne l'acule,
Pis li vauldroit qu'acès de fièvre.
Se vous entendez bien ] ma bule,
Je vous di que la gist le lièvre.
Que vault ne braire ne huler
Au négligent qui brait et 2 hule 3?
On le devroit bien 4 anuler
Quant par convoitise s'anule ;
Pluseurs laissent la droite rule *;
Il n'est mais Tristan ne Genièvre,
Gauvain, Lancelot ne Romule :
Je vous di que la gist le lièvre.
DCCCLXII
Balade.
[Sur sa pauvreté.)
Chascuns me dit que je 5 suis grans
Et que je fais bien le seigneur
Et que j'ay grant nombre de frans;
Helas ! dont me vient ceste honneur?
Pour ce qu'om me voit en tristeur
Et que je suis comme nemo,
l. bien manque. — 2. et manque. — 3. hurle. — 4. bien manque — 5 je
manque.
a. Désaccule. — b. Règle.
40 BALADES
L'en se moque de ma doleur :
Je suis de paupere regno.
S^en deviens pensis et pesans,
10 Car ceuls qui bien gardent le leur
Ont prez, terres, vignes et champs
Et se vivent de leur labour,
Et je me voy au lit de plour 223 b
Par trop 1 despendre a et gaingner po.
i5 Mais j'ay mis le plus beau defueur b :
Je suis de paupere regno.
J'ay servi, dont je suis meschans c,
Sanz cueillir ne feuille, ne fleur,
Vielle femme et jeunes enfans
20 Qui m'ont faicte mainte langour
Sanz remerir rf, de quoy je plour,
Quant je n'ay ne recept ne tro e ;
Pensez y 2 bien, grant et meneur :
Je suis de paupere regno.
i. trop manque. — 2. y manque.
a. Dépenser. — b. Dehors. — c. Malheureux.-— d. Récompenser.
— e. Cachette ni trou.
BALADES 41
DCCCLXIII
Autre Balade \
SUR LES MAIOURS DE VEUCQUESSIN
On ne pourroit l pais trouver
Non pas pais, mais un anglet a,
Que chascuns deust 2 plus louer
De Vequecin, car on y fet
Le maieur de bonne manière. 5
Douze villains, en la vessiere è,
Sont a vesses cueillir enclin,
Chascun plain poing ; puis vont arrière :
Dieux gari les veaulx de Veucquessin !
En un parc se vont assembler ; 10
Chascuns vesses en son poing met.
Et puis laiss'on le veel aler
Qui d'aler vers eulx s'entremet.
De la vesse qu'il prant première
223 c Fait on maieur a liée chiere : i5
Cellui qui la portoit en fin
Est levez sur une espanniere c :
Dieux gart les veaulx de Veucquessin!
Les veaulx doivent assez amer,
* Publiée par Tarbé, tome I, page 38.
— r . On ne pourroit pas. — 2 . doit.
a. Coin de terre. — b. Endroit planté de vesces. — c. Loque,
morceau d'étoffe.
42 BALADES
20 Mais trop leur ont vaches forfet,
C'une foiz, a leur retourner
Des champs y ot merveilleus fet :
Car une vache par derrière
De sa queue, que elle avoit hère,
25 Porta un escuier souvin a,
Le trouva et en fist litière '- :
Dieux gart les veaulx de Veucquessin !
DCCCLXIV
Autre Balade *.
(Requête aux ducs d'Anjou et de Bourgogne.)
[i38i]
Ars et brûlez, esclavez et destruis,
Homs fugitis, sanz borde b et sanz maison,
Povres, desers et désolez me truis
Par les Anglois qui m'ont ceste saison
Mis en toute povreté;
.II".1 frans m'a leur guerre cousté;
Ne je ne voy conseil en ma besongne,
Si je ne suis briefment reconforté
De mes seigneurs d'Anjou et de Bourgongne.
' Publiée par Tarbè, tome I, page 42 — Cf. la ballade DCCCXXXV, p. 5.
3. livrée.
a. Couché sur le dos. — b. Petite métairie. •
BALADES 43
Or leur suppli tant humblement que puis 10
Qu'avoir vueillent ma supplicacion ;
Car par achat cTostel recouvrez suis,
Mais il ne tient qu'a la soiucion :
2 3 d Aient de mon fait pitié ;
Si seray lors a Paris heritié. 1 5
Pour .vic. frans me trairont hors cTessoingne l a,
S'en mercieray lors la bénignité
De mes seigneurs d'Anjou et de Bourgongne.
Vueillent au roy monstrer que je suis cuys :
Il m'aidera par leur bonne raison 2 o
De .111e. frans; d'autre chose ne ruis :
D'autres .111e. 2 m'a fait donacion
Mon seignour, en vérité,
Qui d'onneur tient la souveraineté.
Or ne vueillent en mon fait mettre alongne b : 25
Ainsi seray par le bien conforté
De mes seigneurs d'Anjou et de Bourgongne.
j
DCCGLXV
Autre Balade.
[Sur sa vieillesse.)
e n aray jamais mestier
De faire le hasselin c,
. dessoigne. — 2. Dautres .m0, frans.
r. Embarras. — b. Délai. — c. Le jeune homme
44 BALADES
D'armer ne de chevaucher
Ne d'aler logier a plain ;
5 Je ne tiens dent de poulain,
On le voit bien a ma chiere ;
Vielle * m'a dit : « Je te prain 2,
Tu porteras ma bannière. »
Desor me fault tost coucher,
10 Bien couvrir, dormir le main a,
Bonne viande manger,
Avoir bon vin et bon pain;
Pour les grans excès me plain
Que j'ay fait ça en arrière ; 224
1 5 Vielle m'a dit : « Je te prain 2 ;
Tu porteras ma bannière. »
Femme n'est qui plus m'ait chier,
Pour ce que mon corps est vain ;
Bien sçay quant il doit negier
20 Ou plouvoir, tout de certain ;
Je me tien miz a l'estrain b.
Adieu, douce dame chiere!
Vielle ■ m'a dit : « Je te prain 2;
Tu porteras ma bannière. »
1. Viellesce — 2. pran.
a. Le matin. — b. Paille, litière.
BALADES 45
DCGGLXVI
Autre Balade
FAICTE PAR MANIERE DE SUPPLICACION.
Ames seigneurs sur le fait du demaine,
Suplie a tous povres Brûlez des Champs,
A mon seigneur le chancelier en Maine,
Que ses gaiges qui ne sont pas moult grans
Lui soient vérifiez, 5
Ou il sera perdus et exilliez,
Et ne laira de chascun la maison
Jusques il ait verificacion.
Ses chevaulx sont a foing et a î avoine a,
Qui de jeûner sont lasches et meschans; 10
L'un fault laissier quant les .11. vont a Saine,
Car li hostes est de trop près guetans;
Telz chevaulx sont mieulx veilliez
Que nulz faucons, et s'ont les yeulx silliez *,
24 b Si que veoir grain c ne pourroient foison i5
Jusques il ait verificacion.
Se délivrez n'est en ceste sepmaine,
Lui retourné sera de voz charlans <*,
Corps et chevaulx arez a bonne estraine,
I. a manque. — 2. pourront.
a. Sans foin ni avoine — b. Allusion à la coutume que l'on avait
2 veiller les faucons pendant la mue, et de leur coudre les pau-
ières. — c. Cf ci-dessus, page 33, vers 11. — d. Chalans.
46 BALADES
20 Car il n'a plus de quoy faire despens;
Sur ces poins vous avisez,
Et pour le mieulx ses lettres délivrez,
Ou il vivra a vostre garnison
Jusques il ait verificacion.
DCCCLXVII
Balade *.
COMMENT ON SOULOIT ANCIENNEMENT MOULT HONOURER LE!
SAIGES ET ANCIENS PLUS QUE ON NE FAIT AU JOUR d'uI.
[Des têtes chauves à la cour.)
Les anciens furent jadis moult saiges,
Si doivent bien leurs dis estre gardez
Et qu^om tiengne leurs faiz et leurs usaiges ;
Or supplions que vous y regardez.
5 Coiffes eurent, tel estât nous rendez,
Et nous prierons tuitpour vous et pour eulx :
Car bonnes sont a entre nous pelez
Et a tous ceuls qui ont pou de cheveulx.
Eustace suy pour les pelez messaiges * a,
10 Coucy, Saint Poul, Hangest, Torcy : venez,
G. des Bordes, Brifaut, et a oultraiges 2
* Publiée par Tarbè t tome î, page i55.
1. messaige. — 2. oultrages.
a- Messager.
BALADES 47
Y est Colart de Tanques desplumez :
Hugues du Bois, Moriaux, sont cnrrumez,
Coiffe leur fault et ce l a chascun d'eulx :
Car bonnes sont a entre nous pelez i5
24 c Et a tous ceuls qui ont pou de 2 cheveulx.
Hutin d'Aumont, Philibert, voz mesnages
A bien mestier que coiffe demandez;
Saint Sautlieu pert et Sausset leurs plumaiges;
De Poinsinet s'en est li poilz alez : 20
He ! gentilz rois, vers nous vous admandez a\
Coiffes donnez aux povres soufraiteux,
Car bonnes sont a entre nous pelez
Et a tous ceuls qui ont pou de cheveulx.
l'envoy
Princes, trop plus sont les aucuns grevez, 25
Qui pour couvrir ont cheveulx reboursez b,
Que ceuls qui n'ont plus 3 rien sur le peleux c ;
Pignes leur fault et le mirouer delez d\
Si voussuppli que coiffe leur donnez
Et a tous ceuls qui ont pou de cheveulx. 3o
i . ce manque. — 2. de manque. — 3. plus manque.
a. Amendez. — b. Retroussés. — c. Tête chauve, pelée. — d. A
té.
48 BALADES
DCCCLXVIII
Autre Balade *.
(Sur les Anglais.)
Franche dogue a, dist un Anglois,
Vous ne faictes que boire vin .
— Si faisons bien, dist li François,
Mais vous buvez le henequin ;
5 Roux estes com l pel de mastin.
Vuillequot, de moy aprenez
Quant vous yrez par le 2 chemin :
Levez vosire queue, levez b ! 224 <
Vous testes pas de membres fais
10 Si 3 comme est Jaques Thommelin
Qui porte si merveilleus fais
Que vous n'y pourriez mettre fin :
Ce sont deux, tonneaulx de sapin 4,
C'est voir, et la queue delez.
1 5 Advisez vous, dit Franchequin ;
Levez vostre queue, levez !
N'alez a piet, par le temps frois,
Porter vostre blé au moulin ;
* Publiée par Tarbé, tome I, page 24.
1. comme. — 2. le manque. — 3. Si manque. — 4. despin.
a. French dog : chien de Français. — b. Toute cette bal lad
repose sur la plaisanterie que les Anglais ont une queue. Voyez 1
rondeau DCLXXI, tome IV, page i3o, et plus loin la ballad
DCCCXCIll, page 80.
BALADES 49
S'il pluet, troussez vo > queue prés,
Autel facent vostre voisin ; 20
Et se vous pinciez le raisin,
Afin que vous ne vous crotez,
Soit en France ou en Limosin,
Levez vostre queue, levez !
DCCCLXIX
Autre Balade.
[Contre un dépensier.)
Je sçay un large despensier
Qui conquiert tout par pertuesse;
A siés d'autrui est le promier,
La scet il monstrer sa largesse ;
Tout demande et prant, rien n'y lesse ; 5
La sert chascun de trop beaus mos,
Et se vous demandez : « Qui esse? d
C'est Alixandre le poing clos.
Il scet blâmer le bouteillier,
Le queux, le maistre et la maistresse 10
S'ilz ne font bien appareillier;
La veult de gent veoir grant presse
Et que la viande ne cesse
Et que toudis ait vin en pos
C'est Alixandre le 2 poing clos.
i5
i. vostre. — 2. au.
T. V
50 BALADES
Chiés li ne veult riens espargnier;
Il boit vin de vingne gouesse a,
Pain halé, froumaige en quartier,
20 Lart, vergus, c'est toute richesse,
Trois et trois .m. oeufs è, trop se blesse,
Donne mainte fois, tant est soûls;
Aux estrangiers honnour l'adresse :
C'est Alixandre le l poing clos.
DCGCLXX
Autre Balade.
(Réponse d'une dame à des propositions.)
Le plus manteur et le plus desloial,
Le plus faintif en amer sanz amours,
Le plus vanteur d'estre bon et loial,
Le plus chetif qui tout fait a rebours
5 Est cellui qui cuide bien
M'amour avoir, mais il n'en sera rien,
Car je congnois ses diz et sa promesse.
Or voist ailleurs, je garderay le mien :
A grant moqueur fault grande i moqueresse.
10 A toutes dit qu'il seufre trop de mal
Et qu'il languist en larmes et en plours ;
Pour leur amour se demaine si mal
Qu'il n'endort mais 3 ne de nuis ne de jours, 225 b
i. au. — 2. grant. — 3. mais manque.
a. De mauvais raisins. — b. Ce vers paraît altéré.
BALADES 5 1
Et que son cuer n'est pas sien,
Qui sanz elles ne puet avoir nui bien ; 1 5
Mais en rusant d'une a autre s'adresse.
Pour ce dit on ce mot, or le retien :
A grant moqueur fault grande ■ moqueresse.
Lui départi dit qu'il aime a cheval a
Et qu^il en a de toutes les meillours ; 20
Vanter s'en suelt et a mont et a val,
Mais on congnoist en pluseurs lieux ses tours ;
De telz gens compte ne tien,
Chanter puelent b, mais le sifler detien c ;
A telz chanteurs respondez courte messe ; 25
Du fust qu'ilz font rendez leur le merien :
A grant moqueur fault grande ] moqueresse.
DCGGLXXI
Autre Balade \
(Adieux à Paris.)
Adieu nramour, adieu douces fillettes,
Adieu Grant Pont, haies, estuves, bains,
Adieu pourpoins, chauces, vestures nectes,
Adieu harnois tant clouez comme plains,
Adieu molz Hz, broderie et beaus seins 2, 5
* Publiée par Tarbé, tome I, page io5.
1. grant. — 2. beaus sens.
* Cavalièrement. - b. Peuvent. - c. Mais je me réserve de les
ffler.
52 BALADES
Adieu dances, adieu qui les hantez \
Adieu connins, perdriz que je reclaims,
Adieu Paris, adieu petiz pastezl
Adieu chapeaulx faiz de toutes flourettes,
10 Adieu bons vins, ypocras, doulz compains,
Adieu poisson de mer, d'eaues doucettes,
Adieu moustiers ou l'en voit les doulz sains 225 c
Dont pluseurs sont maintefoiz chapellains,
Adieu déduit et dames qui chantez !
i5 En Languedoc m'en vois comme contrains :
Adieu Paris, adieu petiz pastez!
Adieu, je suis desor sur espurettes *,
Car arrebours versera mes estrains;
Je pourray bien perdre mes amourettes,
20 S'amour change pour estre trop loingtains.
Grotez seray, dessirez et dessains;
Car li pais est détruit et gastez.
Si diray lors pour reconfort au mains 2 :
Adieu Paris, adieu petiz pastez !
I. chantez. — 2. moins.
a. Sainte-Palaye croit qu'il faut lire : espinettes.
BALADES 53
DCCCLXXII
Autre Balade \
( A an-poète a.)
He ! gentils rois, dus de Poligieras,
Ne vous vueilliez de France ainsi partir,
Metrifians b mieulx de Pitagoras,
Rethoriques qui tant pouez sentir ;
Puis que la mort fist Machaut départir 5
Et que Vitry paia de mort la debte,
Ne fut veu tel com vous, sanz mentir,
Si grant faiseur ne si noble poète.
A tous propos faictes vers com Primas,
Chascun vous veult en ce royaume oir; 10
225 d Diz amoureus faittes et de soûlas
Qui font les cuers des princes resjoir;
Nuis povres homs ne puet de vous joir,
Chose n'a non qui par vous ne soit faitte.
L'en ne pourroit ne > trouver ne quérir i5
Si grant faiseur ne si noble poète 2.
En Languedoc ne vous embatez pas;
Vueillez de ça vos escoles tenir.
Se vous partez vous y mourrez, helas!
* Publiée par Tarbé, tome I, p. 148.
1. ne manque. — 2. pouete.
a. Cette pièce semble être adressée par un poète à Deschamps
au moment de son départ pour le Languedoc. — b. Versifiant.
54 BALADES
20 Du puis d'amours a vous vueille souvenir.
Nul ne s'i puet a vous appartenir,
Car pour rimer en clos ou en charrette 1
N'est au jour d'ui, bien le puis soustenir,
Si grant faiseur ne si noble poète *,
DCCCLXXIII
Autre Balade.
[Demande d?un cheval.)
Chascuns parle de divers gieux jouer,
De cliner l'oeil, de porter maie honte,
Et de la briche c aux compaignons donner
Et de soufler le charbon, mais n'acompte
5 A tous ces gieux nulle chose du monde,
Quant mon cheval m'a au besoing failli :
Desor me fault jouer a Tesbahi.
Qui trois piez n'a pour ce ne puet aler.
Dieux! quel cheval, qui n'avale ne monte
fo Et qui me fait maugré mien demourer!
Est ce beaus gieux que dolens vous raconte? 226 a
Je ne pourray roy suir d, duc ne conte,
Se li uns d'eulx ne pourvoit sur ceci :
1 pouete.
a. Confrérie poétique. — b. Allusion à deux espèces de rimes.—
c. Sorte de jeu que l'on jouait assis. — d. Suivre.
BALADES 55
Desor me fault jouer a l'esbahi K
Las î il me fault com saint Joseph troter, 1 5
Et en trotant a pié faire mon compte,
Besasse au coul sur un baston porter,
Et adviser que nul ne me mescompte;
Je suis cellui qui a 2 joie descompte,
Si que s'aucuns n'a or 3 pitié de mi, 20
Desor me fault jouera l'esbahi.
l'envoy
Princes, pour Dieu, veuillez moi 4 retourner;
D'aier a piet ne sçay pas bien ouvrer;
J'ay grant besoing de trouver un ami.
Or me faictes un roucin délivrer, 25
Car s'il me fault a Rouen séjourner,
Desor me fault jouer a Tesbahi.
DCCCLXXIV
Balade.
(Sur une coiffure de queue de martre a.
V'
ous qui avez vostre teste pelée
Par accident ou de foible nature,
226 b Qui cheveulx a soit sa hure avalée :
1. Desor me fault etc. — 2. a manque. — 3. or manque. — 4 moi manque
a. Cf. la ballade DCCCLXVLI, p. 46.
56 BALADES
Au lieu couvrir devez bien ' mettre cure;
5 Un pigne a aiez toudis a l'aventure
Et chapelet b pour le vent.
Voz crins c derrier faictes venir devant,
Se mestier est, pour bien convoitier Pastre d :
C'est grant meschief de deffubler e souvent.
10 Pour ce vous 2 lo /porter queue de martre.
Car se martre est dessus le chief posée,
Les cheveulx fait tenir a leur droiture ;
Pour ce en yver est la teste eschaufée
Et se puet l'en garder de la froidure,
i5 Et si ne puet percevoir créature
Le mehaing s legierement ;
Qui ainsi fait, il euvre saigement
Car a son chief fait gracieus emplastre,
Mais cilz est foulz qui le fait autrement :
20 Pour ce vous lo porter queue de martre.
Et se la teste est derrier desnuée
Et vous avez devant cheveleure,
La cosme * doit derrier estre menée,
Adonc sera la besongne plus seure;
25 Aler devez a chevaulx Tembleure,
Que voz crins n'aillent balant ;
DefTublez vous toudis en avalant *,
Sanz rebourser que Pen 3 voye l'emplastre,
Ou vous serez diffamez laidement :
3o Pour ce vous lo porter queue de martre.
t. bien manque. — 2 . vous manque. — 3. quen.
a. Peigne.— b. Petit chapeau.— c. Cheveux.— d. Maison, foyer.
— e. Se découvrir la tête. — /. Je vous conseille. — g. Le mal (la
calvitie). — h. La chevelure. — I, En descendant.
BALADES ^7
DCCCLXXV
Autre Balade.
(Sur un mariage manqué.)-
226 c O 'Amours ne fait par sa douce pité
O Piteusement recevoir ma clamour,
Je perderé l la flour d'humilité :
Sçavez que c'est ? De ma dame l'amour 2,
Qui m'avoit esté donnée, 5
Qu'autres débat ; mais s'elle 3 m'est ostée,
En ce monde ne quier plus remanoir :
N'autre après lui jamais ne vueil avoir.
Car ceuls qui ont du donner poesté,
Qui sont puissans et gens de haulte honour, 10
M'ont d'un acort consenti le traité
Ou je cuiday tout mettre mon atour.
Or me fault tenir journée
S'a moy sera ou autre mariée;
Mais se ne Tay trop me verrez doloir : i5
N'autre après lui jamais ne vueil avoir.
Et se m'a moult la poursuite cousté;
Mais pis me fait encor la deshonour.
Se je la pers, je suis a povreté;
Or vueillez donc, mi redoubté seignour, 20
Qui la chose avez traittée,
Mon ennemi a quérir autre espousée,
1. perdre. — 2. latour. — 3. se elle.
a. A mon ennemi.
58 BALADES
Car se g'y fail, je muir de desespoir :
N'autre après lui jamais ne vueil avoir.
DCCCLXXVI
Autre Balade.
{Sur son désir de rentrer en France, après la guerre
de Flandre.)
Je n'oy oncques tel talent de venir
Pour avoir draps ne pour manger harens
En la terre qui fait les gens honnir 226 d
Pour les maulx pas ne dessus les Flamens
5 Comme j'ay d'en retourner.
Riens n'y ay fait fors que moy enbouer,
Gésir vestu rt, boire eaue, et en la fin,
Avoir pou pain, soy tout le jour armer :
Je suis perduz quant on ne boit de vin.
10 Bien m'en devra a 1 tousjours souvenir
Car j'ay eu mors mes chevaulx sur les champs
Par froit logier et les haies tenir ;
Si ne me puis louer de ceuls de Gans,
Et si n'a y sceu trouver
i5 Draps, couvertouers, ne hommerançonner,
Brebis, jumens, pors, vaches ne roucin,
Car les autres en ont tout fait mener :
1. a manque
a Coucher tout habillé.
BALADES 59
Je suis perdus quant on ne boit de vin.
S'ay grant joie quant je voy départir
De ces palus le roy a tout ses gens, 20
Et qu'il a fait toute Flandre 1 obéir
Et au conte les rent obeissans.
Je n'y quier plus demourer ;
Trop froit y fait ; en France vueil aler,
Si vivray bien, la prandray maint lopin 25
Pour le default que j'ay eu recouvrer :
Je suis perdu quant on ne boit de vin.
l'envoy 2
Prince, a Tournay fault vostre erre a haster.
Ne le laissiez pour parent ne cousin,
Ou je mourray com canne a bourbeter : 3o
Je suis perdus quant on ne boit de vin.
DCCCLXXVII
Balade.
[Contre les maris jaloux.)
227 a /"^euls qui ont pris moustarde *enpluseurslieux
V^> Doivent sçavoîr que la portée 3 en vault, .
Car de raison ilz se congnoissent mieulx;
1. ilandtes. — 2. autre balade. — 3. porter.
a. Marche. — b Ceux qui ont fait l'amour en plusieurs lieux.
6û BALADES
Aussi doivent mieulx sçavoir li ribault
5 Ce qu'ilz ont fait ou temps qu'ilz furent chault,
Dont pour les maulx qu'ilz ont fait a autrui
Sont si dolens l que mescroire a leur fault :
Lerres b ne croit soy mesmes au jour d'ui.
Plus vit singes 2, plus est malicieux,
10 Geste nature a toudis le corbault;
Aussi li homs de tant qu'il 3 est plus vieulx
Se doubte c plus en l'art ou il default,
Car petit peut, et se sa femme sault,
Qui jeune soit, ce lui est grant ennuy,
i 5 Car il doubte plus le bas que le hault :
Lerres ne croit soy mesmes au jour d'ui.
Telz viellars est trop merencolieux
Et d'agueter trop soutil et trop cault d\
A leurs femmes font trop le dangereux e
20 Car ilz cuident qu'om leur face l'assault
Comme faisoient quant ilz furent en sault/;
Mais pour leurs maulx n'osent croire nullui.
Or leur doint Dieux de trestous 4 biens deffault :
Lerres ne croit soy mesmes au jour d'ui.
i. dolereus. — 2. saiges. — 3. qui — 4 de tous.
a. Soupçonner. — b. Larron. — c. Se méfie. — d. Rusé. -
«. Ils veillent trop.— /. En rut.
J
BALADES 6 1
DCCCLXXVIII
Autre Balade
SUR FOUL CUIDIER a
'ay moult d'avis pour mon fait avancer,
Mais moyn'autres1 ne s'en puet percevoir,
227 b Car dès long temps m'a déçut FoulCuider
Qui ne m'a fait aucun bien recevoir,
Et si ay je toudis fait mon devoir, 5
Mais je vail po ou l'en ne congnoist pas;
Pour ce me fault souvent ramentevoir,
Et se je fail je doy bien dire : Helas!
Pluseurs dient de leur bien qu'ilz m'ont chier
Et que je suis assez dignes d'avoir 10
Aucun estât; si les doy mercier,
Considéré qu'en moy a pou sçavoir ;
Mais loiaulté trouveront ilz pour voir
En mon po sens b toudis et en tous cas.
Jusques a ci ay en eulx mon espoir i5
Et se je fail je doy bien dire : Helas !
Car suis honteus, doubtant d'eulx trop chargier;
Si leur suppli de ma personne avoir
En mémoire, ou de moy conseillier
Que je retraie en mon povre manoir ; 20
Car je ne puis plus ainsi remanoir
Pour mon argent qui est mis sur le bas.
1 . ne autres.
a. Croyance téméraire. — b. En mon peu de sens.
62 BALADES
Or me vueillent, s^l leur plaist, procurer :
Et se je fail je doy bien dire : Helas!
DCGGLXXIX
Autre Balade
SUR LES MANDEMENS FAIZ POUR LA GUERRE DE FRANCE.
N'alez aux champs, tenez vous a la ville,
Se vous veez que le temps soit frileux;
Ou temps d'iver qu'il neige ou qu?il l grésille,
Les mandemens que l'en fait sont doubteux;
5 Qui s'arme lors il en devient goûteux, 227 c
Car mauvais fait chevaucher sur la 2 glace ;
Se jambe ront il devendra boiteux :
Excusez vous par le conseil d^Eustace.
Il a trop froit qui a tel billart bille a,
10 Encouruz b est, chetis et rupieux,
Et a les doiz roides comme cheville,
Rume le prant et puis devient tousseux;
Mais leurs chevaulx n'ont pas le cul pailleux,
Qui sanz estrain c logent en froide place ;
ï5 S^n vous mande, ne soiez pas honteux,
Escusez vous par le conseil d'Eustace.
Parlez a droit, aiez langaige 3 habille,
Morfonduz sont voz chevaulx et morveux 4
1. qu'il manque. — 2. la manque. — 3. aiez le langaige — 4. mortueux
a. Qui joue à ce jeu là. — b. Puni.— c. Paille.
BALADES 63
Et vo harnois ne vault une lentille ;
Varlet n'avez et pas n'irez tous seulx, 20
Et si estes du chief trop dolereux;
Autre querez qui ceste rese a face,
Car quant a moy je vous l conseille et leux b :
Excusez vous par le conseil d'Eustace.
DGCCLXXX
Autre Balade.
(Contre les mariages disproportionnés.
Q
ue diriez vous du iroit mois de Janvier
S'il se vouloit marier a Avril
Qui fait les fleurs et printemps verdoier,
Arbres et prez, et chanter soubz le bril c
Le tresplaisant rossignol? 5
\2j d Et Janvier a tousjours le froit au col,
Son arbre sec et au nés la rupie,
Le chief de noif d et pelez com saint Pol :
Est il saiges qui ainsi se marie ?
Ainsi fait hom 2 qui se veut marier - 10
De .lx. ans a jeune corps gentil,
Qui a .xv. ans veult son bien 3 essaier.
Et mettre ainsi le vert o le grésil.
1. vous manque. — 2. homme. — 3. bien manque.
a. Expédition de guerre. — b. Je loue. — c. Bois. — d. De
leige.
64 BALADES
Il fait trop estrange vol,
i5 Car près du laz le fault chanter en sol a,
Qui viellement en jeune art solene l
Assez de gens le tiennent pour un 2 fol :
Est il saiges qui ainsi se marie?
Vieulx homs ne fait que merencolier,
20 Jeune femme a entendement subtil;
Il veult dormir et elle veult veillier
Et veult aler aux roses ou courtil b;
Elle est fresche et il est mol ;
S^l veult des pois on lui donra du chol c.
2 5 Lors chiet vieulx homs en grant merancolie;
Dire puet bien 3 : « A moy sépulcre vol. »
Est il saiges qui ainsi se marie?
DCCCLXXXI
Autre Balade
d'amour forsennée.
Tant fu d'amours sousprins et tourmentez
Que Dieu regny et le diable a seigneur
Adveue d aussi, se jamais joue 4 aux dez 228 a
Ne se femme touche 5 par deshoneur
5 De demi an, tant ait fresche couleur,
1. solfie.— 2. un manque.— 3. bien manque. — 4. jeue. — 5. couche.
a. Il faut transposer d'un ton.— b. Au jardin. — c. Du chou. —
d. Je reconnais, j'avoue.
BALADES 65
Ne tant soit or belle, jeune et 1 jolie :
Je l'ay juré, ne m'en parjurray mie.
Aucuns cuident que j'aie esté trompez :
Certes non ay, je le faiz par honneur;
Homs gracieus ne doit estre assotez 10
De tel pechié dont vient trop de doleur.
L'en se parjure aux dez, dont c'est horreur,
Pour ce jamais n'y jourray en ma vie :
Je l'ay juré, ne m'en parjurray mie.
Je me repens de ces deux maulx passez. i5
Mais de mon veu m'est ja 2 venu le plour,
Car je seray souventefoiz temptez
Quant je verray la précieuse flour.
Ce demi an me fera trop d'orreur,
Mes oeulx clorray pour couvrir ma folie : 20
Je l'ay juré, ne m'en parjurray mie.
l'envoy
Douce Venus, qui toute amour sentez,
Avecques moy de ce veu dispensez :
Ma jonesse me doit estre merie a ;
Et deux tortiz * vous seront présentez 25
Par moy qui suis d'amours destalentez c :
Je l'ay juré, ne m'en parjurray mie.
1. ne. — 2. desja.
a. Récompensée.— b. Deux cierges en tortïl. — c. Hors d'envie.
T. V
66 BALADES
DCGGLXXXII
Balade \
(Sur la guerre entre les Anglais.)
Galois, Galois, vous vous estes partis * 228 l
Soudainement pour quérir aventure,
/ Sanz dire adieu a moy n'a vos 2 amis,
Car vous n'avez de compaignie cure ;
5 En Sorelois sera vostre pasture.
Or vous gardez d'Artus et des barons,
Car ilz sont fors, mais se la guerre dure,
Ramenez moy deux couples de Bretons.
Je, Tremoille, suis encor a Paris
10 Qui, Dieu merci, de mon argent me cure;
Si font autres qui s'i tiennent envis,
Qui n'ont denier, ne chevau, ne sainture,
Que tout ne soit mis a desconfiture :
A noz hostelz trop maie guerre avons.
i5 Pour acquitter nostre despense dure,
Ramenez moy 3 .11. couples de Bretons 4.
Reconfortez les povres esbahis,
Le faire ainsi est courtoise nature ;
Et se jamais vous voy en no pais,
20 Je vous donrray de nostre nourreture :
C'est .11. barilz de la belle eaue 5 pure
• Publiée par Tarbé, tome I,p. 33.
1. prins. — 2. vostres. — 3. moy manque. — 4. gascons.— 5. beaune.
BALADES 67
Dont vous pourrez bien moiller voz grenons a.
Soiez vaillans et ouvrez par mesure :
Ramenez moy deux couples de Bretons.
DCCCLXXXIII
Autre Balade *
( Vœu pour la paix.)
uynes, Hames, Merc, Sangattes, Calays,
Oye b et Puille c, qui nous faittes frontière,
228 c Finerons nous de guerroier jamais?
Tout est destruit en plain et en costiere d ;
Quérir nous fault noz vivres trop arrière ; 5
Bien nous entrecongnoissons,
De jour en jour toudis apovrissons.
L'en gaingne po vers Banelinguehem l e
G
D'acort commun a Rodelinguehem 2. 10
Ly plat pais ars, gastez et deffais,
• Publiée par Tarbé, tome I, p. 172.
I. Banelinghem. — 2. Rodelinghem.
a. Moustaches. — b. Oye était la capitale d'un comté. — c. Poil,
petite ville entre Calais et Gravelines. — d. Dans la plaine et sur
les côtes. — e. Lolinghem ou Lelinghem, petit village, entre Bou-
logne et Calais, dans lequel il y eut deux conférences : l'une en
1384; l'autre, en mai i3g3; il avait été cédé aux Anglais par le
traité de Brétigny.
68 BALADES
Tristes, dolens, perdroit en tel manière ;
Ardre huchoit en disant : « Faictes paix !
Le Montore a, le Planque *, amie chiere,
i5 Estremboque c, Audruic qui est fiere,
Le Virelart requérons
Alambon, Lique d) Fyennes e, supplions;
Tout est perdu vers Barbelinguehem 1 .
Pour ce vous lof que nous nous acordons
20 D'acort commun a Rodelinguehem
Ne guerrions 3 le pais désormais :
Tant est désert qu:il n'y a que bruiere,
De nous nourrir ne puet porter le fais ;
Querons ailleurs guerre qui nous afiere,
2 5 Sur Sarrazins levons nostre bannière
Encontre yceuls nous croisons,
Et ce pais a repeupler laissons
Aux bonnes gens d'environ Tournehem s.
Se l'en m'en croit, la guerre finerons
3o D'acort commun a Rodelinguehem2.
i. Barbelinghem. — 2. Rodelinghem. — Ne guerrions plus.
a. Le Montoire, ville forte, près d'Ardres. — b. Le Planque,
château-fort sur la frontière de France. — c. Peut-être Esprobec-
que, petite ville près d'Ardres- — d. Villes ou villages près d'Ar-
dres. — e. Fyennes était une des douze baronnies du comté de
Guines, — /. Je vous conseille. — g. Ville près d'Ardres.
BALADES 69
DCGGLXXXIV
Autre Balade.
(Ballade en picard.)
228 d Te treuve assez qui me donne a mignier a
sj Et qui me fait bonne chiere a Paris,
Mais mi queval b sont sur le tavernier,
Qui ne treuvent ne parens ne amis;
Quant j'ay compté je suis tout l esbahis, 5
Car pour chascun me fault paier .11. saulx c.
Les .ni . par jour font .vi. solz parisis :
Ainsi seront tuit mignez mes quevaulx.
Ghoula d me fait mainte foiz requigner e.
Et mi varlet veulent estre fournis 10
Qui vont au mien le litière cerquier/
Et qui veulent du vin boire toudis ;
Et mes hostes, qui m'onouroit jadis,
De mes rouchins e enquiert aux mareschaulx ;
Pour s'i paier fait sur tout mettre pris : i5
Ainsi seront tuit mignez mes quevaulx.
J'ay demouré plus d'un mois tout entier,
Et si n'ay fait qui vaille deux espis,
Ne riens ne puis a le court besongnier.
Las! je fus né a la foire aux quetis h ; 20
1. tous.
a. Manger.— b. Mes chevaux. — c. Sous. — d. Cela.— e. Rechi-
gner. — /. Chercher la litière à mes frais.— g. Roussins. — h, La
foire aux malheureux.
70 BALADES
Or m'en convient râler • en mon pais
En chevauchant .11. bastonceaulx de saulx *,
Se remède n'est brief en mon fait mis :
Ainsi seront tuit mignez mes quevaulx.
DCCCLXXXV
Autre Balade.
(Sur le mariage d'un jeune homme avec
une vieille femme.)
Je congnois l'un l des jolis chevaliers
Que l'en peust trouver sur l'Alemaigne
Et qui parloit d'amours plus voluntiers, 22g a
Duquel dames congnoissent bien l'ensaigne;
5 Mais oncques ne sceu pour qui
Il se tenoit si gay jusques a cy
Fors pour celle dont il estoit engrans 2 c,
Vielle d'avoir, riche de cinquante ans.
Or devendra li maistres escoliers
1 o Qui jamès jour ne sera hors de paine,
Ains souffrira moult de menuz dangiers ;
Car Paris n'a pas prins a 3 dame Helaine.
Quant il verra delez li
Helizabeth au viaire pâli,
i5 Dire li puet : « Jamais n'arez enfans,
1. bien. — 2. grans. — 3. a manque.
a. Retourner. — b. Deux petits bâtons de saule. — c. Désireux.
BALADES 7 1
Vielle d'avoir, riche de cinquante ans!»
S'il est déçus ce n'est pas li premiers,
Qui femme a prins et1 stérile et brehaigne;
Ne ne sera aussi li derreniers2
Qu'avarice de mariage estraine. 20
Adieu gay, adieu joli,
Ce dit Amours qui se revenge ainsi.
Desor direz a la ville et aux champs :
Vielle d'avoir, riche de cinquante ans.
DCCCLXXXVI
Autre Balade.
[Même sujet, allégorie).
Quant l'esprevier vole bien pour l'aloe a
11 soufist bieti sanz voler pour le gros è,
228 b Et se l'autour vole l'ostarde et l'oe c
Souffire doit ; et pour ce bien dire os d
Que faulcon doit treshault 3 prandre ses vols 5
En poursuiant le héron blanc ou bis
Quant il le prant, mais plus doit avoir los
Un esprevier qui prant vielle perdris e.
Car gentil est et n'a pas longue poe /,
1. et manque. — ?. derniers. — 3. hault.
a. L'alouette. — b. Pour le gros oiseau. — c. L'outarde et l'oie.
— d. J'ose. — e. Cf. le rondeau n° DCLXV1II, tome IV, page 127.
— /. Patte.
72 BALADES
io En po de temps est faiz, couvez et pos a,
Et en Aoust fait sur les champs la roe
Et de voler n'a nulle fois repos.
Cent fois prandra * aloe par le dos
Et montera, car il est prest toudis ;
1 5 De soie avoir doit 2 longes, a briés mos,
Un esprevier qui prant vielle perdrix.
Je voy faucon quant il gette sa croe b
Et lanneret, que pluseurs sont si mos c
Qu'ilz faillent bien, car le temps les esbloe d ,
20 Aussi sçay je pluseurs a mon propos
Qui sont plus gais que n'est jolis au bos,
Qui ne prannent grue, pie ou mauvis,
Mais ostarde, grans grues, dont je los
Un esprevier qui prant vielle perdris.
DCCCLXXXVII
Autre Balade *.
(Sur son varlet, nommé Jeannin.)
Bon fait avoir varlet de congnoissance
Qui soit prodoms et saiges par pais 3,
Qui de logier ait bonne diligence
Et qui ne soit fetart, ne esbahis e,
' Publiée par Cropelet, page Q2.
i . prendre. — 2. doit avoir. — 3. par le pais.
a. Pondu. — b. Serre. — c. Mous. — d. Eblouit. — e. Pare
seux ni étourdi.
BALADES 73
22g c A court de roy soit appert et sutils a, 5
Au deslogier treuve son maistre en place
Mieux que n^ fait Jehannin, varlet Eustace.
Car a Nemours, sanz cheval et sanz lance,
Laissa illec b son maistre li chetis
Sanz le querre, dont il fut en doubtance 10
Que son varlet ne fust renduz fuitis c.
Un cheval noir emmenoit et un gris
Sa maie aussi; son service 1 li face
Mieulx que ne fist Jehannin, varlet Eustace.
Adonc faisoit tresorde contenance 1 5
Et bien sembloit que il 2 fust desconfis,
Quant Braquemont avec 3 ses gens avance
Après le roy, lors lui fut bons amis ;
Il rapporta qu^l fuioit le logis;
S'a bien mestier d'un autre qui lui face 20
Mieulx que n'a fait Jehannin 4, varlet Eustace.
T
DCCCLXXXVJII
Balade.
{Contre le mariage.)
u qui jadis as les livres leuz
De Theophastre et des autres docteurs,
I. son service manque. — 2. quil. — 3. de. — 4. Jehan.
a. Enpert et vif. — b. Là. — c. Ne se fût enfui.
74 BALADES
Et l d'Auréole et de Matheolus 2,
Qui descripvent la misère et les pleurs
5 (Duquel les mariez vivent,
Et autres clers qui de ce fait escrivent,
N'as pas d'iceuls bien retenu l'usaige,
Quant ti penser a marier s'appliquent :
Convoitise déçoit et foui et saige.
10 Et bien y pert 3, car tu es deceuz 22 g à
Et reprouchiez, hors de toutes honeurs,
Qui vielle prans ; li 4 a docteurs esleuz
Qui blasmoient jadiz telle foleurs.
Ty fait a tes diz répliquent b ;
1 5 Confusion te suist et deshoneurs 5,
Les cours du ciel contre toy si apliquent 6
Fortunelment pour pugnir ton langaige ;
Enten après les maulx qui t'en ensivent :
Convoitise déçoit et foui et saige.
20 Plaiz te seront par ta femme esmeuz,
Qui te fera sentir ses dures meurs
Tant que partout seras chetis veus
Et sanz joir plain de toutes tristeurs.
Tu frans jadis es sers ; les 7 barateurs c
25 Par convoitier se honnissent;
La mort te suist, ty bon jour apovrisscnt,
Jamais n'aras fors dueil, traveil et raige,
Esquelz doleurs touz mariez languissent :
Convoitise déçoit et foui et saige.
1. Et manque. — 2. Matheolabus. — 3. piert. — 4. li manque — b. Il y a
interversion des deux vers 14 et i5 dans le manuscrit. — 6. sappliquent.—
7. le. .
a. Lis les docteurs. — b. Tes actions contredisent tes paroles.
— c. Les trompeurs.
BALADES 75
G
DGCGL XXXIX
Autre Balade.
(Sur sa mauvaise chance.)
ertes je suis de si bonne heure né
Que nulle part ne vien n'a point n'a heure ;
Quant seir a vueil on a presques diné ;
L'en me dessert, un chascun me court seure ;
Mieulx que puisfaiz, mes corps toudis labeure l, 5
Plus de paine ay que le crieur des chapes,
Mais en un point tousjours povres demeure :
> 3o a Je vien toudis a escourre les napes b.
En ce monde suis ainsi fortuné,
Et se nulz rit il convient que je pleure 10
Car chascun voy a qui l'en a donné,
Mais je n'aray don qui vaille une meure c :
Tart venu sui, j'ay fait foie demeure 2,
Nul ne me doit dire : « Compains, tu happes! »
Dieux! quelle honeur dont Fortune mineure! i5
Je vien toudis a escourre les napes.
A la court suis noblement ordonné,
Je n'y faiz rien fors que la chantepleure d;
L'en s'i restraint quant Dieu m'y a mai né;
Lors va trestout ce que dessoubz desseure 3. 26
1 . laboure. — 2. trop foie demeure. — 3. dessure.
a. Quand je veux m'asseoir. — b. Pour secouer les nappes. —
. Une mûre. — d. Robinet par lequel coule le vin.
JÔ BALADES
S'argent plouvoit, c'est ce dont je m'espleure,
Ailleurs cherroit, tant suis garniz d'entrapes a.
Pour ce convient qu'ailleurs povre m'en coure:
Je vien toudis a escourre les napes.
DCCCXC
Autre Balade.
[Deschamps réclame une épée promise à Ardres.)
Mon chier seigneur et ami tresparlait \
Parfaitement a vous me recommande
Comme cellui qui vous aime de fait,
Qui s'espée promise vous demande;
5 A 2 Ardre fut promis ce que demande,
Car de Bourdeaulx la deustes envoier
A Eustace qui vous en fait demande :
Or ne vueillez vo promesse noier b.
L'amentevoir c n'est mie trop mal fait, 23o b
Et en l'oubli ne chiet pas grant amende :
10 Pour l'envoier est quittes le meffait;
A ce porteur la baillez en commande
Et s'a Paris a rien de bon qu'on vende
Que vous vueilliez, je le vous vueil bailler,
Puis qu'ainsi est qu'auray 3 espée grande :
i5 Or ne vueillez vo promesse noyer.
I. parfait. — 2. A manque. — 3. que jauray.
a. D'entraves, empêchements. — b. Nier, -r- c. Rappeler.
BALADES 77
Mauze, Mauze, Leesse se défiait,
Je voy Tristour chevaucher sur la lande,
Amour deffaut, Loiauté se meffait,
Envie court a tout sa hopelande,
Mais en despit de la vielle truande, 20
Vueil de Leesce estre vray soudoier ;
Se m'espée ay je li feray grief bande :
Or ne vueillez vo promesse noier. .
DCCCXCI
Autre Balade.
(Demande d'argent pour payer la dépense de ses
chevaux.)
L
Ephillosophe et li naturien
Dient que c'est tresparfaitte nature
Que de cheval espaingnol et de chien,
Et qui aiment humaine créature;
Car chiens vivre ne pourroit 5
Se de Pomme compaignie n'avoit,
Et le cheval blescé jusques a mort
A son maistre pour un jour ne fauldroit;
i3o c Mais a présent n'en suis pas bien d'acort.
Car j'ay nourri .1111. chevaulx au mien a 10
Et gouvernez de tresbonne pasture,
N'oncques encor je ne leur meffis rien;
a. A mes frais.
78 BALADES
Sy ay je l fait mauvaise nourreture ;
Qu'a Poste qui les gardoit
i5 Se sont fortrait a, et pour ce qu'om li doit,
Dit qu'a Paris les retendra 2 au fort.
Aler a piet ainsi m'en convendroit :
Mais a présent n'en 3 suis pas bien 4 d'acort.
Ce sont cheval qui rendent mal pour bien
20 Et qui vivre font leur maistre a usure,
Et se cachent et despendent le sien,
Et qui d'aler de la ville n'ont cure ;
Jamais chiens ce ne feroit,
Car son maistre pour riens ne guerpiroit :
25 Or voit on bien que mes chevaulx ont tort,
Qui me fauldront si l'en ne m'i pourvoit :
Mais a présent n'en suis pas bien d'acort.
DCCCXCII
Autre Balade.
(La femme de Giraudon se plaint de son mari b.)
Trop mieulx hochoit ou temps de mon mari
Et plus souvent Giraudon qu'il ne fait;
Il estoit sers et je dame ; a mon cri 5
Venoit tousjours pour moy poindre de fait ;
5 Pour ce le prins, mais trop fort se deffait,
i. Gy ay fait. — 2. tendra. — 3. ne. — 4. bien manque. — 5. et a mon cri
a. Ils se sont rendus en m'abandonnant. — b. Cf. le rondeai
n° DGLXX, tome IV, page 129.
BALADES 79
3o d Car sires est et je suis chamberiere;
Ce qu'il faisoit par avant contrefait :
Hurter ne veult plus a mon huis derrière.
Si n'en puis mais si j'ay le cuer marri,
Quant son engin en autrui nasse trait 10
Et un chascun me fait charivari,
Et par son hurt a mon argent atrait;
Ailleurs bat noix et de moy se retrait..
Du sel puis bien saupouldrer ma louviere a ;
Le trou purra si je n'ay de rentrait b : 1 5
Hurter ne veult plus a mon huis derrière.
Haro ! haro ! Prenez bien garde cy,
Vous qui avez rachaceux c a souhait :
Ne Pespousez comme j'ay fait ; ainsi
Dame serez, quelque gré qu'on en ait. 20
Perdue suis, jamais n'aray que plait ;
L/en ne me met plus poitral ne cuilliere d ;
J'enrrageray désormais tout a fait :
Hurter ne veult plus a mon huis derrière.
j
DCCCXCIII
Autre Balade.
(Récit d'une aventure à Calais.)
e fu l'autrier trop mal venuz
Quant j'alay pour veir Calays ;
a. Tanière, trou. — b. Emplâtre, onguent. — c. Amoureux.
Croupière.
80 BALADES
J'entray dedenz comme cornuz,
Sanz congié; lors vint .11. Anglois,
5 Granson devant et moy après,
Qui me prindrent parmi la bride:
L'un me dist : « dogue a », Pautre : « ride b »
Lors me devint la coulour bleue: [2J? 1 c
« Goday c », fait l'un, Pautre : « commidre d »
10 Lors dis : « Oil, je voy vo queue e ».
Pour mal content s'en est tenuz
L'un d'eulx, qui estoit le pluslays,
Et dist : « Vous seres retenuz
Prinsonnier, vous estes forfais. »
1 5 Mais Granson s'en aloit adès
Qui en riant faisoit la vuide/ :
A eulx 1 nPavoit trahi, ce cuide ;
En anglois dist : « Pas ne l'adveue s. »
Passer me font de Dieu l'espite * ;
20 Lors dis : « Oil, je voy vo queue. »
Puis ay mes talons estenduz
De mon roucin, le serray près,
Lors sault, si furent espanduz ;
Delez Granson fut mes retrais '.
25 La ne me vault trêves ne pais,
De paour la face me ride,
De tel amour ma mort me ~ cuide;
Au derrain leur dist : « Je l'adveue. »
« Chien, faisoit Pun, vez vous vo guide?»
3o Lors dis : « Oil, je voy vo queue. »
1. Deulx. — 2. me manque.
a. dog : chien. — b. ride : chevauche. — c. good day : bon-
jour.— d. corne hither : viens ici, mots anglais. — e. Cf. la ballade
DCCCLXVIII, page 48. — /. Vidait la place, s'en allait. — g. Je ne
le garantis pas. — h. Epitre.— i. Je me retirai.
BALADES 8 I
DCCCXCIV
Balade.
[Sur le jeune de la Barrée).
Aussi tendre comme un poucin,
Et plus doulz que n'est miel en rce *,
3i b Qui tart couche et dort grant matin,
C'est li enfes de la Barrée.
Une heure haitiez b se ' desrée 5
Et va saillant comme uns poissons ;
L'autre est simples comme espousée :
Il a tousjours eufs ou pigons.
Une heure veult estre au butin,
L'autre heure doubte la gelée; 10
Une heure li fault le coussin,
L'autre heure est la chambre fermée ;
Autre heure a la teste enrumée
Et lui convient boire poisons c
Et rostir en la cheminée : i3
Il a toudis oeufs ou pigons.
Pour ce lui fauldra en la fin
Une litière bien voirrée d;
Il fait bon estre son voisin
Pour avoir de la cuminée 2 e; 20
Une heure veult de la purée,
1. se manque. — 2. curminec.
a. Rayon.— b. Bien portant. — c. Potions. — d. Vitrée. — e Po
on au cumin.
T. V 6
82 BALADES
L'autre heure connins et chapons ;
Sa vie est toute triboullée :
Il a toudis oeufs ou pigons.
DCGCXCV
Autre Balade.
(Mauvais emploi des mots.)
Trois choses sont de quoy je ne faiz compte,
Qui bonnes sont par le dit de la gent :
Bonne bufe a, qui fait doleur et honte ; 2 3i (
Un bon ' rifle b, qu'om nomme bon sergent,
5 Qui jusqu'au lit va tout exécutant ;
Bonne lieue, ou l'en ne puet venir
A fin n'a bout, ains va chascun lassant :
De ces trois bons ne vueil nul retenir.
Autre langaige y a que l'en raconte,
10 Que chascuns dit assez communément :
« Je m'en tairay, dit tel; a moy qu'en monte 2 cl
J'en 'd parleray par tout si hautement. •
Taire s'en doit, puis parle incontinent,
Vrais contraires de son propos tenir.
i5 Et quant ces poins vois bien considérant,
De ces trois bons ne vueil nul retenir.
1. bon manque. — 2. dit ma a toy quen monte. — 3. Mais jen.
a. Bonne tape ou bon soufflet. — b. Un agent de justice. —
c Je m'en tairai, en quoi cela me regarde-t-il i
BALADES 83
Pais dit aucuns qui nicement se dompte,
Quant l'en parle d'aucun aucunement,
Et il touche son fait, lors se mescompte :
Dit : « Je ne sçay, mais bien sçay vraiement. » 20
Or n'en scet rien, puis scet, et ainsis ment.
De telz sos mos me puet trop souvenir,
Des bons mauvais qui font empesçhement :
De ces trois bons ne vueil nul retenir.
DGCGXCVI
Autre Balade.
(// veut mentir puisque chacun lui ment.)
s
avez vous ' pour quoy je fais
Si maugracieuse chiere?
Pour ce que trestous mes fais
Vont ce que devant derrière.
i3t d Je vois moins avant qu'arrière, 5
L'en ne me tient nul convent ;
Mais j'aprandray la manière
De mentir, puis qu'om me ment.
Je ne cuidasse jamais
Que ma douce dame chiere 10
Me queist tant de délais,
Ne qu'elle fist ja 2 barrière
D'autre pour moy en 3 arrière
vou-s manque. — 2. ja manque. — 3. en manque.
84 BALADES
Bouter si couvertement;
i5 Mais j'aprandray la manière
De mentir, puisqu'om me ment.
Car il n'est ne clers ne lais,
Marchant, ouvrier n'ouvriere
Qui n'ait a mentir palais :
20 II ne règne autre bannière.
S'elle puet tenir frontière,
Tout sera mis en tourment ;
Mais j'aprandray la manière
De mentir, puisqu'om me ment.
DGCCXGVII
Autre Balade *.
(Supériorité de la Champagne sur la Brie.)
L'en treuve es droiz de Champaigne, ce tiens \
Que la Brie est sa serve et sa chambrière * ;
Car Champaigne est la forme de touz biens,
De blé, de vin, de foing et de liiiere;
Brie froide est, qui n'a grosse rivière,
Fors boscaiges, nèfles sauvaiges, noix;
Pour ce doivent livrer en la fourrière 2 32 a
Ceuls de Brie la mousse aux Champenoys.
Car quant il pluet, es terres ne croist riens;
' Publiée par Tarbé, tome I, p. 14S.
1. ce tiens manque. — 2. chamberiere.
BALADES 8ô
Mais est le bief noiez en la royere a: 10
De leurs boes font soliers sanz liens ;
D'ardoir vert bois ont toudis la manière;
En leurs hostelz n'a que cendre 1 et fumiere b ;
Leurs vignes sont des prunelles du bois c.
Pour ce doivent livrer en la fourrière i5
Ceuls de Brie la mousse aux Champenois.
Et si leur fault, plus qu'autre pais, chiens
Pour les bestes du bois chacier arrière ; [viens ? »
Et qui leur dit : « Dont viens tu? — Dont je
Hz respondent ce que devant derrière. 20
De leur bestail font garde une bergiere
Qui par les champs queult la mousse a .x. dois d :
Pour ce doivent livrer en la fourrière
Ceuls de Brie la mousse aux Champenois.
Bailliage n'a en Brie, ce maintiens 2; 2 5
Champaigne a Meaulx et Trois, sa justiciere,
Vitri, Chaumont; par ces .1111. liens
Ou par les deux est Brie en sa volière;
A ces grans jours vient toudis la première,
Car la li fault venir querre ses drois : 3o
Pour ce doivent livrer en la fourrière
Ceuls de Brie la mousse aux Champenois.
Les gens communs sont simples et insciens e;
A estrangier ne scevent n'3estrangiere
Chemin monstrer; n'onques saint Juliens 35
Pour bon hostel n'ot celle marche chiere;
Brioys/ n'ont rien qu'a paine et a haschiere,
A Champaigne ont leurs recours mainte fois :
1. cendres. — 2. ce tiens. — 3. ne.
a. Dans le sillon, — b. Fumée. — c. Prunes sauvages.— d. Cueille
a mousse à deux mains.— e. Ignorants. — /. Ceux de Brie.
86 BALADES
Pour ce doivent livrer en la fourrière
40 Geuls de Brie la mousse aux Champenois.
l'envoy
Princes, qui veult de froit avoir matière, 232 b
D'yeaue laper, de vert bois la fumiere a,
Et de vivre de boutons b et de noix,
En Brie voist ; car c'en est la manière.
45 Mais Champaigne li fait a sa prière
Secours souvent de vin \ d'uille et de pois :
Pour ce doivent livrer en la fourrière
Ceuls de Brie la mousse aux Champenoys.
DCCCXCVIII
Autre Balade.
(Tout va au rebours de la raison.)
Ho! ho! Raison! — Je dors, je dors.
Qui es tu? — Lasse! euvre moy Puis.
Povreté suis je 2 ça dehors,
Qui Justice ne Loy ne truis c.
— Ou sont ilz? — Hz sont en un puis,
Et Drois est contrais d et bossus.
— Force me tient, yssir e ne puis;
Tout va ce que dessoubz dessus.
i. de vin manque. — 2. je manque.
a. Fumée.— b. Bourgeons. — c. Trouve. — d. Paralysé. — e. Sortir
BALADES 87
— Que feray je? — Tiens t' * aux plus fors.
— L'en me toult de jours et de nuis 10
Tout ce que j'ay. — Et qui?— Cest Tors ;
D'aler contre moy est trop duis *.
Ghastiez loy b ; s'il est destruis,
Encor sera ly mondes sus 2 c.
— Je n'y puis rien, ce n'est que guys d : 1 5
Tout va ce que dessoubz dessus..
232 c Justice deust par ses efîors
Pugnir, preste a conseiller 3 suis,
Et Droit deust rendre loy au corps
Et sentence, mais comme uns gluis e 20
Se ploie, et Justice est la duis/
Qui trop se trait de moy ensus;
Faintise court par ses conduis :
Tout va ce que dessoubz dessus.
— Adieu, dist donc Povre.té lors : 2 5
Voz pouoirs est frains et fendus,-
Les bons usaiges sont touz mors ;
Tout va ce que dessoubz dessus.
1. tiens toy. — 2. surs. — 3. conseil.
a. Habitué, expérimenté. — b. Le. — c. Debout. — d. Mot obs-
cur. — e. Brin de paille. — /. Le courant.
88 BALADES
DCCGXGIX
Balade.
(Contre les exactions des routiers.)
Las! il n'est mais pastour ne pastourelle
Ne nui qui puist a droit garder brebis,
Car li mastin ont perdu leur querelle
Par le default d'avoir assez pain bis,
5 Et les loups vont tout courre le pais,
Qui n'y laissent aignel, brebis, mouton F,
Vache ne veel, cheval noir, blanc ne gris,
Geline, oe a, ne 2 poucin ne chapon.
He! Dieu, que c'est dolereuse nouvelle!
10 Car du bestail estoit chascuns nourris;
De leur laine faisoit telz sa cotelle
Qui sera nuz, povres et esbahis ;
Labours faurront, et si a encor pis,
Qu'estranges loups s'assemblent a bandon *,
i5 Qui ne lairont a nul, ce m'est advis,
Geline, oe, ne poucin ne chapon.
Et j'ay veu vers la saison nouvelle
Que l'en chaçoit telz loups comme ennemis 282 d
Par cri royal et commission belle,
20 Dont chascun feu paioit .11. parisis ;
L'en les tuoit et pandoit on aussis.
1. brebis ne mouton. — 2. ne manque.
a. Poule, oie. — b. En grande quantité.
BALADES 89
Lors paissoient sûrement li chastron a.
Autrement va; plus n'arons, doulz amis,
Geline, oe, ne poucin ne chapon.
Telz loups rapaulx b valent pis que gabelle : 25
Frommaige, let, burre et oeufs sont péris,
Douce crayme, le maton en foisselle c ;
Far eulx seront après li enfant prins.
Que font lévrier et li alant d de pris?
Que font veneurs, et pourquoy ne chaç'on ? 3o
S'ilz ne chacent, plus n'aront, je leur dis,
Geline, oe, ne poucin ne chapon.
Noble Lion, le bestail vous appelle,
Et vous devez secourre voz subgis.
Chacez ces loups, et se nulz s'atropelle e 35
En voz marches, he souffrez le logis/;
Car vous pourriez par eulx estre honnis
Et acqueillir par leur fait povre nom ;
Briefment n'arez, se conseil n'y est mis,
Geline, oe, ne poucin ne chapon. 40
l'envoy
Princes, qui veult estre bien seignouris,
Et de bestail gras, peuz et nourris,
Le doit garder de loups et de larron
Et gouverner par bel et bon advis,
Ou autrement il n'ara, ce m'est vis *, 45
233 a Geline, oe, ne poucin ne chapon.
1 . advis.
a. Les moutons. — b. Rapaces. — c. Panier de jonc. — d. Chiens
courants. — e. Se réunit en troupe. — /. Le séjour.
90 BALADES
DCCCG
Autre Balade.
(// ne faut pas laisser aller sa femme aux fêtes.)
c
ompains, je suis en dolereus parti :
Belle femme ay et si Faim loyaument,
Pour ce me plust qu'elle fust delez mi a
Pour mon soûlas et mon esbatement l b.
5 Or voy seigneurs qui trop communément
La me viennent pour festes emprunter;
Si je l'octroy, je ne fais que muser;
En refusant, suis appelez jaloux ;
Conseilliez moy comment j'en doy ouvrer.
10 — Par mon conseil refusez la a tous.
— Vous dictes bien, mais j'aray lors le cri c
Que je mescroy d ma femme aucunement.
Les emprunteurs diront : « Vostre mari,
« Dame, vous fait blâmer couvertement ;
i5 « N'estes vous pas de bon gouvernement el
— « Oil, par Dieu. » Lors la feront errer/,
Disans : « Je croy qu'il vous veult enserrer f ;
« Il ne deust pas suspeçonner de vous. »
Elle plourra : comment puis je ordonner?
20 — Par mon conseil refusez la a tous.
I. et pour mon esbatement.
a. Auprès de moi. — b. Pour ma consolation et ma joie. — c.
Le renom. — d. Que je soupçonne. — e. Ne savez-vous pas bien
vous gouverner \ f. Faire mal. - g. Enfermer.
BALADES 9I
— En bonne foy, chier compains, je languy;
Cure n'ay plus de tel empruntement;
.vi. ou .vin. jours s'en va au virely a
Dancer sanz moy ma femme en parement b.
Si jaloux suis, venir puet autrement, 25
Car li cucus pourra pour moy chanter.
Par telz empruns ne me puis exempter
Que sur la fin n'aie trop maie toux,
— C'est donc le mieulx que de la refuser ;
Par mon conseil refusez la a tous. 3o
>33b — Compains, par Dieu, de voz sens vueil user :
Dessus garder vueil ma femme et dessoubz.
— Faictes donc tant qu'om ne s'en puist ruser c ;
Par mon conseil refusez la a tous.
DCCCCI
Autre Balade *.
[Avis aux serviteurs des princes.)
Plus sui muez en forme merveilleuse
Qu'Yo ne fut, qui en vache mua,
Ne qu'Antheus <*, en la fourest doubteuse,
Quant cerfs devint, qui d'angoisse sua
Devant ses chiens dont l'un mort le rua, 5
* Publiée par Tarbé, tome II, page ig.
a. Fête ou l'on dansait. — b. En toilette.— c. Tromper, abuser.
- ci. Actéon.
92 BALADES
Pour la forme bestial qu'il a voit;
Mais j'ay trop pis; cheval suis, qui me voit,
Viel, recréant, dont nature s'esmaie ;
Et qui pis est, l'en m'envoie tout droit,
10 Gom viel roucin, mourir a la Saussaye l.
Qu'est devenu ma jonesce joyeuse?
Ou est2 le temps que mes corps s'esprouva?
Qu'est devenu ma force vertueuse?
Ou est Amour qui lors me gouverna?
i5 Ou est un seul de ceuls qui lors m'ama?
Chascuns me fuit; nul d'eulx ne me congnoit,
Car viellesce sanz cause me deçoipt,
D'omme en cheval pour moy muer s'essaye,
Qui me tramet a desor, comment qu'il soit,
20 Com viel roucin, mourir a la Saussaye ].
En ce lieu a mainte religieuse ;
Beguinaige est que li roys y fonda ;
Les dames ont de droit, et leur prieuse,
Les vieux chevaulx du roy : sont menez la
25 Quant usez sont; mais on leur coupera
L'oreille avant; or je 3 ne sçay que doit *; 233 c
Je suis menez auques c par cest endroit;
Cheval me sens; doleur n'est que je n'aye;
Aler me fault, se Dieux ne me pourvoit 4,
3o Com viel roucin, mourir a la Saussaye l.
l'knvoy
He! jeunes gens, avisez par deçà :
Vieulx devendrez, il n'est chose plus vraie.
Pensez de vous; car lors l'on vous menrra,
Com viel roucin, mourir a la Saussaye.
i. saussoye. — 2. lest. — 3. je manque. — 4. pourvoie.
a. Envoie. — b. Ce que cela veut dire. — c. En quelque façon.
BALADES • IJ 3
DGCCCII
Balade \
(Maladie d'argent d'Eustache Deschamps.)
J»
ay par cinq ans esté en maladie,
Dont mire a nul ne m'a voulu guérir,
De pou d'argent, ou maint homme mendie;
Or ay trouvé qui m'a fait l'uis ouvrir
De surgien b pour mes plaies garir, 5
Li quelz m'a dit que je seray tous sains;
Mais il me fault endurer et soufrir
Le mal que j'ay jusqu'après la Toussains.
Si n'ay espoir en chose qu'on me die,
Pour le penser qui ne me laist dormir 10
Et la paour que j'ay qu'om ne m'oublie
Pour autres gens que je voy poursuir;
Tant de povres a un huis requérir
Fait leurs clamours escondire l et leurs plains c.
Pour l'amour Dieu, vueilliez faire fenir i5
Le mal que j'ay jusqu'après la Toussains.
Après ce jour, je, Eustace, supplie
Que vous vueillez a mon mal secourir
Et ordonner en l'apothicairie
Jaque Hemon chose qui puist tenir 20
* Publiée par Tarbé, tome I, page içy
1. Fait escondire leurs clamours. — 2. qui se puist tenir
a. Médecin. — b. Chirurgien. — c. Fait qu'on reruse leurs cris
t leurs plaintes.
94 BALADES
Sanz recoupper *, qui me face adoucir
De povreté les maulx dont je suis plains;
Si non, bien sçay que me fera mourir
Le mal que pay jusqu'après la Toussains.
25 Flament, Pierre, Crestien, je vous prie, 233 d
Garissiez moy, vous estes souverains l,
Ou autrement perdre fera ma vie
Le mal que j'ay jusqu'après la Toussains.
DCGCCIII
SUPPLICACION.
(Eustache réclame une houppelande promise par
le duc de Bourbon.)
A mon seigneur le duc de Bourbonnois
Supplie Eustaces, li baillis de Senlis,
Comme le temps li deviengne trop frois,
Et lui aiez hoppelande promis
5 Pour cest yver, et la panne de gris *,
Qu'il vous plaise de vo bénigne grâce
Que de vo don soit paiez a Paris :
Si prira 2 Dieu pour vous ledit Eustace.
D'Octobre vient et s'approuche li moys,
io Que gelées vendront sur le pays
I, souurains. — 2. priera.
a. Sans retrancher. — b. Doublure de fourrure.
BALADES g5
No a, Décembre, et Janviers li destrois,
Février et Mars, de nature ennemis;
Or est au bois, a la froidure, mis
Le suppliant qui trop doubte la glace ;
Ne soiez donc de lui paier remis b : i 5
Si prira 1 Dieu pour vous ledit Eustace,
Qui sur sa teste a grant froit a la fois
Pour ses cheveulx qui s'en sont départis;
Chaperon fault: si requiert au Galoys,
Ghasteaumorant 2, a Bischecourt aussis, 20
Gharle 3 et Hutin et tous ses bons amis,
Que chascun d'eulx sa besongne pourchace
Par devers vous; or ne soit escondis :
Si prira Dieu pour vous ledit Eustace.
DCCCGIV
Autre Balade *.
[Contre les chevaux trop jeunes.)
34a ' "^rois manières truis de chevaulx, qui sont
A Pour la jouste les uns, nommez destriers^
Haulz et puissans, et qui tresgrant force ont;
Et les moiens sont appeliez coursiers :
Geuls vont plus tost pour guerre et sont legiers; 5
Et les derrains sont roucins, et plus bas
* Publiée par Crapeiet, page g3.
1. priera.— 2. A chasteaumorant. — 3. Charles.
a. Novembre. — b. Ne remettez pas son paiement. — c. Je trouve.
96 BALADES
Chevaulx communs qui trop font de debas :
Aux labours vont, c'est du gendre a villain.
Quant jeunes sont, tout ruent en un l tas :
10 Pour ce ne doit nulz homs amer poulain.
Pour quoy? Pour ce qu'il se cuide b et qu'il ront,
En traversant des grans chevaulx sentiers,
Et en alant, s'embrunche c et tient son front
Par devant eulx, comme orgueilleus et fiers,
i5 Sanz regarder, car de ce est coustumiers;
Mais grans chevaulx s'arreste et va le pas,
Quant il est fais, sanz ruer en tous cas,
Et plus courtois bien s'ordonne en son frain ;
Ce ne fait pas uns petis poutriaux cras d :
20 Pour ce ne doit nulz homs amer poulain.
Car telz poulains versent et verseront
Euls et touz ceuls qui les lievent e premiers,
Si qu'a la fin les couls se casseront,
Ou advendra c'uns chevaulx grans et fiers
25 Ne pourra plus endurer leurs dangiers/,
Si les rura a terre et fera cas s
Tant qu'ilz mourront soudainement tous plas ;
Par tel orgueil roucins meurent tout plain ;
Les chevaulx fais vont mieulx a droit compas :
3o Pour ce ne doit 2 nulz homs amer poulain.
l'envoy
Princes, chevaulx qui est granz et pleniers3 234b
Et faiz du dent, est meilleur et plus sain
C'un roucin court, jeune et en ses cuidiers h ;
Pour ce ne doit nulz homs amer poulain.
1. un manque.— 2. devroit — 3. plumiers.
a. Espèce.— b. Se croit. — c. Baisse la tête. — d. Un petit poulain
gras. — e. Montent. — /. Leurs insolences. — g. Les brisera. —
h. Volontaire.
BALADES 97
DCCCCV
Autre Balade \
[Demande de bois pour l'hiver.)
Je me desmet de toute consequance
Et me rapporte a l'ancien usaige,
Bien observé en Champaigne et en France,
Que les chasteauls roiaulx ont leur chaufaige
En temps d'iver, hors bois et en boscaige, 5
Pour les parois et les murs reschaufer,
De certains bois que l'en fait délivrer
Aux chastellains; pour ce comme bailli
N'eriten ce bois, mes seigneurs, demander :
Pardonnez moy, se j'ay en riens failli ; 10
Mais le requier com faisant résidence,
Ayans hostel, mon estât et mesnaige
A Compiengne, ou chastel qui se lance
Dessus Aysne, lez le pont du rivaige.
Tel froit y fait en yver que c'est raige, i5
Tant que sanz feu îry pourroit nulz durer.
Ce non obstant m'a le vent assailli
Qui me destruit ; vueillez ce regarder :
Pardonnez moy, se j'ay en riens failli. 20
Je me soubmet a vo bonne ordonnance,
Vous estes 1 tuit nomme discret et saige ;
Publiée par Tarbé, tome II, page 14.
Et vous estes.
TV 7
98 BALADES
N'aiez regart si j'ay, par ignorance,
Mal impetré; corrigiez le langaige.
25 Considérez moy estre en un halaige a 234
Et le seurplus qu'om doit considérer,
Et me faictes la quelque bois livrer,
Ou cest yver seray trop mal bailli ;
Ne souffrez pas que je doie engeler:
3o Pardonnez moy, se j'ay en riens failli.
l'envoy
Treschiers l seigneurs, d'avoir ma délivrance
Et vostre grâce humblement vous suppli ;
Ma requeste n^iez en desplaisance :
Pardonnez moy, se j'ay en riens failli.
DCCGGVI
Autre Balade *.
[Conseils contre V hiver.)
Alarme ! Alarme ! Yvers est descendus
Sur le pais, a froide compaignie :
Il en a ja mains mors et enfondus.
Armez vous tost pour sauver vostre vie,
5 Car nulz ne tient contre s'artillerie;
Vent et grésil fait traire a ses archiers;
• Publiée par Tarbé, t. I, page i56. — Cette ballade se trouve égal
ment dans le manuscrit de lord Ashburnham, folio 35.
1. Mes treschiers.
a. En un chemin de halage.
BALADES 99
34 d Gelée et noif ■ "
Et bise fait la bataille première ;
Les mal armez assaudra tous premiers :
Garnissez vous, avant qu'iver vous fiere, 10
De bons harnois, de bons chauçons velus,
D'escafillons *, de sollers d'abbaie,
Pourpoins fourrez, les plates c pardessus,
De gardebras d pour le trait en partie;
Un jaque 2 e aiez ou grant cotte hardie ; 1 5
Pour gantelez parlez aux peletiers ;
Martres et gris achatez voluntiers,
Grans chaperons et cornette a visière,
Peaulx de chameulx et draps fors et entiers :
Garnissez vous avant qu'ivers vous fiere. 20
Et ne soiez rez/, baingniez ne tondus;
Mais voz menteauix fourrez n'oubliez mie;
Chaudes chambres natées sus et jus 8,
Les huis fermez, fenestre qui ne crie,
Le chaut civé et bonne espicerie, 25
Des meilleurs vins, chapons, connins, plouviers,
Garnache avant, ypocras soit portiers ;
De bon duvet faictes vostre litière h\
Ainsi fuirez la froidure, amis chiers :
Garnissez vous, avant quUver vous fiere. 3o
l'envoy
Princes, yvers les povres gens guerrie,
I. fait traire a ses a. — î. jaques.
a. Le copiste s'est trompé, sans doute, en recopiant ici l'hémis-
iche précédent. — b. Sorte de chaussure légère. — c. flaques de
nétal rondes ou carrées en forme d'écaillés. — d. Boîtes recouvrant
|avant-bras dans l'armure. — e. Une jaquette. — - /. Rasés. — g. En
aut et en bas. — h. Lit.
I 00 BALADES
Les mau vestus et les chetis escrie,
Perdre leur fait planche, pont et barrière;
Les riches non, car chascuns estudie
35 Contre le froit, et, quoy que nulz vous die,
Garnissiez vous, avant qu^yver vous fiere.
DGCGGVII
Autre Balade.
[Contre les regards mauvais.)
Je ne me plains en riens de Doulz Penser, 2 3$a
De Souvenir, ne d^spoir qui me fault,
Ne de Désir qui me fait tourmenter,
Ne de Refus qui par derrier m'assault,
5 Ne de Dangier, de tous ceuls ne me chault ;
Mais je me plaing d'un perilleus couart
Qui son siège a sur le front près du hault :
Pour ce hair doit chascun Mauregart.
Car nulz ne l puet en lui bien espérer,
10 Ainçois a tous bonne espérance tault •;
A droit ne veult nulz hommes 2 regarder
Fors de travers ; feu et flambe li sault
Par les .11. oeulx ; ceuls dont il fait bersault b
Sont plus navrez que d'arbaleste ou dart.
1 5 Je le sçay bien, féru m'a en sursnult :
1. ne manque. — 2. noms.
a. Ote. — b. But.
BALADES 10 I
Pour ce hair doit chascuns Mauregart,
Que l'en puet bien basilique nommer
Par son regart venimeux qui assault
Fait chascun jour a maint pour li tuer,
Par son venin un tresfort homme chault 20
Le front rougir. Amour, c'est grant deffault:
Envoiez loy a demourer autre part;
Par li perdrez tous amans, riens ne vault :
Pour ce hair doit ■ chascuns Mauregart.
l'envoy
Princes d'amours, vueillez nous délivrer 25
De ce serpent qui son venin espart
Sur voz subgiez, ou il nous fault finer :
Pour ce hair doit chascuns Mauregart.
DCCCCVIII
Autre Balade.
(Contre un savetier devenu, un moment, écuyer
et brigand^
23 *,b Tl me convient remettre a mon mestier
1 Je voy aler justice en plat pays.
— Et qui es tu? — Je suis un savetier.
g. doit hair.
a. Le.
102 BALADES
— En tel estât? — En es tu esbahis?
5 — Ouil, par Dieu. — Li temps fut tel jadis
Qu'om se deffist a pour autrui estât prandre,
Touldre b et rober, si que j'en suis hais :
J'ay grant paour qu'om ne me vueille pandre.
— Ont ainsis fait garçon li chevalier c,
10 Gomme je voy, qui portes telz habis?
— Ouil, certes; prestres et escolier,
Ghetives gens, chanoine l et moines gris,
Dont li peuples est las et amaigris,
Qui ne s'osoit de nous autres deffendre.
i5 Or me convient rendre ou estre fuitis :
J'ay grant paour qu'on ne me vueille pandre.
Je n'aray plus ne roucin ne trotier,
Et si seray de pluseurs poursuis;
Se je suis prins, je doubte le goisier :
20 Dures gens sont et prevosts et baillis;
Il n'a pas paix qui d'eulx est assaillis :
En gehinant d font trop larrons estendre.
— Fui t'en bien tost. — Vous dittes comme amis
J'ay grant paour c'on ne me vueille pandre.
l'envoy
25 — Povre meschans, prodoms doit estre chier,
Car par tout va, nulz ne le puet reprandre.
— Vous dittes voir; or me convient mucier e :
J'ay grant paour qu'on ne me vueille pandre.
i. chanoines.
a. Changea son état. — b. Enlever — c. Les chevaliers ont-ils un
garçon ainsi fait? — d. En donnant la question. — e. Cacher.
BALADES I03
DCCGCIX
Autre Balade *.
{Il faut pendre les malfaiteurs.)
\3$ c P"\IEU §art mon seigneur le bailli !
JLx — A Dieu 1 soiez, sire prodoms !
Que vous fault? Pas r^avez failli.
— Se vous voulez. Cyest uns homs,
Voire deux, murdriers et larrons, 5
L'un parmentier a rouge aumusse a,
L'autre savetier qui se musse *,
Qui jadis firent l'escuier
Et portoient plume d'ostrusse c :
Donnez leur l'ordre du cordier d. 10
Ceuls m'ont mainte foiz assailli
Et robe poules et chapons;
A pillier ne sont esbahi
Chevaulx, vaches, brebiz, moutons;
Or ont prins habiz de chartons -. 1 5
Un temps fut, se leur apparusse,
Que j'eusse un coup sur ma cocusse e ;
Reprandre leur fault leur mestier ,
Mais pour faire nouvelle prusse/,
Donnez leur l'ordre du cordier. 20
— Sergens, alez prandre celli
* Publiée par Tarbé, tome I, page i5g.
1. bien. — 2. charretons.
a. Chaperon. — b. Voir la ballade précédente. — c. D'autruche.
- d. Une corde pour les pendre. — e. Tête. — /. Prouesse?
J04 BALADES
A l'aumusse, nous le voulons,
Et l'autre pour parler a li;
Ces deux mettez en noz prinsons.
25 — Sire bailli, nous appelions
De ce grief, comme torturier.
— C'est bien dit, nous y pourverrons a :
3o Donnez leur Tordre du cordier.
— Or ça, venez parler a mi;
N'aiez paour. — Nous nous doubtons.
— Pourquoy ? — Veez la nostre ennemi.
— Dictes voir. — Chascuns est prodoms,
35 — Vous mentez. Tost les gehinons b.
— Haro ! — Qu'as tu ? — Pay pis que puce :
Je muir. — Dis donc. — Ha! saincte Luce!
Certes je suis larron, murdrier. 235 d
Bien vouldroie que je mourusse!
40 — Donnez leur l'ordre du cordier.
— Il l'ara; ses compains aussi.
Or tenez ces deux chaperons :
Estraing. c — Haro! pour Dieu, mercy !
Vous serrez trop fort les boutons!
45 — C'est trop tart. — Nous nous repentons :
De confesser ayons induce d.
— Il vous vaulsist mieulx estre en Russe e :
Dyables vous firent chevauchier !
Tout homme qui biens d'autrui suce,
5o Donnez leur l'ordre du cordier.
l'envoy
Princes, chassoires/, grésillons #,
a. Il faudrait ici une rime eu usse. — b. La question. — c. Serre.
— d. Délai.— c. Russie.— f. Fouets. — g. Fers, menottes.
BALADES I o5
Fers es jambes pour justicier,
Et pour pugnir mauvais garçons,
Donnez leur l'ordre du cordier.
DGCGGX
Autre Balade.
(Contre les bandits.)
Je voy le temps autre qu'il ne souloit,
Si me convient veoir que je feray :
Je prins partout tant com la guerre estoit,
Or perçois bien que je hais seray.
Si je suis prins, trop de doleurs aray ; 5
Car il ne court que baillis et prevosts.
Pour ce aler vueil estre barbier de bos a;
Ainsi convient que ma vie pourchace.
Ouvrer ne sçay. — Sueffre toy, tu es fols ;
Qui fuit toudis treuve bien qui le chace. 10
Venez vous ent, car je sçay un destroit,
236 a Pour bien gaingnier vous acompaigneray.
Nul de vous deux labourer ne sçaroit :
No bien commun bien vous departiray.
— Le promès tu? — Ouil. — Je te sivray J. i5
— Et je aussi pour départir des coups.
A tel mestier ne fault pas estre mois :
Bille du piet b) va devant, passe, passe;
i. serviray.
a. Bûcheron. — b. Joue des pieds.
IOÔ BALADES
Je doubte trop la suite des esclos a :
20 Qui fuit toudis treuve bien qui le chace.
— Je ne vueil pas faire par tel endroit.
— Que feras tu? — Tout mon estât lairay.
Je sçay mestier; pour ce, au chaut et au froit,
D'or en avant par tout en ouvreray,
25 Ou un maistre quelque part serviray.
Aler rober ne vueil pas a briefs mos.
Je me repens, trop fu josnes et fols,
Je vueil gaingnier mon pain en toute place
Sanz ressongnier justice ne ses cros :
3o Qui fuit toudis treuve bien qui le chace.
— Las! de servir grief chose me seroit,
D'ouvrer aussi, car pas aprins ne l'ay;
Il n'a c'un po que chascuns me servoit;
Garçon ainsi d'escuier devendray.
35 Jamais mestier aprandre ne voudray
Car ces ouvriers ont trop courbes les dos;
Je voy qu'ilz n'ont que le cuir et les os,
Li cuers leur fault et coleur leur efface;
Et nonpourquant se tu embles ne tols,
40 Qui fuit toudis treuve l bien qui le chace.
Je voy la gent, ne sçay se ce seroit
De ces pillars, je les araisneray b ;
Dieux gart! Seigneurs, voist chascuns ou il doit c.
Ce sont sergens, ne les attenderay,
45 Par saint Martin, compains, je m'en fuiray;
Devers les champs fait bon estre desclos d,
De toutes gens n'avons pas bien le los e : 2 36 b
Bon fait fuir qui a mauvaise grâce,
1 . treuve il.
a. Les traces des pas. — b. Je vais leur adresser la parole. —
c. Que chacun aille où il doit. — d. Libre. — e. Louange.
BALADES 107
Car se l'en n'est de ses péchiez rassolz «,
Qui fuit toudis treuve bien qui le chace. 5o
l'envoy
Or sus ! après ces larrons sanz delay !
Ils n'osent vir nul prodomme en la face;
Poursuiez fort, car en la fin bien sçay :
Qui fuit toudis treuve bien qui le chace.
DCGGGXI
Autre Balade.
(Requête d'une fiancée.)
Tresdoulz amis, parlerez vous a moy,
Qui chascun jour sui pour vo fait tancée?
— Dame, de qui? — De mon père, par foy,
Qui me met sus que je suis fiancée.
— A qui? — A vous. — Onques n'y oy pensée 5
Fors par honour, du gré de voz amis.
— Je vous en croy, ma mère m'a amis b
Que vous m'avez baisiée en mi la bouche.
Ce sçavez vous, ne me chaut de leur dis,
Car vostre amour trop fort au cuer me touche. 10
Mais l'en m'a dit de vous je sçay bien quoy,
Pour ce est vers vous ma mère forsenée,
a. Absous. — b. Imputé.
1 08 BALADES
Que vous avez autre amie en requoy a
Dont vous voulez faire vostre espousée.
i5 Je seroie contre raison moquée,
Et bien sçavez que vous m'avez promis.
— N'en créez riens ; ceuls sont mes ennemis
Qui ce dient pour moy faire reprouche;
De voz parlers suis forment esbahis 6,
20 Car vostre amour trop fort au cuer me touche. 236 c
— Puisqu'ainsis est, a vous du tout m'octroy;
Mais fort sera que vous soye donnée
De mes parens, car a chascun dire oy
Que vostre amour est trop habandonnée.
25 Je n'en puis mais, je Pay belle trouvée;
Se vous estes l de mon père escondis c,
Maintenez bien que vostre suis toudis,
Ne vous chaille se père ou mère grouche d 2.
Au fort diray vous estes mes plevis e,
3o Car vostre amour trop fort au cuer me touche.
— En telz dangiers trop petit me congnois,
Ce qui est mien demander ne m'agrée;
Ce n'est qu'oneur, voire, mais c'est anoy;
Vostre ami suis et vous estes m'amée;
35 Ja ne vueillez estre femme clamée,
Car en telz cas est chascuns asservis :
Franche vivez en amour, je frans vis.
Des mariez servitute s'aprouche.
— Vous dittes voir, or demourons ainsis,
Car vostre amour trop fort au cuer me touche. 40
l'envoy
Adieu, Picart. — Adieu, douce Bietrix.
1. este.
a. Secret.— b. Étonné.— c. Repoussé.— d. Gronde.— c. Mon fiancé.
BALADES IOg
A ce départ fault que je vous atouche.
Baisier vous vueil; soufrez vous a : c'est amis l,
Car vostre amour trop fort au cuer me touche.
s
DCCCCXII
Autre Balade.
[Vénalité de la justice.)
ergens, prenez moy ce larron,
Trop est de maie renommée.
236 d — Voluntiers ; venez en prinson,
Puis que la chose est commandée.
— Je n'ay meffait a ame née: 5
Que je parle au prevost a part.
— Adieu, il est huimais trop tart.
— Je lui diray, se vous voulez,
— Et que n'a il ou coul la hart *?
J'estoietrop mal informez. 10
— Veoir vous veult : il y fait bon.
— Alons y, mais près de rentrée
Retournez: tesmoin n'y voulon.
— Lierres c, par la vierge honourée,
Vo gueule sera estranglée, 1 5
Je vous livreray au frappart d.
— Prevost, pour Dieu, aiez regart
t. cest trop amis.
a. Résignez-vous. — b. Et que n'a-t-il la corde au cou? — c. Lar-
ron. — d. Au bourreau.
I 10 BALADES
A cent frans que vez ci, tenez.
Je suis prodoms. — C'est vray, Golart;
20 J'estoie trop mal informez.
Je m'en revois en no maison.
Sergens, reslargissiez l'entrée
De ce varlet, c'est un prodom.
— Par la char Dieu a, c'est grant fumée b !
25 C'estoit un larron a l'entrée,
Mais en tant d'eure qu'il espart c,
Faictes d'un larron papelart.
En po de temps gens reformez.
— Cilz ci n'a pas mangié le lart <*,
3o J'estoie trop mal informez.
— Or me dittes : comment fait on
Si tost prodomme a la volée e
D'un murdrier, d'un mauves garçon?
— Quant son innocence est trouvée.
35 Par cent tesmoings l'a cilz prouvée :
Saichiez, ce n'est pas un coquart/;
Dire ne sçaroie le quart
Des biens qui sont en lui trouvez. 2 3y a
Ne m'en enquerez plus, Lietart :
40 J'estoie trop mal informez.
— A tout le moins, qui paiera mon
Salaire de celle journée?
— Souffrez vous ë\ sergent, j'en respon,
Tenez dix soulz. — Pas ne m'agrée.
45 — Vous avez tort, c'est grant boursée *.
Je les preste, se Dieu me gart.
— Vo bourse est devenue happart *
a. Par la chair de Dieu ! — b. Folie — c. Mais dans la durée
d'un éclair. — d. 11 n'est pas coupable. — e. A la légère. — /. Sot.
— g. Patientez. — h. Somme. — f. Crochet.
BALADES I i I
Puis que les larrons y pandez.
— Souffrez vous; car, par saint Lienart,
J'estoie trop mal informez. 5o
i/envoy
Sergens ! — Maistre? — Nous delivron
Ce varlet qui fut arrestez.
— Voist a Dieu, c'est assez raison :
Vous estiez trop mal informez.
DCCCCXIII
Autre Balade.
(Sur un faux brave humilié par un moine.)
Qu'est ce ci? Dieu ! quel belle espée,
Quel baston et quelle taloche a,
Quelle dague ! Est elle carrée ?
Elle sonne comme une cloche.
— Il n'a rien en mon fait qui loche b : 5
Je sçay jouer de Tescremie c -,
Qui me voulroit tollir m'amie,
11 ne l'auroit ' pas d'avantaige :
Bien y pourroit perdre la vie.
— Ribaut, trop avez de langaige! 10
23y b Vous démenez trop grant posnée d,
i. lairoit.
a. Espèce de bouclier. — b, Cloche. — c. Escrime. — d. Orgueil.
112 BALADES
Il semble ce soit une roche a ;
Vous combatez a la rousée,
Mais vous arez de ceste broche b.
i5 — Biau sire, laissiez me caboche :
Par la char Dieu, c'est villenie;
Bien sçay tel cui ne plairoit mie,
S'il vous veoit, de mon linaige c.
Que vous meffaiz se m'esbanie d ?
20 — Ribaut, trop avez de langaige!
Puis que vous desirez l'armée,
Combatez vous quant je vous broche e,
A moy Tarez. — Est ce meslée?
— Oil, ne vous prise une loche.
2 5 Ceste dague vueil que j'acroche,
L'espée aray d'autre partie.
Tout vendra en nostre abbaie,
Femme et taloche, a mon usaige.
Riens n'y vaudra vostre envaye.
3o — Ribaut l, trop avez de langaige!
Vous avez la teste sacrée,
Et pour ce de vous ne m'approche,
Mais vo vie sera comptée
A la court, se du pie ne cloche.
35 11 me seroit trop grant reproche
De vous ferir : escommenie/
En aroie. — Pour ce vous prie,
Soufrez vous s de moy faire oultraige.
C'est péchiez, par saincte Marie.
40 — Ribaut, trop avez de langaige !
1. Ribaus.
a. Forteresse bâtie sur un rocher. — b. Fourche. — c. De ma
famille. — d. Quel tort vous fais-je si je me divertis? — c. Quand
je vous pique. — /. Excommunication. — g. Abstenez-vous.
BALADES I i 3
Ma dague vous sera donnée
Et mon bouclier, a tout la croche,
De bon cuer et paix confermée
Entre nous deux. Du vin abroche a
Meilleur, .11. poz, dont chascuns troche b. 45
2^7 c — J'auray doncques, une nuitie,
Geste que j'avoie aguaitie c
Dès nui matin a ce passaige?
Je le vueil a la départie.
— Ribaut, trop avez de langaige ! 5o
i/envoy
— Adieu, compains de Picardie
Qui tant avez de vassellaige.
. -— Alez, moines, Dieu vous maudie.
Ribaux, trop avez de langaige !
DCCCCXIV
Balade.
(Plus de guerres.)
Guetier par nuit, de jour a la barrière,
Edifier l tours et arrier 2 fossez,
Soudaulz d avoir, arrierguet par derrière,
Estre tousjours de haubergon e armez,
1 . Et édifier. — 2. arrière.
a. Mets en perce. - b. Trinque. - c. Guettée. - d. Soldats
e. Cotte de mailles.
T. V
114 BALADES
5 Faire escoutes a qu'on ne soit eschelez I,
Savoir le cri c de la nuit au certain,
Arbalestiers, et avoir capitain
Aconvenu d, et souvent guerroier
Jusques a cy; or fault, si com le tain e,
10 Voler, chacier, jouster et tournoier.
Soufert avons au temps ça en arrière
Guerre et tourmens dont trop sommes foulez ;
Guez de chasteauls, mainte parole fiere,
Des ennemis tuez et ransonnez.
i5 Le plat pais a este tel menez
Que l'un estoit Genevois, l'autre Yvain,
Si que prodoms n'osoit logier a plain/.
Or nous veult Dieu le bon temps envoier;
Se paix avons, il fault de main en main 23y d
20 Voler, chacier, jouster et tournoier.
Ainsis rarons nostre vie première
Et revendront les gens déshéritez
A leurs labours, faire de lie chiere
Dances, chançons, festes et menestrelz;
2 5 Justice, loy, raison et veritez
Qui a chascun tendront droitte la main;
Ainsis le veult le prince souverain
Pour lequel doit moult le peuple prier,
Quant de guerre nous fait par cas soudain
3o Voler, chacier, jouster et tournoier.
l'envoy
Prince \ en tous cas de la guerre me plain :
i. Princes.
a. Sentinelles — b. Surpris par escalade. — c. Le mot d'ordre.
— d. Retenu par contrat, — e. Je le tiens. — f. Les bonnes gens
n'osaient loger en plaine.
BALADES I I 5
Vueillez a paix vostre cuer avoier a
Tant que nulz homs n'ait desor en desdain
Voler, chacier, jouster et tournoier.
DCCCCXV
Autre Balade.
[La grandeur et la richesse ne font pas le bonheur.)
Moult se vantoit li cerfs d'estre legiers
Et de courir dix lieues d'une alaine,
Et li cengliers se vantoit d'estre fiers,
Et la brebiz se louoit pour sa laine,
Et li chevriaux de sauter en la plaine 5
Se vantoit fort, li chevaux l estre biaux,
Et de force se vantoit li toreaux,
L'ermine aussi d'avoir biau peliçon b\
Adonc respont en sa coquille a ciaulx c:
« Aussi tost vient a Pasques limeçon. » 10
Les lions voy, ours et lieppars premiers,
Loups et tigres, courir par la champaigne,
Estre chaciez de mastins et lévriers
238 a A cris de gens, et s'il est qu'om les praingne
Tant sont hais que chascun les mehaingne d 1 5
Pour ce qu'ilz font destruction de piaulx ;
i. chevriaux.
a. Conduire, diriger. — b. Robe fourrée en dehors. — c. A ceux
i. — d. Les maltraite.
I I 6 BALADES
Ravissables a sont, fel et desloyaulx
Sanz espargner, et pour ce les het on.
Gourent ilz bien, sont ilz fors et isneaulx *?
20 Aussi tost vient a Pasques limeçon.
Cellui voient pluseurs par les sentiers :
Enclos se tient en la cruise qu'il maine,
Sanz faire mal le laiss' on voluntiers,
Tousjours s'en va de sepmaine en sepmaine;
25 Si font pluseurs en leur povre demaine
Qui vivent bien soubz leurs povres drapeaulx,
Et s'ilz ne font au monde leurs aveaulx c,
Si courent ilz par gracieus renon
Quant desliez sont aux champs buefs et veaulx
3o Aussi tost vient a Pasques limaçon.
l'envoy
Prince, les gens fors, grans, riches, entr'eaulx
Ne tiennent pas toudis une leçon ;
Pour eulx haster n'approuche temps nouveaulx
Aussi tost vient a Pasques limaçon.
a. Ravisseurs. — b. Prompts. c. Leurs désirs.
BALADES I 1 7
DCCGCXVI
Balade.
(Eloge de la largesse, sauf en amour.)
E
n tous cas est largesce renommée,
Aux donneurs fait avoir grâce et renon,
Du monde a los a, elle est de Dieu amée
Qui du mantel Martin reçut le don *,
Duquel donna a son povre un copon c 5
Pour lui couvrir au dehors près d'Amiens K
Face chascun largesce de ses biens
Fors en un cas qui engendre dolours;
238 b La fault moyen : saige, ce mot retiens :
Ne face nul grant largesce d'amours. io
Mais d'autres biens soit faicte la donnée d
Aux povres Dieu, pour l'ame avoir pardon ;
La maison soit aussi habandonnée e
Des grans seigneurs ; prelas aient le non
D'aidier les clercs et qu^lz leur soient bon ; 1 5
Marchans, bourgois, ne facent comme chiens
Qui tout mangue et ne veult donner riens ;
Soient piteux, facent humble secours
Aux soufraiteux; au surplus je maintiens,
Ne face nulz grant largesce d'amours. ,20
Par le monde ot Alixandre nommée/,
I. près manque.
a. La louange. — b. A qui saint Martin donna son manteau. —
c. Morceau, coupon. — d. La distribution. — e. Ouverte à tous. —
/. Renommée.
I 1 8 BALADES
Par largement donner a maint baron ;
Vaspasien, Titus, qui a l'espée
Jherusalem subjuga, ce scet on,
25 Largesce voult ; mais en celle amour non,
Qui au corps nuist, c'est périlleux liens;
L'ame destruit en ordure et en l fiens
De luxure, c'est vilz péchiez et lours;
Pour ce suppli a tous les terriens :
3o Ne face nulz 2 grant largesce d'amours.
DCCGCXVII
Autre Balade.
(Eloge de l'épargne, sauf en amour.)
En tous estas est espargne en saison,
N'estre ne puet du sien trop bonne garde,
Soit bief ou vin ou autre garnison ;
Pour ce est saiges qui a ces poins regarde,
5 Car d'un festu mis a part, quoy qu'il tarde,
Puet un chascun ains l'an avoir mestier.
Trois choses hors, c'est cocart ou cocarde a,
Et de putain ne face ja grenier b.
Car en ces trois n'a sens, bien ne raison ;
io Gonardie fait conart et conarde,
Et putain fait larrecin, traison, 2 38 c
i. en manque. — 2. ne tacent grant.
a. Sot ou sotte. — b. Provision.
BALADES 119
Pechié de char et son visaige farde,
Homme destruit, de deshoneur le larde,
Tant qu'âme et corps y pert au derrenier.
Qui saiges est, de telz vices se garde |5
Et de putain ne face ja grenier.
Car telz grains fait empirer la maison
Tout happe et prant, elle a oeil de renarde;
De tel grenier devient chascun mais a hom,
On en pant l'un, souvent fault que l'autre arde. 20
Au commencier fait trop la papelarde
Et toudis tent a prandre et a mucier b :
Voist homs jouer a escu ou a darde c
Et de putain ne face ja grenier.
DCCGCXVIII
Balade \
(Sur sa nomination comme bailli de Senlis.
Jeux de mots sur le nom de Senlis.)
Chascuns me dit : « Dieu vous doint joie
De vostre nouveau bailliaige
De cent lis ! » Mais coissin d ne toie e
De lit n'ay encor en mesnaige;
Pour ce ne vault riens ce langaige. 5
* Publiée par Crapelet. p. §4.
a. Mauvais. — b. A cacher. — c. A flèche. — d. Coussin. — e.
Taie d'oreiller ou toile de lit.
1 20 BALADES
Quant je n'ay pas un de cent lis,
Je ne suis pas de cent baillis,
Non mie d'un seul pour certain;
Cilz titres m'est du tout faillis :
10 II me fault couchier sur l'estrain «,
Aussi n'est il sens c'on y voie,
Ces .11. mos n'ont fors que l'usaige
Du parler, sens fait b toute voye,
Car sens et liz sont en umbraige ;
1 5 L'un ne l'autre n'ay, c'est dommaige
Pour moy, qui n'en suis pas garnis :
Ainsis suis des gens escharnis c
Qui me nomment des deux en vain.
S'autre remède n'y est mis, i38 d
20 II me fault couchier sur l'estrain,
Et faire couste d'une cloie d
Et coussin d'un fais de ramaige e
Et dossier de terre ou de croie/,
Comme on fait en un hermitaige.
25 Je ne suis c'un bailli sauvaige
Duquel l'ostel est mal fournis :
Les arondes s y font leurs nis
Et li cahuant *, soir et main.
Se je n'ay aucuns bons amis,
3o II me fault couchier sur l'estrain.
L ENVOY
Princes, s'autres noms ne m'est mis,
Ou n'y pourvoiez plus a plain,
a. La paille. — b. Sans réalité. — c. Raillé, moqué. — d. Faire
matelas d'une claie. — e. D'un fagot de bois. — /. Craie. — g. Les
hirondelles. — h. Ghat-huant.
BALADES I 2 I
Pauray un trespovre logeis :
Il me fault couchier sur l'estrain.
DCGGGXIX
Autre Balade.
{Demande au prince de Bar d'un cheval promis depuis
longtemps.)
Or ay je tant, Dieu merci, attendu
Que désormais puis bien avoir mon don,
Car vous avez, si com j'ay entendu,
Et de nouvel, deux genès d'Arragon :
Envoiez moy coursier ou roucin bon, 5
De ce suppli vostre haulte 1 noblesse,
Et mesmement que vous avez le nom
De voluntiers tenir vostre promesse.
J'ay mon argent en Julliers despandu,
Et Ardenne a destruit le compaignon ; 10
Par les bois sont my cheval morfondu,
Riens ne me vault fraper del'esperon;
23g a Autant vauldroit chevauchier un baston
Que mes chevaulx, dont chascun d'eulx me lesse;
Acomplissez donques vostre renom i5
De voluntiers tenir vostre promesse.
Un lay vous doy, bien vous sera rendu,
i. hault.
122 BALADES
Et chascun an, pour ce et en guerredon,
Coursier aray de vous ou j'ay tendu.
20 Promis Pavez, jugiez se c'est raison ;
Sinon croupir me fault en ma maison
Ou chevauchier jument, asne ou asnesse;
Ne faillez donc, ce seroit desraison,
De voluntiers tenir vostre promesse.
l'envoy
25 Princes de Bar, ne querrez achoison a
De refuser ce de quoy je vous presse,
Car plus donrrez, plus arez a foison
De voluntiers tenir vostre promesse.
DCCCCXX
Autre Balade *.
( Quand reviendra notre roi à Paris ? )
[i38ç]
En retournant du palais a saint Pol,
Vy mainte gent complaindre et gramenter;
Et en Grève ribauk portans au col,
Né font toudis qu'enquerre et demander :
5 « Et quant sera le roy au retourner
* Publiée par Tarbé, tome I, page 109, et, en brochure, en 1849* à
Reims, avec préface et notes.
a. Occasion, prétexte.
BALADES 123
De Languedoc ? Trop y fait grant demeure :
Il n'a ouvrier a Paris qui n'en pleure,
Car riens ne font ». Chascuns est esbahis,
En enquerrant le temps, le jour et l'eure :
« Quant revendra nostre roys a Paris? » 10
A Petit Pont ne font faucons leur vol,
Ne les brodeurs n'ont gaires a broder.
A bon marchié sont es halles li chol a,
23g b Les draps aussi et harnois pour armer.
Les cousturiers n'ont gaires a ouvrer ; i5
Sellier n'y a qui petit ne labeure,
Ne fillette qui vers les clercs ne queure b ;
L'en a assez d'icelles juste pris.
En demandant courent Pun l'autre seure :
" « Quant revendra nostre roy a Paris ?» 20
Les poullailliers c et lormiers d seront foi :
Riens ne vendent ; on laisse le chanter
Es tavernes, car vin sont dur et mol ;
Les heaumiers « laissent le marteler ;
Les orfèvres n'ont pas trop a dorer; 2 5
Je n'y voy nulz fors changeurs qu'on aeure/ :
Pources blans neufs ^convientqu'om les honeure,
Hz aront tout l'argent du plat pais.
Dont chascuns dit, a cuer plus noir que meure h :
« Quant revendra nostre roy a Paris ? * 3o
l'envoy
Prince, pour vous des nouvelles mander,
Quant je les ay ainsis oy parler,
a Les choux. — b. Ne coure. — c. Les rôtisseurs. — d. Ou-
vriers selliers et éperonniers. — e. Ceux qui fabriquent les heau-
mes. — /. Révère. — g. Nouvelle monnaie. — h. Mûre.
I 24 BALADES
De leurs regrès ceste balade escrips.
Par vo retour se puet tout amender;
35 Mais sanz celi ne puet ce mot cesser ;
« Quant revendra nostre roy a Paris ? »
DCCGGXXI
Autre Balade.
(Plus on le voit, moins on le prise.)
D
ont puet venir la fortune que j'ay
N'en quel climat pot mes corps estre nez?
Esbahis sui de ce que ne le sçay,
Car en tous cas suis si fort fortunez
5 Qu'au premier cop suy par tout honourez
Sanz ce que j'aye aucune congnoissance ;
Mais plus y suis et moins ay de puissance, 23g c
Et suis de touz escharnis et rusez a;
Dont puet venir sur moy tel desplaisance ?
io Plus me voit on, tant suis je moins prisiez.
Pour ce jamais en un lieu ne seray,
Se j'euvre a droit, longuement arrestez;
Ainçois d'un lieu en un l autre j'iray 2
Et par ainsis puis estre renommez;
1 5 Par long demour seroie diffamez.
i . un manque. — 2. iray .
a. Raillé et repoussé.
BALADES 125
Résister vueil donc a mon influance,
Merveilleus sui quant je voy et je pense
Qu'en trespassant a fuy fort ■ auctorisiez,
Et long séjour me nuist et desavance :
Plus me voit on, tant suis je moins prisiez. 20
Trufes ne sont b ; tenez que c'est tout vray
Et que je suis au premier bien amez;
Mais aussi tost que g'i arresteray,
Ou je saiz 2 bien, si suis je reboutez
Par faulz rappors, et par derrier moquez. 25
Dont puet venir tele desordonnance c
Encontre moy et tel descongnoissance d7
S'ont fait les sors dont je suis destinez e:
Fuir me fault; n'est ce pas grant meschance?
Plus me voit on, tant sui je moins prisiez. 3o
l'envoy
Prince, bien doy tele persévérance
Et tel climat dont je suis gouvernez
Craindre et hair, qui si me desavance :
Plus me voit on, tant suis je moins prisiez.
1. forment — 2. faiz.
a. En passant. — b. Ce ne sont pas des mensonges. — c. Dé-
sordre. — d. Méconnaissance. — e. C'est ce qu'ont fait les sorts
qui ont marqué ma destinée.
I 26 BALADES
DGCCCXXII
Autre Balade,
(Contre Brugaud.)
Boniface, Miraumont et Poitiers, 23g d
Vilebeon, Billi, ceuls de Touraine
Ont Chastelet tenu deux jours entiers
Sur les carreaulx, par la court souveraine,
5 Dont l'un disoit : « Dieu mette en malestraine a
Cellui par qui nous faisons cy le guet !
Car Folie nous a basti ce plet
Par un homme qui a le cul trop chaut.
— Vous dittes voir, ce respont un varlet :
io Mauditte soit la couille de Brugaut !
Car ce qu'il gist aux femmes voluntiers
Aux samedis et en la quarentaine b,
Et que toudis en est plains ses greniers,
Le fist happer assez près de Behaingne c
i5 Par les sergens, et lors crioit s'enseigne;
Maint le suy jusques en Chastelet ;
Ramenez fut et prins par le colet;
Mais Pendemain furent mit mis en hault
Les rameneurs rf, ou il fait ort e et let :
20 Mauditte soit la couille de Brugaut,
a. En malheur, en mauvaise chance. — b. Pendant le carême.
— c. L'hôtel de Bohême à Paris. — d. Ceux qui le ramenèrent.
— e. Sale.
BALADES 127
Qui ainsi fait tenir les prinsonniers !
Chastrer le fault, c'est la voie plus saine.
Si ne sera plus ribaut ne putiers,
Ou autrement doubt qu'il ne s'en refraingne.
Soit pardonné a la povre compaigne a 2 5
Pour ceste foiz la foleur qu'elle a fet,
Et l'en face Brugaut chastrer de fet,
Car par ce point ne sera plus ribaut h
Puis qu'en prison sont tant, oultre leur het b,
Mauditte soit la couille de Brugaut! » 3o
l'envoy
Princes, merci aux povres escuiers :
Délivrez les, vostre grâce leur fault;
240 a Poulz et puces ont ja quatre milliers :
Mauditte soit la couille de Brugaut !
DCCCCXXIII
Autre Balade.
(Contre la danse au son du chalumeau.)
Des merveilles de quoy on puet parler
Et qui cheent en raison de nature,
Qu'om puet veoir deçà et delà mer
Treuve on bien cause et certaine figure,
1. ribaux.
a. Compagnie. — b. Contre leur plaisir.
1 28 BALADES
5 Pourquoy se font; mais une est trop obscure
. Entre les gens et aux festes royaulx ;
La ne voit on sens, raison ne mesure :
C'est de dancier au son des chalemiaux.
Car un soufleur qui commence a soufler
io En une piau, cornant la turelure rt,
Fait entour lui mainte gent assembler
Qui de joie n'ont a celle heure cure;
Com hors du sens sautent a desmesure *,
Balans des piez, des mains et des trumeaulx c,
1 5 La ne voit on sens, raison ne mesure :
C'est de dancier au son des chalemiaux.
Sotie est grant d'ainsi gens démener
Au son d'un foui d; encor plus grant laidure
D'euls tenir coiz quant on laisse a corner,
20 Vous ne verrez lors mouvoir créature :
Le vent n'est rien, nul proufit n'y procure,
Fors le soufleur, gent qui fait telz aviaulx •;
La ne voit on sens, raison 1 ne mesure :
C'est de dancier au son des chalemiaulx.
l'envoy
25 Prince, l'en puet en tout cause trouver
Des ars mondains, excepté du dancer
Aux instrumens des hommes bestiaulx, 240 b
Qui par leur son font les gens enchanter
Et hors du sens maintefois ressembler :
3o C'est de dancier au son des chalemiaulx.
1. raison sens.
a. Cornemuse. — b. Avec excès. — ■ c. Jambes. — d. Soufflet. —
e. Plaisirs.
BALADES
129
DCCCCXXIV
Balade *.
(Guerre de J. d" Armagnac contre J. G. Visconti.)
[i3gi]
Il a grant faim d'estre chetis,
De chcvaulx et corps exillier rt,
De gaster argent et habis,
De sentir plouvoir et negier,
De vivre et gésir a dangier *, 5
Qui part du doulz pais de France,
A grant frait et a grant despence,
Pour veoir Milan et Pavie.
Quant proufit n'y a, ne vaillance,
Eustaces dit que c'est folie. 10
Puis Aiguebelle au mont Cignis c
Fault entre roches chevauchier,
Quatre ou six jours, tresdur pais,
• Et en povres logeis logier,
Avoir po a boire et mangier, i5
Et paier tout a l'ordonnance
Des paisans. Outrecuidance
Fait homme aler en Lombardie.
Sanz grant besoing qui la s'avance,
Eustaces dit que c'est folie. 20
* Publiée par Tarbê, tome l,page 118.
a. Ruin«r, dévaster. — b. A peine. — c. Le mont Cenis.
T. V
l3o BALADES
N'est pas bonne vile Paris,
Reins et Rouen pour soy aisier a,
Amiens et l, Arras et Senlis
Ou li vivre ne sont pas chier?
25 La ne fault marron 6, n'estrangier,
Ne sur la nege avoir doubtance,
N'a la Ferriere desplaisance
Ou l'en pert par cheoir la vie 240 c
Souventefoiz. Qui suist tel dance,
3o Eustaces dit que c'est folie.
l'envoy
Princes, desor vueil tenir chier
Senlis, ou il fait beau chacier,
Crael c, Biauvoisin d et Picardie ;
Ainçois me lairoie escorchier
35 Qu'en Lombardie alasse arrier e :
Eustaces dit que c'est folie.
DCGGCXXV
Balade.
[Deschamps demande conseil à maître Mathieu
et à maître Regnault.)
Maistre Mahieu,et vous, maistre Regnault,
Conseilliez moy contre Aoust et Juillet,
i, et manque.
a. Pour être à son aise. — b. Voiturier. — c. Creil. — d. Beau-
voisis. — e. Encore une fois.
BALADES 1 3 I
Car par dehors me fait ardoir de chaut
Et par dedenz li feux par tout se met ;
Si je ne boy, il est de mon corps fet, 5
Car j'arderay et dehors et dedens,
Ne je n'ay cuer, foye, liefres a ne dens.
— N'aiez paour, certes ce fait lô temps :
Remède nul n'y a que boire fort.
— A quel vaissel ? — Un demi lot vous fault, 10
Voirre parfont b ou un grant gobelet.
— Maistre, et quel vin? — Au froit faictes l'assault,
Qui soit raiant c, gracieus, vert, claret,
Frique d, friant, odorant, vermillet,
Non pas trop fort, et soiez diligens 1 5
Du bien tremper, si facent toutes gens;
Mouilliez toujours vo bouche a grant effort.
Par le conseil de tous phisiciens,
Remède nul n'y a que boire fort.
240 d — Et du mangier ? — Laitue, aigre vin vault, 20
O le pourpié, qu1om tiengne son corps net,
Et qu'om fuie le con traire en bersault e,
L/ombre tenir et disner matinet ;
Porée/au vert et le jeune poulet,
Vergus de grain et d'orenge, c'est sens, 2 5
Et qu'om ne jeue a nulz gieuz eschaufans, -
Ne au souleil, car c'est péril de mort ;
Qu'om soit joieux, et pour telz chaux ardans,
Remède nul n'y a que boire fort.
l'envoy
Prince, mon corps par boire se refet 3o
a. Lèvres. — b. Verre profond. — c. Rayonnant, brillant.
d. Frais. — e. But. — /. Poireaux cuits.
I 32 BALADES
Dès le matin et jusques au cliquet a
De la mie nuit me fait vins reconfort;
Quant je le sens si froit, si radelet &,
J'apperçoy lors qu'en la chalour qui fet
35 Remède nul n'y a que boire fort.
DCCCCXXVI
Autre Balade *.
[Récit d'une aventure amoureuse.)
J'amay jadis de trop parfaitte amour
Pour chevauchier Jehanne no chamberiere,
Mais en son lieu se mussa en destour
Ma femme, et lors je m'en cours par derrière :
5 Jus la gettay, j'entray en sa rouyere
Et commençay forment a tabourer;
Mais la pusse .xiiii. ans demourer,
Car riens n'y fis; lors me sceut bien reprandre,
Disans : « Ribaus, cuidoies tu trouver
io Jehanne? — Nenil. — Le vit ne te veult tendre.
« Dieu ! la meschant, qu'elle eust eu povre jour!
Plus n7a en toy ne pouoir ne matière ;
Avoir ne doiz desor c'un viez tabour,
Tresort ribault, qui es près de ta bière. 241 a
i5 J'apperçoy bien ta ribaude manière,
* Le refrain de cette ballade ne se trouve pas à la table.
a. Jusqu'à la cloche de minuit. — b. Vif, ardent, vigoureux.
BALADES 1 33
Tu ne puez plus ton ordure l celer :
Dieu ! quel varlet pour dames labourer,
Qui n'a en lui de moisteur ne que a cendre !
N'aiez plus soing de baisier Racoler
Jehanne. — Nenîl.— Le vit ne te veult tendre. »20
De sa hanche me bailia lors un tour,
En escouant b tant que je chus arrière ;
Honteus lui dis pour garder mon honour 2 :
« Cilz vous congnut, quant il fist mate chiere.
Las! c'est mon vit qui congnoist vo louviere c, 25
Ou vous l'avez fait mainte foiz plourer;
Il vous craint tant qu'il ne s'ose lever;
Pardonnez moy, ne vous congnu au prandre. »
— « Tais toy, ribault, cuides tu recouvrer
Jehanne ? — Nenil. — Le vit ne te veult tendre. » 3o
l'envoy
Prince, on doit bien un tel vit honourer,
Qui tost congnoist ce qui le puet grever
Et qui ne veult a son dommaige entendre.
Amer le doy; voist ma femme jangler,
Qui tousjours dit : « Veuls tu despuceler 35
Jehanne ? — Nenil.— Le vit ne te veult tendre. »
l, tordure. — 2. honeur.
a. Non plus que. — b. En secouant. — c. Trou.
1 34 BALADES
U
DCCCCXXVII
Autre Balade *.
(Sur l'ordre de la Baboue.)
n ordre sçay de nouvel establie,
Dont maintes gens se doivent fort loer,
Et ou l'en doit boire jusqu'à la lie
Tant qu'es henaps ne doit riens demourer.
5 Et si doit on toudis du pot verser
Vin es vaisseaulx, l'un l'autre requérir :
Les requerans y doivent obéir, 241 b
Sanz refuser tout boire, et sanz escroe a :
Ainsi se doit cest ordre maintenir
10 Qui s'appelle Tordre de la baboe b.
Siffrevast est abbez de l'abbaie ;
De son convent vueil les moines nommer :
Rocherousse, le Flament ne s'oublie,
Robert Tesson et Enfernet le ber c,
i5 De Poquieres le borgne bachelier;
Pierre vous vueil de la Tremoille offrir,
Les Bouciquaux qui ce puelent d souffrir,
Harmanville, Régnier Pot, que je loe,
Car bien se font en l'église servir
20 Qui s'appelle l'ordre de la baboe.
De Jehan Augier convient que je vous die,
' Publiée par Tarbé, tome l, page i58.
a. Brevet. — b. Grimace. — C, Le brave. — d. Peuvent.
BALADES 1 35
De Saint Germain, Montagu au vis cler,
Et d'Uguenin a la chiere hardie,
De Chevenon qui bien se scet huver.
Messire Arnoul y scet boire et humer; 25
Sempy et Sync s'i scevent contenir :
Et d'Angenes font la Regnaut venir ;
Le Barrois fait a Thoiigny la moe :
En la maison se scevent bien chevir
Qui s^ppelle Tordre de la baboe. 3o
De ceste ordre qui vient de Normandie
Ne doy Pierre de la Haie oublier,
Ne Guillaume de TAigle, a ceste fie,
Jehan y doit d'Estouteville aler,
Robinet doy de Boulongne appeler ; 35
Car puissans est pour l'ordre soustenir
Ou l'en ne doit nul homme retenir,
Se tant ne boit que son cuer en vin noe a :
Lors en l'ostel puet moines devenir
Qui s'appelle l'ordre de la baboe. 40
Car, par ma foy, c'est noble compaignie
241 c Ou l'en oit bien tabourer et hurter.
On y sert Dieu du main jusqu'à complie ;
Nulz malades n'y puent demourer.
L'un a l'autre fait le vin présenter 45
Tant q^a boire font touz les poz tarir.
Qui malade est, la se face garir.
Car maint y ont gros nés et grosse joe,
Qui ne scevent de Tostel départir
Qui s'appelle l'ordre de la baboe. 5o
a. Nage.
1 36
BALADES
L ENVOY
Princes, qui veult rire et soy esjoir,
De biaus parlers et de bons moz oir
Et de chascun la manière et la roe a,
Voise veoir * ces gens au départir
55 De la maison, ou maint sont vray martir,
Qui s'appelle l'ordre de la baboe.
DGGCCXXVIII
Balade.
(Sur sa mauvaise chance et sa pauvreté.)
s
^ e tous li cielz estoit de fueilles d'or,
Et li airs fust estellez d'argent fin,
Et tous les vens fussent plains de trésor,
Et les goûtes fussent toutes flourin
5 D'eaue de mer, et pleust soir et matin
Richesces, biens, honeurs, joyauls, argent,
Tant que remplie en feust 1 toute la gent,
La terre aussi en fust moilliée toute,
Et fusse nuz, de tel pluie et tel vent
io Ja sur mon corps n'en cherroit une goûte.
Et qui pis est, vous puis bien dire encor
i . remplissent en feu.
a. Roue. — b. Qu'il aille voir.
BALADES ] 37
Que qui donrroit trestout l'avoir du Rin,
Et fusse la, vaillant un harenc sor
N'en venrroit pas vers moy vif ' un frelin a ;
Onques ne fuy de nul donneur afin b ; i5
241 d Biens me default, tout mal me vientsouvent ;
Se j'ay mestier de rien, on le me vent
Plus qu'il ne vault, de ce ne faictes doubte.
Se beneurté c plouvoit du firmament
Ja sur mon corps n'en cherroit une goûte. 20
Et se je pers, ja n'en aray restor d;
Quant rien requier, on chante de Basin ;
Se je faiz bien, néant plus que d'un tor
N'est congneu; tousjours sui je Martin,
Qui cote avoit, chaperon et roucin, 25
• Pain et paine, congnoissance ensement,
Son temps usa, mais trop dolentement,
Car plus povre 2 n'ot de lui en sa route e.
Je sui cellui que s'il plouvoit pyment/
Ja sur mon corps n'en cherroit une goûte. 3o
l'envoy
Princes, .11. poins font ou riche ou meschant s :
Eur et meseur A, l'un aime et l'autre doubte;
Car s'il pouoit 3 plouvoir mondainement,
Ja sur mon corps n'en cherroit une goûte.
j. vailant. — 2. paine. — 3. pouoit manque.
a. Petite monnaie. — b. Allie'. — c. Bonheur. — d. Dédomma-
gement, réparation. — e. Bande. — /. Vin épicé. — g. Misérable,
pauvre. — h. Heur et malheur.
i38
BALADES
DCCGCXXIX
Autre Balade \
{Contre le mariage.)
Al'uis ! — Qui est ? — Amis. — Que veuls ?
— Conseil. — De quoy? — De mariaige.
Marier vueil. — Pourquoy te deuls?
— Pour ce que n'ay femme en mesnaige
b Qui gouvernast et qui fust saige.
Bonne, belle et humble tenue,
Riche, jeune et de hault paraige.
— Tu es fouis, pran une massue.
Advise se souffrir t^en pues :
10 Femme est de merveilleux couraige,
Quant tu vouldras avoir des eufs, 242 a
Tu auras porrée ou frommaige;
Tu es frans, tu prandras servaige ;
Homs qui se marie se tue :
i5 Advise bien. — Si le feray je.
— Tu es foulx, pran une massue.
Femme n'aras pas a ton eulx a,
Mais diverse • et de dur langaige;
Adonc te croistera tes deuls c,
20 Souffrir ne pourras son oultraige.
* Publiée par Crapelet, page gÔ.
a. Besoin. — b. Capricieuse. — c. Ton deuil, regret.
BALADES 1 3g
Va vivre avant en un boscaige
Que marier, com beste mue.
— Non, avoir vueil le doulz ymaige.
— Tu es foui, pran une massue.
l'envoy
— Filz, tu feras foleur et raige 25
De marier; aime en vo rue
Franchement. — D'avoir femme enrraige.
— Tu es foui, pran une massue.
DCGGGXXX
RONDEL ÉQUIVOQUE
{Jeu d'esprit.)
Il convient le fol foloier a
Et puis compère b il sa folie,
Quant on le fait com fo loier c
11 convient le fol foloier.
Mauvais fait donc affoloier
Quant pour foleur raison fo lie.
Il convient le fol foloier
Et puis compère il sa folie.
a. Faire folie. — b. Paie. — c. Comme fol lier.
14° BALADES
DCCCGXXXI
AUTRE RONDEAU ÉQUIVOQUE
(Contre le mariage.)
GRANTfoleur fait qui se marie,
Et fist qui premiers maria \
Mariez ont chiere marrie :
Grant foieur fait qui se marie.
Je croy par la vierge Marie
Foie est femme qui mari a :
Grant foieur fait qui se marie
Et fist qui premiers maria l.
v
DCCCGXXXI I
Balade*.
[Campagne d'Ecosse.)
ous qui estes parez comme espousée,
Qui des grans faiz si bien parler sçavez,
' Cette ballade, publiée par Tarbé, tome l*,page j5t déjà transcrite au
folio i5, a été publiée dans le tome I<r, page i56, sous le numéro LA'//.
Elle se trouve transcrite une troisième fois au folio 307 b du manuscrit.
I. se maria.
BALADES 141
Et qui sur touz avez la renommée
D'estre jolis, qui dancez et chantez,
Et qui les faiz des grans choses pensez, 5
Quant en France est chascun, en son pais,
Vez ci Honeur, se querre la voulez :
Vous testes pas sur Grant Pont a Paris.
Veoir pouez du roy Charle l'armée
Monter en mer ; sur ce vous advisez ; 1 o
Servez le bien de cuer et de pensée,
Faictes vers li ainsis que vous devez ;
Aiez bon cuer quant vous arriverez,
Et que chascuns soit vaillans et hardis,
Si qu'en la fin nul ne soit diffamez : i5
Vous n'estes pas sur Grant Pont a Paris.
Vous vous boutez en l'englesche contrée
Pour conquérir ce que perdu avez,
— Qu'est ce? — Renom, dont vo terre honourée
Fut par long temps; donques la recouvrez, 20
Et s'en bataille ou assault vous trouvez,
Monstrez voz cuers plus grans que voz habis;
Ou autrement seriez deshonourez :
Vous n'estes pas sur Grant Pont a Paris.
242 c l'envoy
Princes, tous ceuls qui sont les mieulx parez 25
Quant a Toneur soient les premiers mis ;
Avisez bien que fort vous combatez :
Vous n'estes pas sur Grant Pont a Paris.
Folio 3oy. — 4. Qui chante^ et dance\.
*42 BALADES
DCCCCXXXIII
Balade *.
(Décadence du temps présent .)
Les chevaliers du bon temps ancien
Et leurs enfans aloient a la messe;
En doubtant Dieu chascun vivoit du sien,
L'en congnoissoit leur bien et leur prouesse,
5 Et li peuples labouroit en simplesse;
Chascuns estoit content de son office,
Religion fut de tous biens l'adresse a :
Mais au jour d'ui ne voy régner que vice.
Li jeune enfant deviennent rufien,
10 Joueurs de dez, gourmans et plains d'ivresse,
Hautains de cuer, et ne leur chaut en rien
D'onneur, de bien, de nulle gentillesse,
Fors de mentir, d'orgueil et de paresse,
Et que chascun son vouloir acomplisse.
1 5 Le temps passé fut vertu et haultesse,
Mais au jour d'ui ne voy régner que vice.
A ceuls qui font ainsis viennent li ■ bien
Temporelment. Chevalerie cesse,
Car les vertus sont de foible merrien b
' Cette ballade, publiée par Crapelet, page g?, est transcrite encore une
fois au folio 3oyc.
i. li manque.
a. La direction. — b. Etoffe, proprement bois.
BALADES 14^
Le labour fault, religion se blesse, 20
Et vaillance veult estre larron nesse;
Ainsi convient que tout honour périsse,
Le monde aussi, se Dieux tout ne radresse :
Mais au jour d'ui ne voy régner que vice.
i/envoy
242 d Prince, un temps fut qu'oneur, sens et noblesse 25
Avoient tuit estât et bénéfice,
Vertus regnoit en chascune fortresse,
Mais au jour d?ui ne voy régner que vice.
DCCCCXXXIV
Autre Balade *.
[Conseils donnés par une dame à un jeune homme.)
Dame, bon jour vous soit donnez!
— Beau filz, bien soies tu venuz !
Que quiers tu ? — Que vous m'enseigniez
Comment je seray soustenuz.
— Je fenseigneray trois vertuz, 5
Le sens naturel et l'acquis,
Et manière est au pardessus :
Aies sur ces poins ton advis a.
* Cette ballade est transcrite textuellement encore une fois au folio
307 d.
a. Son attention.
144 BALADES
Moult est bons li sens naturelz
10 Qui vient aux hommes de ça jus
Naturelment, puisqu'ilz sont nez,
Qui par leur sens se mettent sus;
Le sens acquis profite plus
Quant au naturel est unis;
i5 Manière vault mieulx, si conclus :
Aies sur ces poins ton advis.
Qui a ces trois yert ordonnez a,
En tous biens sera maintenus,
Temporelz, espirituelz;
20 Or ne soies pas malostrus;
Quiers les donc; n^en soies exclus,
Le monde aras et paradis
Se tu les as bien retenus :
Aies sur ces poins ton advis.
l'envoy
25 — Raison, dame, vous m'aprenez ;
Vostre suis, tant com seray vis,
Disciples. — Bien seras fondez :
Aies sur ces poins ton advis.
a. Qui à ces trois points se tiendra.
BALADES 145
DCCGCXXXV
Balade.
[La Règle se plaint d'être délaissée.)
243 a T Te! lasse, povre et désolée,
1 1 Qui rfay service ne maison,
Et jadis fu si honourée
De maint prince et de maint baron !
Dont leurs enfans héent a mon non, 5
Qui ne me veulent approuchier,
Et leurs pères m'orent tant chier,
Que je servi tresloyalment
Sanz desroy b, blasme ou reprouchier :
Et comment feray je, comment? 10
— Que tu feras, povre esgarée?
Qui es tu? — Fille de Raison :
Mainte chose par moy réglée
Fut jadis; Règle nVappell'on :
Moult fu ■ amée de Caton i5
Et des .vu. ars pour enseignier
Science, et vivre sanz dangier
Par saige et seur gouvernement,
Mais maint me veulent estrangier c :
Et comment feray je, comment? 20
— Tu lairas celle gent desrée d,
1. fut.
a. Haïssent. — b. Ecart. — c. Chasser. — d. Désordonnée.
T. V 10
I46 BALADES
Soies ferme 1 et aies cuer bon,
Car avant que passe Tannée
Faulra maint homme estre maçon
25 A qui je feray, vueille ou non,
Toy, Règle, quérir et cerchier,
Et par toy son fait radrecier
Ou périr maleureusement ;
Lors te pourras de lui vengier.
3o — Et comment feray je, comment?
l'envoy
— Bien. Neccessité appellée
Suy, qui faiz gens a la volée
Tourner vers toy soudainement 243 b
Quant leur chevance est degastée a.
35 — Voire, mais trop m'ont despitée :
Et comment feray je, comment?
1. fermes.
a. Ravagée.
BALADES 1 47
DCCGCXXXVI
Balade.
Comment le premier aage fut ignorant, mais le .vue. a
PRESENT EST MALICIEUX, INIQUE, LASCHE ET DECOURANT.
L'âge premier fut ignorant.
Le .viie. est malicieus.
Inique, lasche et decourant *,
Faintis *, desloial, convoiteus,
Car il ne veult congnoistre ceuls 5
Qui ont vertu, qui ont science,
Qui ayment Dieu et conscience,
Mais ne quiert que gens malostrus
Ou nulz ne doit avoir fiance :
Ly mondes en sera perdus. 10
Car telz chetif sont acquérant :
Pour doubte d'estre diseteus *, c
A l'or du peuple vont querant;
Tant treuvent de voies entr'eulx
Que maint pais font soufraiteus 1 5
Pour trouver nouvelle finance.
Grant estât ont; nul d'eulx ne pence
Qu'a convoiter de plus en plus :
Mais se longues d dure tel dance,
Ly mondes en sera perdus. 20
On se moque de bonne gent,
1. digiteus.
a. Déclinant. — b. Faux. — c. Indigent. — d. Longtemps.
I48 BALADES
On laisse le conseil des vieuls,
Auctorité ont li enfant,
Dont les choses vont pis que mieulx.
25 Helas! et que n'y pourvoit Dieux
Et que ne monstre il sa puissance?
Si fait il, car tout se despence
Folement, et par ce conclus 243 c
Que, s'il n'y met autre ordonnance,
3o Ly mondes en sera perdus.
l'envoy
Prince, il n'est nulle congnoissance
Fors de mal et de decepvance a,
Et des chetis mettre au dessus ;
On het tout homme de vaillance,
35 D'onnour, de justice et 1 prudence :
Ly mondes en sera perdus.
DCCCCXXXVII
Balade.
Gomment le mendre des .vu. ars fondé sur pure
convoitise regne au jour d'ui de toutes pars.
Le mendre de tous les .vu. ars b,
Fondé sur pure convoitise,
Règne au jour d'ui de toutes pars
1. de.
a. Tromperie. — b. L'Arithmétique. Voyez la ballade suivante.
BALADES 149
Tant es grans cours comme en l'église,
Car ceuls de cel art ont grant mise 5
D^argent, pour compter et getter a ;
A ceuls voit on terre achater,
Faire chasteaulx et édifices
Et dessus tous estas régner :
Subgiez tiennent tous les offices. 10
Ceuls sont pour le conseil esgars b,
Ceuls sont cause de toute prise,
Ceuls sont au bien commun couars,
Ceuls sont le recept de faintise c,
Ceuls sont l'ardent feu qui atise i5
Les lâches cuers a rapiner,
Or et argent querre et miner
Sur le peuple, a ce sont propices;
Par eulx fault maint règne finer :
Subgiez tiennent tous les offices. 20
243 d Hz font les princes estre eschars d
Vers ceuls qui ont science acquise,
Aux vaillans hommes qui sont ars e,
Prins et destruiz, pour leur servise;
Justice n'ayme nul ou prise *, 25
Mais partout la veulent fouler;
Aux chetis font les dons donner
Et leur paient, et par telz vices
Et tel art qu'om deust rebourser /",
Subgiez tiennent touz les offices. , 3o
1. Nul deulx ou prise.
a. Compter avec des jetons. — b. Mauvais guides, qui égarent (!)
— c. L'asile de la tromperie. — • d. Avares. — e. Brûle's. — /. Re-
pousser, relèvera contre-poil.
1 50 BALADES
l'envoy
Prince, vueillez considérer
Ce qui fait les règnes durer,
Justice, sens, peuples; car nices a
Est qui fait ces trois déserter
35 Par telz compteurs trop eslever :
Subgiez tiennent touz les offices.
o
DCGCCXXXVIII
Autre Balade
d'arismetique
1 gramaire, logique, rethorique,
Astronomie et geometrien,
Musique aussi, a vous .vi. fait la nique
Celle qui prant l'autruy avec le sien.
5 Qui est elle? Le peuple le scet bien:
Arismetique qui toudis compte et gette.
Generaulx a, trésoriers et recepte;
En tous pais a de ses gens espars.
Dont grant plaie est par tout le monde fette,
io Quant régner voy le mendre des .vu. ars.
Las! et qui a mis sur ceste pratique
i. O manque,
a. Sot.
BALADES 1 5 I
Et fait régner celle qui ne scet rien,
De droit, de loy, de science autentique,
244 a rje SOy garder, qui het le commun bien,
Qui ses gens fait de vil et ort merrien a i5
Pour gouverner la finance qu'om trette,
Qui het le voir et La mençonge atrette *,
Qui du commun fait lever mille, et Mars
Vivre a dangier? Ce m'ennuye et deshette c,
Quant régner voy le mendre des .vu. ars. 20
Qui a nul bien de présent ne s'applique
Fors a avoir condicion de chien,
Faire maisons de nouvelle fabrique,
Thesaurier, estre praticien,
Et tout muer le bon temps ancien 25
En meurs mauvais, par la froide planette
Ou Antecrist doit régner, et sa sette <*,
Large aux chetis, aux prodommes eschars e.
Vérité suis : Justice est imparfaitte
Quant régner voy le mendre des .vu. ars. 3o
l'envoy
Prince *, advisons la loy en Levitique,
Gardons la foy, la vie politique,
Au bien commun pensons de toutes pars, '
Ne procédons par art de voie oblique,
Car dervée devien / et frénétique, 35
Quant régner voy le mendre .vu. ars.
1. Princes.
a. De bas et sale bois. — b. Attire. — c. Me chagrine. — d.
Secte. — e. Avare. — /. Je perds la raison.
1 52 BALADES
DGCGGXXXIX
Autre Balade
DE LA COMPLAINTE DE GRAMAIRE
i5
s
i vielle suy et de si long temps née
Que nui ne veult plus ma doctrine entendre,
Et si fu je l la première ordonnée,
Qui les .vu. ars fis a pluseurs aprendre,
5 Et les plus grans fis mainte foiz du mendre,
A rude engin, par fort continuer;
Goûte d'yaue fait la pierre caver a, 244 b
Si fait aussi continuacion
De poursuir, retenir, demander :
10 Mais des .vi. ars voy la destruction.
Gramaire m'ont mainte gent appelée,
Qui I'a. b. c. faiz aux enfans aprandre,
Joindre, assembler; par ce règle donnée
Leur est a tous de monter et descendre
Aux autres ars, de sçavoir carculer,
Logique oir, de saigement parler,
Souldre et mouvoir en toute question,
Grec et hebrieu, et le latin parler :
20 Mais des .vi. ars voy la destruction.
A moy ne vient c'une gent aveuglée
Qui ne veulent qu'a françois lire, entendre,
i . je manque.
a. Creuser.
BALADES J 53
Lors aux changes vont en quelque contrée;
La les vient on par certains moiens prandre,
Puis font tantost leurs estaz croistre et tendre 25
Par le seul us a de getter et compter,
Qui les .vi. ars veult par tout surmonter
Et prant sur eulx la dominacion;
Ou temps qui est bien n'y puis espérer :
Mais des .vi. ars voy la destruction. 3o
l'envoy
Prince, trop est celle art cy eslevée ;
Aux .vi. autres tout bon engin se vée b ;
Si que desja fault Justice et Raison
Pour ce qu'om het science auttorisée :
Tuit vont getter c la finance amassée : 35
Mais des .vi. ars voy la destruction.
DCCCCXL
Autre Balade.
(Il faut faire des économies.)
e ne voy estât qui n'excède l
En nombre, en gaiges, et en drois;
244 c Tout par convoitise procède :
Et que n'y advisent les roys?
j
1. ne excède.
a. Usage, coutume. — b. Se refuse. — c. Compter, calculer.
l54 BALADES
5 En leurs terres .vi. sont pour troys
Officiers, et * qui n'y font rien.
Ramenons le temps ancien,
Car trop sont excessif li gaige.
Faisons com bon phisicien,
10 Restraingnons; si ferons que saige.
Querons a ce mal brief remède
Ou il nous sera trop destrois «,
Car le nom de richesce cède
Par excès les biens des François
1 5 A povreté, car drois ne loys
N'ont effect, ne ceuls qui font bien ;
L/en fait plant de chetif merrien
Et prant chascun de roy Pusaige
En estât, sanz vivre du sien :
20 Restraingnons ; si ferons que saige.
Car le bien commun que l'en prede b
Pour telz estas, souventefois
Fait que nostre sire concède
Pugnicion, et que la voix
25 Des povres gens destruis et frois
Est oye ou trône 2 moyen;
Sommes nous juifs ou crestien ?
Souffise nous nostre heritaige
Sanz prandre convoiteus lien :
3o Restraingnons; si ferons que saige.
En mainte omelie dit Bede
Que chascun doit oster ses dois
Et ses oeulx du dolent esclede c,
D'atouchier l'or, car c'est un bois
i. et manque. — 2. tronc.
a. Pénible. — b. Pille, — c. Mot inconnu.
BALADES l 55
Ou les diables tendent leurs rois a 35
Pour les convoiteux, qui au chien
Sont comparez, d'orgueil prochien,
244 d Prandre et ravir a leur passaige ;
Donc, se ces poins advisons bien,
Restraingnons; si ferons que saige. 40
Par convoiter se perdit Mede b,
Par orgueil finerent Gregois c,
Par trop grans estas li Tragede <*,
Par pechié de char Sodomois *,
Par chetis le règne aus Traçois/, 45
Par haine ly Cyprien,
Par envie Italien ;
Alons donc contre no dommaige,
Et tuit ly prince terrien :
Restraingnons; si ferons que saige. 5o
l'envoy
Prince, les grans gaiges pour mois,
Et ceuls qui ne sont pas adrois
Pour gouverner, don par oultraige
Trop d'officiers ont 1 en surcrois,
Feront tant que nous n'arons croix s : 55
Restraingnons; si ferons que saige.
1. ont manque.
a. Rets, filets. — b. La Médie. — c. Les Grecs. — d. Mot
inconnu — e. Les habitants de Sodome. — /. Des Thraces. — g.
Argent.
l56 BALADES
DGCCCXLI
Balade
COMMENT ON ESLIEVE AU JOUR D UI MALE HERBE EN HAULT
ET LAISS'ON LA BONNE.
J
e voy planter ce qui ne vault,
Dont le fruit ne puet estre bon,
Et eslever maie herbe en hault;
Je voy caupetrape a et chardon
5 Qui de leur semence font don,
Dont la terre est toute peuplée;
Destruicte en est la bonne blée,
Dont le temps nous sera trop chier;
Soit donc tel * semence estrepée b :
10 Faisons le bon plant aluchier c.
Du plant mauvais vient le default,
Tout destruit : pour quoy ne l'ost'on ? 24a a
Avoir trop grant famine en fault,
C'est grant négligence, c'est mon;
i5 A cellui vault pou le sermon
Qui la parole a escoutée,
Se sa vie n'est amendée ;
Lors doit ses vices retranchier.
Estrepons maie herbe dampnée :
20 Faisons le bon plant aluchier.
1. tele.
a. Chaussetrappes, ronces. — b. Extirpée, arrachée. — e. Culti-
ver, entretenir.
BALADES 1 57
Car le plant mauvais tout assault
Qui court sanz resne et ha bandon
Es estas, dont trop petit chault
Aux laboureurs ; or regardon
Qu'il en advient; ceuls perdent nom 25
Qui tel semence ont ahannée a,
La terre en est deshonourée,
Le monde en vit a grant dangier.
Soit ceste chose reparée :
Faisons le bon plant aluchier. 3o
i/envoy
Prince, soit bonne herbe plantée,
La mauvaise desracinée ;
Mettez partout bon jardinier.
Lors arons terre bonneurée b
Et fruit de bonne renommée : 35
Faisons le bon plant aluchier.
DCGCGXLII
Autre Balade
DE LA GRANT COMPLAINTE DE BABILOINE.
Tresdolente et desconfortée,
Dolereuse et plaine d'annuy,
De toute misère plantée,
a. Labourée. — b. Heureuse.
1 58 BALADES
Plus chetive onques ne congnuy;
5 Qu'amée ne suis de nullui,
Mais haye en ciel et en terre
Pour mes péchiez, si com je lui a :
Car tout le monde me fait guerre.
Trop fu en orgueil eslevée,
io Par convoitise me deçuy b,
Haultaine ay trop esté nommée;
Oncques loial conseil ne cruy c,
Et pour ce nul ami ne truy d,
Pour mes maulx n'ose Dieu requerre;
1 5 Las ! ou prandray je mon refuy e ?
Car tout le monde me fait guerre.
Babiloine suy, désolée,
Comme déserte ; encor sont duy,
Vaine gloire, la char foulée,
20 Qui m'ont enclose en leur estuy.
Non congnoistre ce que je duy
M'ont fait, toute haine acquerre,
Tant que j'ay le mal gré d'autruy,
Car tout le monde me fait guerre.
l'envoy
25 Dieux, donnez moy cuer et pensée
D'amender mon cuer qui trop erre,
Ou briefment seray transmuée;
Car tout le monde me fait guerre.
a. Je lus. — b. Trompai. — c. Ne crus. — d. Ne trouve. — e.
Mon refuge.
BALADES
iSg
DCCCCXLIII
Autre Balade
SUR TOUS MAULX QUI REGNENT EN CHASCUNE COURT.
Quelz nouvelles, gentils compains?
Que vous semble il du temps qui court?
Ne mentez pas. — Soiez certains
Que je le vous diray au court.
Tout mal voy en chascune court, 5
Envie, couvoitise, ordure,
245 c Traison, orgueil et luxure ;
Preudommes hors, régner félons ;
On n'y fait raison ne droiture.
— Tais toy; les dens devant sont bons a. 10
— Au jour d'uy sont parlers villains,
Gouliart *, deshonneste, lourt;
L'en regnie Dieu et ses sains,
On parle a eulx hault, qu'ilz sont sourt;
Gieu de dez et de diable sourt, ï 5
Des quelz naist débat et injure ;
L'en maugrée Dieu et parjure
Mille l fois entre les barons
Pour néant : n'est ce grant laidure ?
— Tais toy; les dens devant sont bons. 20
— Les religieux sont mondains,
a. Il fait bon ne pas desserrer les dents. - b. Débauchés.
1. Mil.
1 60 BALADES
Pour argent bénéfice a court,
Publique est le lieu des nonnains,
Vérité es grans clers decourt,
25 Trop scevent les juges de hourt «,
Nobles sont contre l'escripture,
Marchant, et toute créature
Pèche en son art; Dieu ne doubtons :
Ne sçay pour quoy tant nous endure.
3o — Tais toy ; les dens devant sont bons.
l'envoy
— Sire, j'ay dit vérité pure,
Mais puet estre qu'om n'en a cure;
Au jour d'uy li temps est félons,
Car par mentir chascun procure
35 Or et argent, c'est chose dure.
— Tais toy; les dens devant sont bons.
DCGCCXLIV
Autre Balade \
(Le bien d' autrui ne profite pas.)
Ainsi comme gent de folaige 2 45 d
Vont sanz raison a la meslée,
M'en alay en un pasturaige
Publiée par Tarbé, tome I, page 97.
a. Les juges savent trop de ruses.
BALADES 1 6 1
Ou grant proye avoit assemblée,
Gens se combatent a l'espée; 5
Chascun dit ; « Ce bestail est mien. »
Poy a la un coup a la donnée;
Char a espée ne vault rien.
Lors me retrays en tapinaige
Par derrier a tout ma colée; 10
Mais en passant près d'un villaige
Vy une femme moult effrée b
C'un compains tenoit acolée,
Gens qui l'escrient, et sçay bien
Qu'il ot la teste escervelée c : 1 5
Char a espée ne vault rien.
Mauvais fait aler en fourraige,
Prandre char qui ne soit paiée,
Ne femme amer de hault paraige
Dont on ait la teste plaiée d\ 20
Mieulx vault povre femme essaiée
A qui l l'en dit : « va et revien, »
Sanz péril, que femme a armée :
Char a espée ne vault rien.
l'envoy
Prince, pou vault chose happée, 25
Tousjours fait bon vivre du sien;
Droit vaint force desordonnée,
Char a espée ne vault rien.
1. De qui.
a. J'eus. — b. Troublée. — c. Il eut la tête fendue. — d. Blessée.
T. v
1 1
j52 balades
DCCGGXLV
Rondeau K
(Même sujet.)
N
e prenez pas char a espée,
Trop chiere est et si ne vault rien;
Prenez char dont l'en fine bien
Sanz péril, de povre lieu née,
Qui a on puist dire : « va et vien » : 240 a
Ne prenez pas char a espée.
Car on en a souvent meslée.
Que 2 om en pert soy et le sien ;
Et quant tout est d'un cuirien \
I0 Ne prenez pas char a espée.
COMMENT
DCGGGXLVI
Balade.
ENVIES, HAINES ET CONVOITISES DESORDONNÉES
REGNENT AU JOUR D'il! PARTOUT.
E
nvies, machinacions,
Convoitises desordonnées,
1. Balade.— 2. Quom.
a. A qui. — b. Cuir.
BALADES l63
Haines, machinacions a,
Sont pieça pour noz péchiez nées,
Faulte de bien, dures années, 5
Mors soudaines, guerres partout,
Pluies, noifs *, tempestes, gelées,
Mais encor ■ n'est ce pas le bout.
Car les nobles condicions
Et les vertus sont adirées c 10
En l'Eglise, es religions,
Es roys, es princes des contrées;
En toutes gens les lois blecées
Si fort que li juge sont rout d
Et seignouries déclinées : i5
Mais encor ' n7est ce pas le bout.
Le temps des renovacions
Qui ont esté prenostiquées,
Pour les péchiez que nous faisons
Nous sont a présent demonstrées 20
Par les loys qui sont divisées.
L'an mil .cccc. je me doubt
D'estre monarchies muées :
Mais encor 1 n'est ce pas le bout,
l'envoy
246 b Princes, faittes vos oroisons, 2 5
A Dieu tuit nous humilions;
Péchiez trop en nostre hostel crout e.
Gilz fait avoir pugnicions
1. encores.
a. Faute de copiste; il faudrait un autre mot. — b. Neiges. — c.
Perdues. — d. Rompus, cassés. — e. Croupit.
I 64 BALADES
Aux pécheurs, ce doubter devons
3o Mais encor * n'est ce pas le bout.
DCCGGXLVII
Autre Balade
DE LA COMPLAINTE QUE UN AMANT FAIT A SA DAME
AMOUREUSEMENT
M 1\ /l on tresdoulz cuer, m'amour tresdesirée,
A 1VA A qui je doing cuer, corps, et quanque j'ay,
R Riche d'oneur, de beau maintien parée,
I Jamais autre dame fors vous n'aray.
5 O Or regardez comment durer pourray,
N Ne que fera mon cuer qui sent tel paine;
S Se pitié n'est et vostre humble cuer gay,
Languir me fault, ma dame souveraine,
E En qui je voy toute beauté louée,
10 U Vertus de meurs, douce rose de May,
S Saige en parler, en manière atrempée a,
T Toute bonne, pour voz grans biens m'esmay b,
A A tousjours mais vostre servent seray.
G C'est bien raison, soiez de pitié plaine
i5 E Envers moy donc, ou je vous jur pour vray :
Languir me fault, ma dame souveraine.
1. encore.
a. Réservée, — b. Je me trouble.
BALADES l65
Mais pour sçavoir s'il ne vous desagrée,
De vo servent le nom escript vous ay,
Le vostre avant, pour estre acertenée ;
Et s1il vous plaist, bien le vous monstreray : 20
Es deux couples premiers vous aprandray
Tous ces .11. noms pour estre plus certaine
De vostre amant, mais certes s'octroy n'ay,
Languir me fault; ma dame souveraine.
l'envoy
246" c Belle et bonne, jeusne, gente, acesmée a, 25
Plaisant a tous, face a droit coulourée,
Le vray miroer de la beauté humaine,
Corps long et droit, sur toutes honourée,
Se pité n'est en vo cuer pour moy née,
Languir me fault, ma dame souveraine. 3o
DCCCCXLVIII
Balade *
FAICTE SUR LA DIVISION ET CISME DE L'EGLISE QUI EST
AU JOUR DUI MOULT TROUBLÉE PAR LA LUNE
Mercure, Mars, Jupiter et Venus,
Et chascun d'eulx, ensemble le souleil,
Ont par long temps régné, et Saturnus
* Publiée par Tarbê, tome I, page 777. Cette ballade se retrouve dans le
manuscrit de lord Ashburnham.
a. Ajustée, parée.
1 66 BALADES
Fait et créé un règne non pareil
5 En divers lieux, ce * dont je me merveil,
Selon les cas de leur conjunction
Et les signes, tenir la région
L'un puis l'autre, chascun en sa chascune :
Mais de ces .vi. voy la conclusion,
io Puis que je voy vouloir régner la lune.
La septiesme est nommée 2 cy dessus,
Froide et trouble, qui fait son appareil
De tous vices et péchiez mettre sus,
Et qui ara principalment son oeil
i5 A convoiter pour le prince d'orgueil,
Le séducteur, filz de perdicion ;
Par symonie et par ambicion
Fera ça jus une loy si commune
Que tout cherra en desolacion,
20 Puis que je voy vouloir régner la lune.
O! quel dolour ! Marrastre des vertus,
Et nourrice de desloial conseil,
Par toy sera ly mondes corrompus
Et les mauvais tirans mis en escueil a,
25 Les bons foulez et la loy. Lasl quel dueil !
Tu sèmeras toute division. 246 d
Se les signes n'ont opposition
En ton regart, toute maie fortune
Vient et descent pour no finicion,
3o. Puis que je voy vouloir régner la lune.
l'envoy
Prince, se Dieu n'y met provision
1. ce manque. — 2. Le septiesme est nomme.
a. En force.
BALADES 1 67
Par sa pité et dévote oroison
Et charité., par ces trois ou par Tune,
En remouvant tel 1 constellacion,
Tout périra ; c'est mon opinion, 35
Puis que je voy vouloir régner la lune.
DCCCCXLIX
Balade.
COMMENT VERITE, CHARITE ET LOYAUTÉ, FOY ET CREANCE
FONT AU JOUR D'UY LE CONTRAIRE DE LEURS NOMS
Se Vérité veult estre menteresse,
Et Loyaulté veult estre desloial,
Et Charité veult estre larronnesse,
Et Créance se veult tourner a mal,
Et Foy ne veult qu'il soit homme loial, 5
Et glote a soit devenue Abstinence,
Humilité en orgueil et bobance,
Et Pité ait le cuer plus dur que roche,
Tous ces signes donnent signifiance
Que pour noz maulx la fin du monde approche. 1 0
Se Chasteté fait Luxure maistresse,
Se Povreté veult aler a cheval,
Se Pacience homicide qui blesse
Veult par pouoir tout getter contreval b,
Se Largesce qui ja fut curial c j 5
1. telle.
a. Gourmande. — b. En bas. — c. De cour.
l68 BALADES
Veult convoitans tenir or et finance,
Se lasche veult et mole estre Vaillance,
Se Noblesse a villenie en sa poche, 247 a
L'en puet jugier par tel persévérance
20 Que pour noz maulx la fin du monde approche.
Se Paour est de Dieu en hardiesce
De lui courrier, s'amour gettée aval
Des cuers mondains es estas de noblesse,
Saiche chascun que c^st le principal
25 Que doubter Dieu, père celestial,
Qui tous nous a formez a sa semblance,
Et tuit faisons contre son ordonnance,
Car vertu n'est qui en vice ne trochea :
Dont je conclus et ay ferme espérance
3o Que pour noz maulx la fin du monde approche.
DCCGCL
Autre Balade
SUR PRODIGES ET CORPS MONSTRUEUX
Corps monstrueus, horrible a regarder,
Prodige grant de vengence future,
Beste a deux dos qui fait le monde errer,
Langue double dont parle l'cscripture,
Venin cuisant, serpentine figure .
Qu'enfer attent, faulx conseil variable,
a. Troque, échange.
BALADES 169
Juge vendant la grâce charitable,
Chien envieux, de convoitise plain,
Qui d'Antecrist est voie preparable,
Dieux nous vueille tous getter de ta main ! 10
Las ! ta forme fait trop a redoubter,
Et tes membres plains de toute laidure
Qui vendent tout ce qu'on souloit donner,
Ne tu ne veulz congnoistre créature
Qui face bien ; tu faiz contre droiture 1 5
Guerre et tourment, toute chose nuisable;
Estre ne veulz a Verte 1 consachable a\
De maie heure fus pour le peuple humain
24y b Conceuz et nez, comme chose dampnable;
Dieu nous vueille tous getter de ta main! 20
Par tes euvres puet on assez noter
L'advenement du renoyé parjure,
L'ennemi Dieu qui se venrra monstrer —
Prochainement, car on ne fait qu'injure ;
On est larron, homicide ou parjure; 25
A ton temps est tout vice celebrable,
L'en prant, l'en toult, et 2 chascun est coupable
Et haineux, convoiteus et haultain,
Fel, orgueilleus; monstre tresdecevable,
Dieux nous vueille tous getter de ta main! 3o
Beste a .11. chiefs \ qui ne vis 3 que d'ordure
Et qui corromps toute humaine nature,
De toy parle PApocalipce a plain,
Sebille aussi; Jouachin te figure
Dolentement par 4 riens et pourreture : 35
Dieux nous vueille touz getter de ta main !
1. vérité. — 2. et manque. — 3. vit. — 4, par m anque.
a. D'accord avec Vérité. — b. Eglise gouvernée par deux papes.
170 BALADES
DCGCCLI
Autre Balade
SUR UN SAINT CORPS MIRACULEUX COMME UNS LOUPS
P
our un saint corps miraculeux
Qui la langue a en deux parties,
Plain de pité comme est uns leux,
Suis chargiez d'escripre la vie;
5 Mais pour ce qu'en lui n'a envie
N'orgueil, ne a qu'en lion et chien,
Se nulz m'en scet dire aucun bien,
Je le tendray secret com prestre;
Mais avant c'om m'en die rien,
10 Or devinez qui ce puet estre.
J'adevine qu'il fut claustreux b,
Chief du martel d'orfaverie;
De saint lieu fist palays doubteux
Pour approuchier de seignourie, 247 c
1 5 Traittans l'or non pas d'alquemie c
Mais du commun peuple, et sçay bien
Que cilz vint de povre merrien,
Qui n'ensuist en meurs saint Silvestre,
Ains veult l'autrui bien 1 et le sien :
20 Or devinez qui ce puet estre.
J'en sçay bien un ingrade d a ceulx
Qui povre lui firent aye e,
1. Ains veult bien lautruis et le sien.
a. Non plus. — b. Moine. — c. Alchimie. — d. Ingrat. — e. As-
sistance.
BALADES 171
Aux bons se rent suspeçonneux,
Désobéissant qui le prie ;
En ce qu'il doit faire il varie, 25
Il s'entent, chante et list tresbien
A reculons ; saint Julien
Ne voult pas de son hostel nestre.
Taiche n'a de saint Gracien :
Or devinez qui ce puet estre. 3o
i/envoy
Princes, ces grans miracles seulz
Sont a escripre merveilleux
Pour canoniser nostre maistre,
Qui fait ses responces par deux
En doublant sa langue en trois neux : 35
Or regardez qui ce puet estre.
DCCCCLII
Autre Balade
SUR GOUVERNEURS, BAILLIS ET SENESCHAULX
Vous, gouverneurs, baillis et seneschaulx,
Il vous 1 convient esclaves demourer -
En voz marches a .vu. ou .vin. chevaulx,
Sanz départir, voz estaz gouverner,
D'un franc par jour, et si vous fault jurer
1. vous manque. — 2 demourez.
I 7 2 BALADES
Combien chascun aura fait résidence
En son estât, par nouvelle ordonnance, 24^ d
Contreroleurs arez sur le pais,
Les recepveurs ou royaume de France,
10 Serfs gouverneurs, seneschaux et baillis.
Vous ne serez plus des provinces baux a,
Les procureurs vous fauldra encliner
Et receveurs; et dont vient telz consaulx
Que le grant fault au mendre subombrer l?
1 5 Et frans hommes 2 n'osera pas aler
Sur le pais ou il a sa chevance
Sanz estre cas b\ vez ci large ignorance
Dont maint lairont les estas dessus dis.
Qui ne vouldront estre en tele meschance,
20 Serfs gouverneurs, seneschaulx et baillis.
Mais au jour d'ui a Justice tous maulx
Et chascun veult celle supediter,
Et les petiz ravir les lieux des haulx,
Pour les estaz destruire et ruyner ;
25 C'est grant péril de chetis eslever
En hault estât, c'est default de prudence ;
Chascun ne tent qu'a la fin ou il pense
Et a bouter avant de ses amis ;
C'est ce qui fait par tel gent qu'on avance
3o Serfs gouverneurs, seneschaulx et baillis.
i/envoy
Prince, de ceuls qui ont grant apparence
N'ensuit tousjours la bonne conséquence;
Les plus grans clers ne sont saiges toudis;
i. subomber. — 2. homs.
a. Gouverneurs. — b. Cassé, ruiné.
BALADES 173
Aux ignorans commet Dieux sa puissance .
Ostez ce mot qui est de malvueillance, 35
Serfs gouverneurs, seneschaulx et baillis.
DCCCCL1II
Autre Balade *.
(On ne peut être aimé de tous.)
248 a /^"^HASCUNsdoit faire son devoir
V_> Es estas ou il est commis
Et dire a son seigneur le voir a
Si que craimte, faveur n'amis,
Dons n'amour ne lui soient mis 5
Au devant pour dissimuler
Raison, ne craingne le parler
Des mauvais, soit l humbles et doulz;
Pour menaces ne doit trembler :
On ne puet 2 estre amé de tous. 10
Ait Dieu tout homme a son pouoir
Devant ses oeulx, face toudis
Ce qu'il devra sanz decepvoir;
Lors ne pourront ses ennemis
Luy grever, mais seront soubmis 1 5
'Cette ballade esl encore transcrite au/. 2g 7 \
1. sont. — 2. On ne puet pas.
a. La vérité.
174 BALADES
Par cellui qui tout puet garder,
Qui scet les euvres regarder
Des bons et mauvais cy dessoubz,
Pugnir maulx, biens rémunérer :
20 On ne puet estre amé de tous.
Car gens qui ont mauvais vouloir
Héent ceuls dont ilz sont pugnis,
Et il vault mieulx la grâce avoir
De Dieu, pour gaingner paradis,
25 Qu'il ne fait des faulx cuers faillis 1
Qui veulent mentir et flater
Et par leur force surmonter
Les frans cuers et mettre a genoulz.
Faisons bien sanz homme doubter :
3o On ne puet estre amé de tous.
l'envoy
Prince, nul ne doit désirer
Pour le los du monde régner a,
Mais des biens de Dieu soit jaloux ;
Ses officiers doit supporter 2 248 b
35 S'ilz font bien et les contenter :
On ne puet estre amé de tous.
1 . des mauvais cuers faillis— 2. doit porter.
a. Pour avoir la louange du monde.
BALADES 175
DGCCCLIV
Autre Balade
SUR ENVIE ET POVRETÉ
H\ieux gart la belle compaignie, »
\-J Dist Povreté en trespassant
A pluseurs qui ont dit : « Amie,
a Ou alez vous ainsi trassant a ? »
Et elle respont en plourant : 5
« Je quier Envie la dervée b
« Qui son corps a ame ne vée c
« Fors a moy que pas ne secourt. »
Lors dist une nonnain sacrée :
« Envie est en cloistre et en court. » 10
— Le sçavex vous bien, je vous prie,
Que de ce ne rcfalez moquant?
— Oil, par la vierge Marie,
Elle y est toudis demourant;
Par lui va chascun murmurant ; 1 5
Maint débat et mainte meslée
Fait chascun jour, mainte assemblée,
Tousjours de l'un a Tautre court :
La ne puet paix estre trouvée,
Envie est en cloistre et a court. 20
— Dit elle voir? — N'en doubtez mie.
a. Marchant. — b. La folle. — c. Ne refuse.
J 76 BALADES
Je la vis hier en retournant
De la court. La s'estoit tapie,
Mais de debas y faisoit tant
2 5 - Que l'un derrier, l'autre devant,
Se disoient mainte goulée;
- En ces .ri. lieus est hostelée a,
Principalment fait la son hourt b.
Alez tost, soyez asseurée, 248 c
3o Envie est en cloistre et a court.
lenvoy
Prince, Povreté s'est hastée,
A court, en cloistre en est alée.
Envie ne lui fait le sourt c,
Mais s'est tantost en lui boutée,
35 Disant qu'en chascune contrée
Envie est en cloistre et a court.
DCCCCLV
Autre Balade
PARLANT D'UN MONSTRE NOMME MINOTAURUS
Monstre horrible fut de Minotaurus
Qui .11. formes ot en un mesme corps,
Homme et toreau, et pour ce Dedalus
a. Logée. — b. Sa demeure. — c. La sourde oreille.
BALADES 177
En sa maison qu'il fist l'enferma lors,
Que veu ne fust. Mais un monstre plus fors 5
Est au jour d'ui : c'est un corps a deux testes
Voulans régner sur raisonnables bestes
Dont les membres sont en division,
Qui a un seul fussent d'obéir prestes,
Qui a voulsist bien cette conclusion. 10
Qui est cilz corps qui est ainsi confus?
C'est l'Eglise dont les membres sont tors,
Qui .11. chiefs a, et ces membres ça jus
Sont les prelas, pueples et gens dehors,
Qui .11. chiefs ont, par convoiteux descors bt i5
Ou un seul chief deust gouverner; honnestes
Vicaire Dieu com saint Pierre, li prestres,
Fut de par lui par saincte élection
Et encor l fust sanz os et sanz arestes,
Qui voulsist bien ceste conclusion. 20
S'un corps humain sur terre descendus
Avoit deux chiefs, moult seroit vilz et ors;
48 d Quant il est nez, est pour monstre tenus,
Aussi seroit une vache ou uns pors.
Un chief soufist, et quant je me recors c 25
C'uns seul papes doit estre magnifestes d
Sur son tropel, se deux sont, deshonnestes
Et injustes est l'un d'eulx par raison :
Dont tel erreur fust pieça osté presques,
Qui voulsist bien ceste conclusion. 3o
Par ce cisme e est tout li mondes perdus,
Guerre en descent entre foibles et fors;
11 . encores.
M. Si on voulait. — b. Discordes. — c. Je me rappelle. — d. Vi-
ple. — e. Schisme.
T. V I2
I78 BALADES
En grant péril sont * prestres et tondus a
Faiz a ce temps. Ayons nostre remors
35 Aux sacremens, aux effects, aux effors
Des unctions, des ordres, des baptesmes,
Des beneiçons b, des huiles et des cresmes,
Et au péril de la dampnacion
Des nez; en ce pourveu fust evesques
40 Qui voulsist bien ceste conclusion !
Pour ce, princes terriens, je conclus,
Et vous, prelaz, que vous mettez defors c
Ce monstre ci : faittes 2 qu'il soit intrus d
Et enfermez, tant que par saint acors
45 Des saiges clers vous aiez les recors
Qu'il doit régner un seul vray, et vous, prestres
Et sanz faveur soit tenu chemins destres e
Pour remettre l'Eglise en union
Qui fust pieça hors des chemins senestres,
5o Qui voulsist bien ceste conclusion.
i/envoy
Roy, sur les roys trescrestiens tenus,
Soit ce chemin d'entrechier/soustenus
La vérité du vray opinion,
Que telz cismes ne soit plus maintenus,
55 Qui fust pieça de tous poins abatus,
Qui voulsist bien ceste conclusion.
1. en sont. — 2. et faittes.
a. Tonsurés. — b. Bénédictions. — c. Dehors. — d. Interné. —
e. Droit. — /. Passage altéré.
BALADES I79
DCGGGLVI
Balade *.
(Précautions que doit prendre un prince avant d'entrer
en campagne.)
24g a T3RINCES qui veult faire guerre ou voyage
A Ne les doit pas sanz raison entreprandre :
A son conseil doivent estre li saige,
Dire leur doit la fin ou il veult tendre,
Le droit qu'il a, ou le désir, d'emprandre a, 5
Pour mieulx avoir deliberacion
Se faire ou non doit son intencion,
Se la cause est et la poursuite bonne,
S'il puet fournir sa prosecution :
Ad vise cy toute noble personne. 10
Qu'il aime Dieu et craingne en son couraige,
Groye conseil ou il se doye attendre,
Et, se cause a, advise a son passaige,
Ait gens expers, nombre ne grant ne mendre
Qui puist souffrir sanz riens tolir ne prendre i5
Des biens d'autruy, querre temps et saison
Convenables, vivres, provision,
Aliances, vesseaulx, promette, donne;
S'autrement fait, c'est sa perdicion :
Advise cy toute noble personne. 20
1 . Balade manque.
a. Entreprendre.
I 80 BALADES
Ait de paier et d'estre brief Pusaige,
Diligens soit, a beau parler doit tendre,
Justice avoir pour oster son dommaige,
A obéir face tout homme entendre ;
25 Gar sanz ce point a l'en veu a descendre
Maint ost et gent a grant confusion,
Que mendres d'eulx, par leur division,
Ont subjuguez, et roy portant couronne
Prins et occis, destruit sa région :
3o Advise cy toute noble personne.
Querre de loing finance et queriage *,
Armes, chevaulx, gens aprins pour aprendre
Ceuls qui menrront le charroy, le sommaige c,
Vaiches et buefs, qu'om ne les puist sousprendre :
35 Face un seul chief et a icellui l rendre 24g b
Droit d^beir sur mort décision,
Escoutes, guet ; estre en bonne union,
Bien obéir mainte victoire donne,
Haster son fait sanz dilatacion 2 :
40 Advise cy toute noble personne.
Et se droit n'a d'achat ou d'eritaige,
Ou de vray don pour noblesce de gendre •,
Pour corps puissant, pour son roial linaige,
Pour son avoir qui tout devenrra cendre,
45 Pour volunté ne doit vers Dieu mesprendre,
Pour convoiter autruy possession
Contre les gens de sa religion ;
Sur Sarrasins de guerroier s^rdonne ;
Faire le puet et ailleurs par raison :
5o Advise cy toute noble personne.
1. cellui. — 2 délectation.
a. On a vu. — b. Charrois. — c. Bêtes de somme. — d. Nais-
sance.
BALADES I 8 I
l'envoy
Prince, je tien pour ma conclusion
Qu'on doit avoir de maint l'opinion
Sur les grans faiz avant qu'on s'abandonne,
De son vouloir faire execucion ;
Venir en puet trop grant destruction : 55
Advise cy toute noble personne.
DGCGGLV1I
Autre Balade
QUI PARLE DES ESTRAINES DU JOUR DE l'an
G
e jour de l'an estrener ne sçaroie
Gomme l j'ay fait ou bon temps de jadis,
Ou toute honeur couroit et toute joye
Sanz mal penser, tricherie ou mesdis,
Car s'au jour d'uy venoit de paradis - 5
Homme ou femme, souz 2 forme angelical,
Parlans entr'eulx, y penseroit on mal,
249 c Tant est chascun plain de mauvese vie.
Or vous gart Dieux, dame, en especial,
De faulx parler et de mauvaise envie. 10
Car par ces deux, s'ainsi est qu'om les croye,
Seront tous maulx et tous mortelz perilz,
I. Com. — 2. sanz.
1 82 BALADES
Les bons destruis et les maulvais en voie;
Chascuns sera l'un a l'autre ennemis,
i5 Amours faulra, car amie n'amis
Ne seront plus; toute chose loyal
Par ces .11. poins prandra terme final,
Désirant mort, se Dieux n'y remédie,
Qui nous vueille garder en gênerai
20 De faulx parler et de mauvese envie.
Las ! au jour d'uy ne court autre monnoye
Entre les gens et en pluseurs pays;
Li cuers des bons et des bonnes en noyé
En triste flum a des pensers esbahis,
25 Quant se voient par paroles trahis
Mauvesement, de crime capital
Contre raison. O court celestial,
Prince de paix, les bons n'oubliez mie,
Mais les vengez par justice royal
3o De faulx parler et de mauvese envie.
l'envoy
Prince, mettez le frain, qu'om ne les voye
Jamais régner. A ces .ir. je vouldroye
Qu'ilz fussent mors de mal d'espilencie è,
Ou estranglez d'une bonne courroye;
35 Mais je pri x Dieu qu'il nous gart toute voie
De faulx parler et de mauvaise envie.
I, prie.
a. Fleuve. — b. Peste.
BALADES I 83
DCCCCLVIII
Balade
COMMENT LE CHIEF SE DUELT DE SES MEMBRES
(Demande de garder le chaperon sur la tête.)
24g d T3uisQUE le chief qui est si précieux,
1 Lui malade, fait les membres doloir
Qui a le nés, la bouche, oreilles, oeulx,
Tous les .v. sens pour parler et veoir,
Pour odourer, sentir et concevoir, 5
On le doit bien garder de violence,
De faim, de froit et de toute grevance,
Sanz defubler a ainsi que nous faisons,
En temps d'yver, a celle court de France :
Congié, pour Dieu, d'avoir noz chaperons! 10
Mestier b en ont maint servant qui sont vieulx,
Aucuns pelez c, qui n'osent comparoir
Pour ce qu^lz sont en yver roupieux,
Et 1 si ne puent bien faire leur devoir;
Li josne enfant en sont destruit et noir, i5
Si qu'en tremblant font de leurs dens la dance :
Rongneux en sont quant le printemps commence
Mains pannetiers, fruittiers et eschançons,
Variez trenchans, crians d'une aliance d :
« Congié, pour Dieu, d'avoir noz chaperons! » 20
1 . Et manque.
a. Sans ôter nos chaperons. — b. Besoin. — c. Chauves. — d.
D'une voix unanime.
I 84 BALADES
Car de ce froit qui est si périlleux,
En defulant a, ce puet on bien sçavoir,
Vient rage es dens, on en est chacieux.
Las ! et que puet tel * froide honeur valoir?
25 Car on ne puet ses membres remouvoir;
La crampe en naist, la rume, esquinancie 2,
Mai es costez; on en grate sa pance,
Et s'en viennent les mules es talons
Dont maint sont mort; par ceste conséquence,
3o Congié, pour Dieu, d'avoir noz chaperons 3!
l1ênvoy
Prince, mettez sur ce fait atrempance b :
De la Toussains, que li 4 hyvers commence
Jusqu'à Pasques, nous le vous supplions,
Lettres aussi jusqu'à 5 vostre plaisance. 25o c
35 De ces Lombars nous octroiez Pusance :
Congié, pour Dieu, d'avoir noz chaperons!
DCCCCLIX
Autre Balade
[Ce qui est violent ne dure pas»)
J'ay veu la rivière de Saine,
Du Rosne, de Laire c et du Ryn,
Par inundacion soudaine,
1. tele. — 2. la rume toux esquinancie. — 3. Congié pour dieu etc. — 4
lyvers. — 5. jusques a.
a. En ôtant son chaperon. — b. Tempérament. — c. Loire.
BALADES 1 85
Courre es champs et par le chemin
Gomme une mer, et leur train 5
Demourer une longue espace
De temps, et puis celle eslevace a
Se departoit soudainement,
Faisant Teaue des flums plus basse :
Pou dure chose violent. io
Avoir gaingnié sanz cause et paine,
Par malice ou maint sont enclin,
Suronde b, et lors Orgueil le maine
Un temps régner, mais en la fin
Vient un pechié ou un hutin c, i5
Qui tel acquest toult d et efface
Et emporte, quant le flun passe,
L/acquest du propre tenement
Bien acquis ; hom ' ne se mefface :
Pou dure chose violent. 20
La petite rivière est plaine
Et le petit fleuve enterin e
D'yaue en tout temps, car il n'a vayne
Qui tende a grever son voisin.
Il ne sourie pas du venin 25
D'autre eaue, toudis tient sa place
Quant en 2 ses rives se soulace
Sanz excéder aucunement.
25o b Tout homme a cest exemple face :
Pou dure chose violent. « 3o
1. homme. — 2. en manque.
a. Celte élévation de l'eau. — b. Déborde. — c. Dispute. — d. Qui
emporte ce bien mal acquis. — e. Plein.
I 86 BALADES
l'envoy
Prince, pour avoir ne pour grâce
Ne soit homme trop acquérant,
Tiengne le moien et pourchace :
Pou dure chose violent.
DCCCGLX
Autre Balade *
AMOUREUSE.
{A une Dame.)
G ente de corps, face a droit coulourée,
Humble regart, front hault et bien assis,
Entr'ueil a plaisant, bouche bien ordonnée,
Petit menton, lefres et nez traitis b,
5 Voz joettes c font deux fosses d toudis,
En soubzriant, o belle plus que belle!
Vous regarder est un droit paradis :
De jour en jour vo beauté renouvelle.
Car vostre chief a toute gent agrée,
10 Blont com fin or, vairs oeulx et les sourcils
' Publiée par Crapelet, page g8
a. Espace entre les deux yeux. — b. Bien droit. — c. Petites
joues. — d. Fossettes.
BALADES 187
Avez petiz, la denteure serrée,
Mannette a blanche comme ■ fleur de lis,
Et au seurplus est vo corps assevis b
De tous les biens qui sont en flour nouvelle.
De plus en plus, dame, ce m'est advis, i5
De jour en jour vo beauté renouvelle.
Or estes vous donc de bonne heure née,
Quant grâce avez, la louenge et le pris
D'umilité, de nobles meurs parée,
De beau maintien, de manière et de vis c; 20
Mais sur toutes portez bien voz habis,
Plus que nulle dame ne damoiselle
Qui soit vivant en terre n'en pays :
250 c De jour en jour vo beauté renouvelle.
l'envoy 2
Dame que j'aim, de vostre amour souspris, 25
Pour voz grans biens me vient douce nouvelle,
Mes cuers s'esjouist, car certains suis et fis d
De jour en jour vo beauté renouvelle.
1. com. — 2. Double chançon royal.
a. Petite main. — b. Rempli. — c. De visage. — d. Sûr.
i88
BALADES
DCCCCLXI
Balade
FAICTE PAR EUSTACE SUR LA MUTACION DU CIEL ET DE LA
TERRE ET COMMENT LUCIFER TREBUCHA EN ENFER PAR SON
ORGUEIL ET GRANT PRESUMPCION
DOUBLE CHANCON ROYAL
B1
ien me souvient de la mutacion
De terre et ciel, de la forme angelique
Et de Torgueil et grant presumpcion
De Lucifer, qui devint diable inique
5 Par son pechié : je recors la fabrique a
Faicte d'Adam l, no père premerain,
Par le vray Dieu, et de sa femme Evain,
Qu'il mist tous deux en paradis terrestre
Qu'ilz perdirent par leur pechié villain :
10 Je, Mémoire, sçay ce que Dieu fist estre.
De déluge la persecucion,
Du temps Noé et son arche autentique
Dont le monde ot sa renovacion
Par ses enfans, habitans en publique,
1 5 Qui puis tindrent Ayse 6, Europe et Aufrique.
Sem, Cham, Japhet; chascun d'eulx pour certain
L'une des trois possida en sa main
Avec sa gent, quant confusion nestre
i. de adam.
a. Je rappelle la création. — b. Asie.
BALADES 1 89
En Babilon voult, et par cas soudain :
Je, Mémoire, sçay ce que Dieu fist estre. 20
Lors fut faicte la separacion
Des lignies; chascun sa langue applique
A une part et dominacion;
L'un sur Pautre régna par voie oblique ;
25od Les .vu. ars puis, chascun en sa pratique; 25
Nembroth le l grant fut seigneur premerain,
Grant et corsu a, de toute fierté plain,
Villes ferma, de son peuple fut maistre,
Lors commença guerre et envie a plain :
Je, Mémoire, sçay ce que Dieu fist estre. 3o
Les grans guerres, la persécution
Des Troiens, la voie astronomique
D'Alixandre, qui a sa diction b
Mist le monde, de la guerre punique
Que les Romains firent en lrrilique 35
Et autre part; furent seigneur mondain,
Aux provinces mistrent treu c et frain;
Tout conquistrent a destre et a senestre;
Puis, par orgueil, ont tout perdu Rommain.
Je, Mémoire, sçay ce que Dieu fist estre. 40
D'aage en aage se fist mutacion :
Ducs et meneurs en la voye hebraique.
Abraham ot multiplicacion
De semence, pour sa foy, et 2 si que
Dieux l'ama moult; Saul phitonique d, 45
Qui rois estoit, voult Dieu tempter en vain,
Dont, lui vivant, David, roy souverain
1. le manque. — et manque.
a. Gros, fort. — b. Domination. — c. Tribut. — d. Possédé du
démon.
I 90 BALADES
Fut oint de Dieu, qui par 1 son fruit arepaistre
Et rachater voult tout le peuple humain.
5o Je, Mémoire, sçay ce que Dieu fist estre.
Les Gaulx * avant celle perdicion,
Qui d'Eneas vindrent en Italique,
Afranchirent leur generacion,
Belgues, Seltes, et François Senonique
55 Conquistrent puis le ceptre imperatique c.
Clovis, paien, prinst le baptesme saint
De Jhesucrist; Paris d'uy a demain
Par saint Denis prinst la foy vraie et destre.
Charles li grans la garde soir et main :
60 Je, Mémoire, sçay ce que Dieu fist estre. 25 1 a
L'Eglise fut lors en devocion,
L'estude ama moult, sa theologique,
Des biens de Dieu ne fist vendicion,
Mais reprenoit l'eresie erratique d
65 Des Arriens. A gramaire, a logique,
Et aux bons clers donna prouvende et pain;
Ce la soustint, mais au jour d'ui la plain,
Car de néant fait on prélat et prestre.
Prière 2 et dons destrempent ce levain :
70 Je, Mémoire, sçay ce que Dieu fist estre.
Pierres ne Polz n'ont plus audicion e,
Ne Jérôme li bon bibliotique /;
Leur successeur ont autre entencion,
Tous veulent Por, mais s'il ne sonne et clique £",
75 Nul n'aura d'eulz moustiers, baston ne clique ;',
1. pour. — 2. Prières.
a. Par son fils. — b. Les Gaulois. — c. Impérial. — d. Erronée.
— e. Audience. — /. Editeur des travaux bibliques. — g. S'il ne
fait du bruit. — h. Abbaye, crosse ou sonnette.
BALADES 19I
Car s'il est clerc sanz or, mourra de faim,
Metheode a sur ce dit son refrain :
Antecrist vient pour leurs gueules repaistre !
En l'aage .vu. seront tuit prins a Tain a :
Je, Mémoire, sçay ce que Dieu fist estre. 80
Approcher voy toute destruction
Selon la loy et texte euvangelique,
Règnes faillir, amour, dilection,
Humilité, science et rethorique,
Congnoissance, la vie politique. 85
Mémoire suis, qui tous ces cas reprain *,
Et qui des rois et prelas me complain,
Qui n^nt pas tous les meurs de saint Silvestre;
Leurs faiz mettray en reprouche au derrain c:
Je, Mémoire, sçay ce que Dieu fist estre. 90
l'envoy
25 1 b Prince ' et prelas, aiez contricion,
Le peuple aussi ; en emendacion d
Vueillez voz cuers et voz âmes repaistre
De lamour Dieu, de sa dilection 2,
Ou vous serez mis a dampnacion : 95
Je, Mémoire, sçay ce que Dieu fist estre.
1. Princes. — 2. et de sa dilection.
a. A l'hameçon. — b. Reprends. — c. A la fin. — d. Réforme.
I 92 BALADES
DGGGCLXII
Balade.
[Il faut tenir sa parole.)
L
evres mouvoir sanz cuer a oroison
N'est pas a Dieu prenant ne aceptable,
Mais ne lui est c'une desrision
Quant le cuer est aux lèvres variable :
5 Car par le cuer est la bouche mentable,
Quant il ne veult ce que la bouche dit.
Ainsis donnons qui pis vault qu'escondit a
A maintes gens par lèvres au jour d'ui.
Or gardent bien leur don et leur escript,
10 Car de telz dons voy po joir nullui.
Cilz prie en vain qui n'a devocion,
Neis b quant le cuer est ailleurs entendable;
Bouche parle, mais c'est decepcion,
Que Dieu n'a pas ne les sains agréable.
i5 Des donneurs d'ui voy la chose semblable;
Car puis qu'ilz ont de bouche leur don dit,
Le cuer paier a mains le contredit c,
Qui du pourchas ont grant paine et anuy;
Folie font s'ilz ne sentent le dit :
20 Car de telz dons voy pou jouir nullui.
Si naist de ce murmure et achoison d,
De tel donnant estre désagréable .
a. Refus. — b. Même. — c. Le cœur défend à maints de le payer
— d. Scandale.
BALADES 1 93
25 1 c Quant il ne fait sanz faulte avoir le don
Qu'il a promis; estre doit homme estable.
Ne mente ja ; soit avant refusable 25
Que d'octroier, qui engendre mesdit
Sur son octroy, quant il ne l'acomplit;
Ains de telz gens bonne chançon ne luy a :
Eulx ny autres n'y ara ja prourit,
Car de telz dons voy po jouir nulluy. 3o
l'envoy
Princes, chascun ait le cuer véritable,
Face son don et sa parole estable
Puis qu'il promet; du temps esbahi suy
Que le cuer n'est a la bouche acordable,
Dont je puis bien dire a touz ce notable l b : 35
Car de telz dons voy po jouir nulluy.
DCCCCLXIII
Autre Balade.
{Danger d'aimer en trop haut lieu,)
J'aime tresfort et de tresgrant amour
Une dame qu'en son pais n'a tele,
Mais de mon fait n'ose faire clamour
Ne semblant nul, car l'amour est mortele.
1. a touz dire ce notable.
a. Ne lus. — b. Cette sentence.
T. V i3
1 94 BALADES
5 — Qui le sçaroit? — Ta folie est cruele,
Pour estre mort et tiré comme un chien!
— Qui te verroit? Or hoste ton cuer (Telle :
Char a espée au jour cTuy ne vault rien a.
Qui ayme hault, c'est péril et paour,
10 Ardent désir, doleur qui renouvelle,
Déduit emblé b qui fait po de douçour,
Et s'om le scet ou qu'il en soit nouvelle,
Passer en fault la mort par la lemesle c.
Si haulte amour a homme ne vault rien;
i5 Ayme en bas lieu, quier povre femme et belle :
Char a espée au jour d'uy ne vault rien. 25 1 c
Et lors pourras aler de jour en jour
Et seurement prandre plaisir ] a elle,
Et devant tous faire illec d ton séjour
20 Sans péril nul, car haulte amour chancelle,
Mais ceste cy est plus seure en sa selle ;
Se petite est, fay la riche du tien,
Et se bonne est, passe illec ta nacelle :
Char a espée au jour d'ui ne vault rien.
l'envoy
25 — Compains, par Dieu, vous dittes le millour;
C'est grant péril que d'amer en destour
Ne haultement, plus y a mal que bien;
Pour les perilz vueil eschiver ce tour
Et en bas lieu vueil faire mon retour :
3o Char a espée au jour d'ui ne vault rien.
:. ploisir.
a. Comparez cette ballade avec le numéro DCCCCXLV, page
160. — b. Plaisir pris à la dérobée. — c. Lame de couteau ou
d'épée, — d. Là.
BALADES
ig5
DGCCCLXIV
Autre Balade.
(Que chacun cherche son refuge.)
Sectes de loys, mutacions
D'empires, haines couvertes,
Mors soudaines, grans mocions,
Seront par tout le secle certes
Si soudainement descouvertes 5
Que nulz ne les congnoistera
Jusqu'à ce que prins se verra
Par la vengence du hault juge
Qui les grans pécheurs destruira :
Or quiere chascun son refuge. 10
Fouldres, feu, inundacions,
Dix plaies nous seront ouvertes,
Verges de fer, occisions,
Et tout venrra par noz dessertes;
Ly mondes ne reçupt telz pertes i5
Ne telz tourmens puis a le diluge
Dont l'en voit les voies appertes b :
Or quiere chascun son refuge.
Car les mauvaises nascions
Qui aux autres font les souffertes c
Pour leurs maulx et pugnicions
a. Depuis. - b. Ouvertes. — c. Qui font souffrir les autres.
20
196
BALADES
Seront chars aux oiseaulx offertes
Par les champs; leurs riches couvertes
Et leurs despoilles, dont Dieu juge,
25 Seront de fiens recouvertes :
Or quiere chascun son refuge.
l'envoy
Prince ly autre refuge n'y a
Fors de bien faire qui vouldra
Et d'amer Dieu, ainsi le lu ge «,
3o Et certes qui ne le fera
Des .x. plaies sa part ara :
Or quiere chascun son refuge.
DGCCGLXV
Autre Balade.
(Comparaison d'un homme vieux avec une vieille
selle de cheval.)
En une selle a chevauchier,
Quant elle a couru longuement,
Fault tousjours pannel * ou estrier,
Tasse c, boucle, espingle ou mordant ,
1. Princes.
a. Le lus-je. - ». Morceau, pièce. - c. Poche, espèce de bourse
— d. Agrafe.
BALADES I97
Contrecengle *, autre accident, 5
Clou, martel *, poinçon ou lasniere,
Cengle, poitral ou estriviere,
Couverture ou chose nouvelle;
Jamais ne sera bien entière :
Tousjours fault ouvrer en viez ' selle. 10
Porter la fault au bourrelier
Pour rembourrer communément
Et pour l'arçon qui veult briser,
Et les auves c semblablement;
Elle loche d, elle se desment, i5
Ataiches y fault et cuilliere e,
Rembourrer devant ou derrière,
D'un lez ou de l'autre/ chancelle,
Tant qu'elle chiet en la pouldriere s :
Toudis fault ouvrer en viez selle. 20
Ainsis fault il, a droit jugier,
En viel homme ouvrer trop souvent ;
Une 2 heure commence a clochier *
Pour goûtes qui le vont tenant,
Autre foiz la teste lui fent 25
De doleur, lors fait mate chiere;
Autre heure gist sur la litière
Pour le grief mal de sa forcelle * ;
Lors n'est remède qu'il ne quiere :
Toudis fault ouvrer en viez ' selle. 3o
Mal a es dens, ne puet mangier,
1. vielz. — 2. Un.
a. Courroie clouée sur l'arçon de la selle, et qui sert à arrêter
la boucle de la sangle. — b. Marteau. — c. Côtés de la selle. — d.
Elle cloche. — e. Sangle de cuir au derrière d'un cheval pour main-
tenir le harnais. — /. D'un côté ou d'autre. — g. Tant qu'elle
tombe en poussière. — h. Boiter. — i. Estomac, ventre.
I98 BALADES
En son dos seufre grief tourment,
Or le fault adonques vuidier,
Le medicin avoir présent ;
35 Le costé d'angoisse li fent,
Si fault l pour purgier la matere
Boire poison «, prandre cristere,
Et quant la lune renouvelle,
On le voit bien a sa manière :
40 Toudis fault ouvrer en viez 2 selle.
Ainsi vit viellesce en dangier
De phisique b ou elle s^ttent,
Dont elle a chascun jour mestier c,
Qui son corps lui va rembourant ;
45 De ses excès la paine rent,
Elle default de sa lumière,
En défaillant court a sa bière, 252 c
En cendre chiet comme estincelle,
Tant soit homme de fort perriere d :
5o Toudis fault ouvrer en viez selle.
l'envoy
Prince, il n'est nulle rien e vivant
Qui ne muire /", et par consequant
Périlleuse est nostre nasselle;
Si tost que viellesce nous prant,
55 Tousjours avons un fer lochant £",
Toudis fault ouvrer en viez selle.
1. Si faut il. — 2. vielz.
a. Potion. — b. Au pouvoir de médecine. — c. Besoin. — d. Car-
rière. — e. Chose. — f. Qui ne meure. — g. Un fer qui branle.
BALADES igg
DGCCGLXVI
Autre Balade
SUR LES SERVITEURS
Vous qui voulez servans avoir
Pour vous servir honnestement,
Je vous faiz deux choses sçavoir
Que vous sachiez : premièrement
Que sobre soit ; secondement 5
Qu'il ne soit chaut a ne rumoreux b,
Car c'est services périlleux
Et qui empire la besongne;
Il vauldroit mieulx estre touz seulx
Que prandre rumoreus n'yvrongne. 10
Car homme yvre fait esmouvoir c
Par son parler communément
Pluseurs, dont il fault recevoir
A aucuns dolereus tourment;
Car il dit villennie et ment , i5
Pour le vin qui le fait fumeux d;
Il fiert ey il devient oultrageux;
On le bat, chascun le ressongne /:
Il vauldroit mieulx garder trois leux s
252 d Que prandre rumoreux n'yvrongne. 20
Encor vault pis, au dire voir A,
a. Qu'il n'ait pas la tête chaude. — b. Indiscret. — c. Fait s'irriter.
— d. Emporté. — e. Il frappe. — /. Le craint. — g. Loups. —
h. A dire vrai.
200 BALADES
Homs ramoreux naturelment,
Car perdre fait corps et avoir
Par sa rumour, en un moment,
25 A ceuls qui ne scevent comment
La noise vint du maleureux.
Or s'en gardent celles et ceuls
Qui ont de mal faire vergongne :
Car c'est péril trop merveilleux
3o Que prandre rumoreus n'yvrongne.
l'envoy
Princes, chascun soit amoureux
De varlet simple et gracieux,
Sobre, soufrant a, et qu'il ne grongne,
Qu'il ne soit lent ne paresceus :
35 Mieulx vault avoir servent doubteux
Que prandre rumoreus n'yvrongne.
DCGCCLXVII
Autre Balade
(On n'est connu qu'après sa mort.)
Se ce n'est sens ou grant chevalerie,
Chastel ou lieu de grant auctorité,
Le demourant ne dure fors a vie
a. Endurant.
BALADES 201
Que tout ne soit a la mort expiré :
5 Mais Mémoire, qui tant a proufité
Par le moien de lettre et d'escripture,
Et figurer de taille a ou en painture
Le sens d'autrui, la prouesce et Vaillance,
Font après mort congnoistre créature,
10 Et ce sçavoir nous fait Expérience.
Car nous veons renommer par clergie b
Roy Salemon en la divinité,
Saint Augustin, Jherome, Jheremie, 253 a
Des quelz les diz sont souvent recité;
i5 Alixandre qui fist mainte cité,
Hector, César, les .ix. preux qu'om figure,
Pompée aussi, mainte bataille dure
Que tous ces rois firent par leur puissance,
Dont leurs noms vit, eulx mis en sépulture :
20 Et ce sçavoir nous fait Expérience.
Romme que fist Romulus certifie
Et de Remus leur haulte voulenté,
Lixebonne q^lixes a bastie,
Maint fort chastel et mainte fermeté
25 Que pluseurs ont a leur vie fondé
Et mis leurs noms, les font par la droiture
D'édifier et de chastel qui dure
Vivre a tousjours par renom qui s'avance
Après leur mort, estans en pourreture :
3o Et ce sçavoir nous fait Experiance.
i/envoy
Prince, qui puet doit bien mettre sa cure
D^cquerir sens, et pour prouesce endure
a. Par sculpture. — b. Science, littérature.
202 BALADES
Tant que d'armes puist avoir congnoissance.
Edifier puet et doit par mesure ;
35 S'ainsi le fait, mort, vivra sanz laidure,
Et ce sçavoir nous fait Experiance.
i5
DCCCCLXVIII
Autre Balade
DES PERILZ QUI SONT A SUIR LA COURT
A
proprement exposer fait de court,
Sontmains perilzpour Pâme et pour le corps,
Car Convoitise o les curiaulx a court,
Envie y est et dedenz et dehors,
5 Excès s 'i font, dont mains ont esté mors
Avant leurs jours ordonnez en nature ; 253 b
La sont travaulx, paines, labours et cure,
Qui veult servir et faire son devoir;
Et sanz labour on n'y a d'omme cure :
io Bon fait sanz court vie et chevance avoir.
Car vanitez temps perdu y decourt
En attendant estas, honeurs, rappors;
Le jeusne temps s'enfuit, viellesce acourt,
Les grans estas, les honours et les ors
Ly corps se duelt par traveil et froidure,
i*. Gens de cour.
BALADES 203
En languissant va a sa sépulture;
Pour tout le sien voulroit santé avoir,
Mais mourir fault; vez ci sentence dure :
Bon fait sans court vie et chevance avoir. 20
Et, qui plus est, homs qui n'y scet du hourt a,
Mordre, blandir *, soy tenir aux plus fors,
Dissimuler, muyaux c, aveugle et sourt
Estre souvent, ja n'y sera ressors d
Ne n'aquerra ! vaillant .11. harens sors; 25
Qui grans y est, il est en adventure
De perdre tout par un cas d'amesure e
Et l'ame aussi, s'il n'a fait son devoir
De servir Dieu, pour acquérir ordure :
Bon fait sans court vie et chevance avoir. 3o
l'envoy
Prince, servir mondaine créature,
Oublier Dieu, est pechié et injure
Dont es cours voy maint homme decepvoir ;
Mais servir Dieu et vivre sanz laidure
De son labour est vie nette et pure : 35
Bon fait sans court vie et chevance avoir.
1. Ne naquerra ja.
a. Ruses. — b. Flatter. — c. Muet. — d. Relevé. — e. Manque
d'équilibre.
204 BALADES
G
DCGCCLX1X
Autre Balade.
(Vanité de la vie humaine.)
harongne a vers, povre fragilité, 253 c.
Qui puez estre comparée a la rose
Qui est boutons et naist ou temps d'esté,
Enmi le jour s'espanit a, lors desclose b
5 Odoure c un pou et plaist, mais la nuit close,
Flour et bouton et rose est amatie d :
En mains d'un jour est sa beauté perie;
Certes autel e est il d'omme et de femme ;
En un moment perdons corps, ame et vie :
io Dieux nous vueille garder et Nostre Dame !
Ne muert enfans en sa plus grant beauté,
Femme en jouvent/, homs aussi? Gomment ose
Orgueil avoir, fors que simplicité
Et craindre Dieu ? Comme trespo de chose
1 5 De fer, de fust s ou de fièvre l'enosse *
Uns povres vers, yraingne ou orillie %
Le mors d'un chien J ou beste qui le lie
Le fait mourir et mettre soubz la lame *
En moins de temps que flour n'est espanie l.
20 Dieu nous vueille garder et Nostre Dame !
a. S'épanouit. — b. Ouverte. — c. Sent bon. — d. Fle'trie. — e.
De même. — /. Jeunesse. •— g. De bois. — h. Entre dans ses os. —
i. Perce-oreille. — j. La morsure d'un chien. — k. Dans le cer-
cueil. — /. Epanouie.
BALADES 205
Las! que nous vault nostre grant parenté a,
Noz grans palais, nostre grant cité close,
Noz grans trésors, li règne conquesté,
Force de corps, nostre sens et la glose b7
Tout ce ne puet deffendre nostre fosse. 2 5
Sanson est mort, Alixandre et Urie,
Crises, David, Salemon, Jheremie,
Et tuit mourrons en paiant celle drame c.
Es biens mondains ne soit nulz qui se fie :
Dieu nous veuille garder et Nostre Dame! 3o
l'envoy
Prince et seigneur, ne vous confiez mie,
Ne homs mortelz, en chose qui varie.
253 d Lecorpsmourra-jOrpensonsdoncderame,
De Dieu servir et la vierge Marie,
Ou autrement nostre gloire est perie : 35
Dieu nous vueille garder et Nostre Dame !
DGCGCLXX
Autre Balade.
sur l'estat moyen
Qui est Testât en ce monde plus sain
Pour vivre en paix et selon conscience ?
— C'est le moien. — Et quel ? — Je le t'aprain :
De sçavoir art labourer et science,
a. Nos illustres parentés. — b. Parole. — c. Dragme.
206 BALADES
5 Avoir en Dieu plus qu'en homme fiance,
Ouvrer a des mains, vivre de son labour,
Sanz trop ne po quérir estât n'onour,
Car ce moien ont tuit tenu li saige.
Fay donc le mieulx et pran pour le meillour
10 Labour de mains et hostel de mesnaige.
Car en hault lieu ventent li vent a plain,
Les hauls clochiers destruisent par puissance,
Et les bas lieux demeurent seur, ce tain è;
Bon adviser fait c ceste conséquence.
i5 Les grans estas ont toute pestilence,
Trop grant coup prant qui chiet de haulte tour,
Plus est navrez que cil qui chiet d'un four,
Et ce sçavoir puet chascun par usaige;
Donc doit amer tout homme de valour
20 Labour de mains et hostel de mesnaige.
Plus vit en paix un povre chapellain
Aux fraiz d'autruy ou par sa pourveance,
Ou un cloistrier d, ne fait e son souverain,
Qui 1 pour les gens qu'il a maintefoiz pense;
25 A grant seigneur convient trop de despense,
Es grans honours a traveil sanz séjour/,
Et de telz gens sont abrégé li jour
Et vivent moins que gens en labouraige 254 *«
Pour leur soussi ; or tien donc, par amour,
3o Labour de mains et hostel de mesnaige.
l'envoy
Prince, qui a terre, aumaille et pastour s,
I. Ou.
a. Travailler. — b. Je tiens. — c. Il fait bon considérer. — d.
Moine cloîtré. — e. Que ne fait. — /. Sans repos. — g. Bétail et
berger.
BALADES 207
Charrue ou beufs, et scet aler entour
Pour labourer, et a grain et frommaige,
Fèves et pois, du gros pain cuit en four,
Seuremcnt vit : Dieu nous doint par douçour 35
Labour des mains et hostel de mesnaige.
DCCCCLXXI
Autre Balade.
SUR LA COURT CELESTIAL
Ilz sont deux cours en gênerai
Et les branches qui s'en despendent,
Et une court celestial
A laquele pou de gens tendent :
Les deux aucune foiz se vendent 5
Dont Tarne est en enfer vendue,
Et par Tautre est gloire rendue
A ceuls qui en faiz et en dis
Et en bien penser ont tendue a :
C'est li règnes de paradis. 10
L'une des cours ou sont ly mal
Est mondaine, ou les vices chantent ;
La sont .vu. péchiez capital
Qui par tous les servens s'estendent.
A la seconde court se vendent 1 5
Les biens de Dieu par retenue ;
Saige personne povre et nue
a. Direction.
208 EALADES
Ne bons clercs n'y seront meris rt;
20
in e bons ciercs n y seront mens a ;
La joie est de tel court perdue :
C'est ly règnes de paradis.
Li bailli, li officiai, i54 b
Ausquelz prince et prélat s'attendent,
Prévost, conseiller, curial b,
Les droiz civilz les lois estranglent,
25 Les canons c arrebours entendent ;
Le bien commun de doleur sue,
Lerres d vit et prodoms essue e
Par le jugement des chetis;
Privez sont de ciel et de nue :
3o C'est ly règnes de paradis.
Ce sont li prince Belial
Qui mal pour bien aux justes rendent,
Ce sont li juges desloial
Qui Susanne pour ardoir /prandent,
35 Ce sont ceuls qui les bons tourmentent
Et qui préparent la venue
D'Antecrist, quant tout droit se mue;
Par convoitier les biens fuitis s,
En perdent la gloire congneue :
40 C'est li règnes de paradis.
O saincte court, juste et loyal,
Que les sains et les sainctes sentent!
La sont li ordre angelical
Et ceuls qui a bien faire entendent,
45 Les bons trespassez qui te tendent
Les mains, qui ont voie tenue
Selon Dieu; grant desconvenue
a. Récompensés. — b. Courtisan. -— c. Les règles. — d. Larron
— e. Sèche. — /. Brûler. — g. Passagers.
BALADES
209
Venrra aux dolens esperis
Qui aront ta gloire incongnue :
C'est ly règnes de paradis. 5o
l'envoy
254 c. Prince, la tierce court cremue a
C'est la court Dieu qui nous argue *
De noz maulx ; ostons ces périls,
Faisons que mal en bien se mue,
Prenons ce qui tout esvertue : 55
C'est li règnes de paradis.
DCCCCLXX1I
Balade.
EN ALLEGUANT BOECE, DE CONSOLACION, COMMENT IL FUT MOULT
CONSTANT EN TRIBULACION ET DE GRANT RECONFORT
Se Boeces, de Consolacion,
Qui saiges fut et de tel reconfort
Que pour perte ne tribulacion
Qui lui venist n'ot oncques desconfort,
Ne pour bien nul ne s'esjouy trop fort ' 5
Pour ce qu'il sceut que fortune mondaine
Est inconstant, périlleuse et soudaine,
Vivoit encor, tous seroit esbahis
a. Crainte. — b. Qui nous fait des reproches.
T. V
H
210 BALADES
Des grans horreurs que le monde demaine
10 En tous estas et par touz les pais.
Petit seroit de s'accusacion,
De son exil, estre jugié a tort,
Sanz lui oir mettre a dampnacion,
Absent aussi, non congnoissant ; Dieu dort,
i5 Car au jour d'ui le gaingne le plus fort,
Sanz loy garder le plus foible mehaingne a,
Et justice est la toille de Fyraingne
Qui ne retient que les povres chetis;
Les grans larrons laisse aler et aplaine b
20 En tous estas et par tous les pays.
Mais qui pis est, toute destruction
Se tait des bons, les mauvais ont le port;
Les convoiteus, envye, ambicion, 254 d.
Pechié de char, tuit vice vil et ort
25 Régnent partout et a si grant effort
Que puis le temps Constantin et Helayne,
Ne devant eulx, ne fut la terre plaine
De tant de maulx, traisons et périls,
Que chascun fait et s^n efforce et paine
3o En tous estas et par tous les pais.
l'envoy
Princes, je croy que la court souveraine
Et les .ix. cieuls, tout ce qui les compaigne c.
Les elemens et Dieux en paradis
Sont tous troublez des faiz que l'en demaine
35 Contre sa loy, ça jus, en ceste plaine,
En tous estas et par tous les pais.
a. Maltraite. — b. Caresse. — c. Les accompagne
BALADES 2 l 1
DGCCCLXXIII
Autre Balade.
SUR LES ESTAZ MOYENS ET QU ILZ SONT LES PLUS SEURS
Qui a eu des estas moyens
Sanz reprouche en ce monde cy,
Et par travail acquis des biens
Dont vivre puet, s'il est ainsi,
Il en doit Dieu rendre merci, 5
Soy retraire tant qu'il a grâce,
De Dieu servir prandre l'espace,
Prier ses péchiez lui pardonne,
Faire bien et qui se soulace a,
Serve Dieu, face sa besongne. io
Car homme qui est clers voyens,
255 a S'ainsi fait, s'oste de soussi
Et n'est chargeus b ne ennoieux,
Comme sont li viel endurcy
Qui aux cours se sont obscurcy i5
Tant que chascuns les fuit et chasse.
Hz sont moquez, on quiert leur place
Par viellesce ou pour leur vergongne;
En tel cas homs ne se mefface c,
Serve Dieu, face sa besongne. 20
Soit de telz estas retraiens d
a. Console. — b. A charge, onéreux. — c. Que personne ne se
mette dans ce mauvais cas. — d. Qu'il se retire de ces états.
2 I 2 BALADES
En moyen aage homs, et aussi
Qu'il ait grâce et amour laiens a
Car puis qu'il partira, je dy
25 De son gré, sanz avoir failli
En tel estât, si le pourchace,
Honneur a; s'il veult, il amasse
Biens temporelz et si esloingne
Moult de perilz; telz maulx trespasse,
3o Serve Dieu, face sa besongne.
l'envoy
Princes, li homs qui est sciens b
Doit de court doubter les liens
Et le trebuchier qu'om ressoingne c;
Départe soy, puis qu'il a riens;
35 Trop est cours perilleus merriens d :
Serve Dieu, face sa besongne.
DCGCCLXXIV
Balade
AMOUREUSE
{Souvenir à une dame.)
Pour le doulz temps et pour l'acoustumance
Que j'ay aprins et le veu que fait ay
D'Amour servir, a qui suy dès m'enfance,
De lui offrir, le premier jour de May,
a. Là dedans. — b. Savant. — c. Craint. — d. Bois.
BALADES 2 1 3
255 b Chançon, rondeau, balade ou virelay, 5
Me vueil a lui humblement acquiter
Et tout mon fait lui vueil recommander,
En suppliant qu'elle m'ait en sa grâce,
Si je suy viel, sanz mon corps despiter,
Car en tous fault que jonesse se passe! io
Mon jeusne temps, mon labour, ma plaisance
Ay mis, du tout le demourant feray
A bien servir, en toute obéissance,
Celle que j'aym, n'oncques autre n'amay
Ne jamais jour autre dame n'aray. i5
Or me vueille, s'il lui plaist, conforter
Et un chapel a en ce doulz mois donner
Pour adoucir la doleur qui m'efface;
Ne me vueille pour viellesce oublier,
Car en tous fault que jonesse se passe ! 20
Mais j'ay au fort en li l bonne espérance,
Pour les vertus dont garnie la sçay,
C'est de douçour, de pitié, d'atrempance,
D'umilité, d'onneur et de cuer vray,
De beau maintien, de bonté, si verray 25
Son puet hair ce que l'en seult amer *,
Quant on n'y scet que dire ne blasmer,
Fors que le temps de l'aage qui trespasse,
Que l'en ne puet sanz jeune mort tarder,
Car en tous fault que jonesce se passe ! 3o
l'envoy
Chiere dame, vueilliez vous ramembrer c
De vo servent et le reconforter d,
1. lui.
a. Une couronne. — b. Ce que Ton a coutume d'aimer.— e. Sou-
/enir. — d. Le consoler.
214 BALADES
Car fors que vous n'est qui joye lui face.
Ainsi pourra par vo bien recouvrer
35 Respit de mort et vo sers demourer,
Car en tous fault que jonesce se passe!
DGGGGLXXV
Balade x.
(Injures contre une femme qui l'avait trahi).
p
erverse en cuer, de semblant tricheresse, 255 c
Douce en parler, en oeuvre venimeuse,
Vaine d'amour, fausse et deceveresse a,
Double en voz faiz, haultaine et orgueilleuse,
5 Trop attrayant, d'autrui biens convoiteuse,
Langue tranchant qui ne scet que mesdire,
Nulz ne pourroit voz grans péchiez descripre,
Les faussetez ne les desloiaulx tours
Qui sont en vous, Brohadas plaine d'ire :
io Tous les diables vous aiment par amours.
Fille fustes Circé l'enchanteresse,
Car de charois b de sors 2 estes doubteuse,
Phitonique vous fist enhorteresse c \
Vous avez fait mainte euvre périlleuse,
i5 Ensorcelé ; n'est chose haineuse
Ne mauvestié qui vous puisse souffire,
i. Balade manque. — 2. et de sors.
a. Trompeuse, qui déçoit. — b. Charmes. — c. Elle vous fit
Pythonisse et tentatrice.
BALADES 2 l 5
Vous avez mis maint prodomme a martire,
Aucuns murdriz et les autres fait sours
Par voz poisons ; du monde estes la pire :
Touz les diables vous aiment par amours, 20
•î
Car vous estes leur dame et leur maistresse.
Royne d'enfer, de tous maulx amoureuse.
O Lachesis, raige et forsenneresse a,
Tourment sanz fin, laide, noire et hideuse.
Contrefaire voulez la précieuse, 25
Je croy que nulz ne vous vit onques rire;
Pour voz grans maulx Dieu vous vueille maudire
Tant qu'âme et corps soit dampnez a tousjours
Ou puis d'enfer, la sera vostre empire :
Tous les diables vous aiment par amours. 3o
l'envoy
Vielle, sote, fausse et enchanteresse *,
Visaige d'ours, griffes de lyonnesse,
255 d Voix de torel, vous estes en decours c.
Menton et peaulx avez comme singesse :
Pour voz grans maulx dontchascun vous delesse, 35
Tous les diables vous aiment par amours.
a. Qui rendez fous. — b. Sorcière. — c. En décroissance.
2 1 6 BALADES
DCCCCLXXVI
Autre Balade
MORALE
(Contre le mariage.)
T
Wrment de corps, abrègement de vie,
Paine de cuer, lime pour tout lymer,
Perte de sens et de chevalerie,
Traveil sanz fin est de soy marier;
5 Car chevaliers et clercs fault varier
Leurs .h. estas, l'un sens, l'autre prouesce,
Par femme avoir; ainsi chascun se blesce
Qu'aux .ii. mestiers n'a leurs femmes ensemble
Ne puet servir nulz que l'un d'eulx n'en blesce
io Qui se marie, il est foui, ce me semble.
Car a femme fault estât et mesgnie a,
Robes, joyaulx, s'amour continuer,
Meubles d'ostel, garnisons, et lors crie
Quant on lui fait longuement demander.
1 5 S'elle a enfans, il les fault gouverner,
Nourrice avoir, lors fera la maistresse ;
Pour tout quérir fault avoir grant destresse.
A son mari s'elle autrui déduit emble b
Et il le scet, jamais n'ara leesce :
20 Qui se marie, il est foui, ce me semble.
D'acquérir art clerc sa science oublie,
Et chevaliers ne se puet exercer
a. Maison. — b. Si elle prend son plaisir ailleurs.
BALADES 2 17
En fait d'armes, sa poursuite est perie ;
Ainsis leur fault moult de maulx endurer,
De criz, de plours, de dangereus parler 25
256 a Par leurs femmes, et tel doleur ne cesse
Jusqu'à la mort; dont est ce grant simplesse
A chascun d'eulx quant a femme s'assemble
Pour délaisser franchise a, sens, noblesse :
Qui se marie, il est foui, ce me semble. 3o
l'envoy
Princes, bons clercs, chevaliers en jeunesce
Ne se doivent pour or ne pour richesce
Bouter ou feu qui art et qui estrangle
Les mariez, car tous maulx les apresse.
Vivent donc frans, chascuns tel lien lesse : 35
Qui se marie, il est foui, ce me semble.
DCCGGLXXVII
Balade *.
LA COMPLAINTE D'UN GENTIL HOMME MARIÉ EN AAGE MOIEN
FAICTE PAR EUSTACE PAR MANIERE DE BALADE
J'ay demouré entre les Sarrasins,
Esclave esté en pays de Surie,
J'ay en vaisseaulx, en galées, en lins *,
* Publiée par Crapelel, page 100.
a. Liberté. — b. Sortes de vaisseaux.
2 I 8 BALADES
Esté sur mer, et en nave perie,
5 Par le tourment cuidant perdre la vie.
J'ay combatu en guerre et pour le gaige,
Et es desers a un lion sauvaige,
Et de tout ce me suis bien eschapé,
Et d'autres maulx, fors que de mariage :
io Or gart chascuns qu'il n'y soit atrapé!
J'ay de larrons esté sur les chemins
Fort assailli, pour faire roberie,
Batuz, navrez a et de justice prins
Pour mes debas, pour injure et folie;
i5 J'ay demouré en fortresse assaillie,
Siégé devant engins, et, a oultraige, 256" b.
Pierres canons gettans ou hault estaige ;
Par myne j'ay esté prins et happé ;
Mais femme avoir m'a trop plus fait dommaige 1 :
20 Or gart chascun qu'il n'y soit atrapé!
J'ay tous les maulx dont je fu entrepris
Frains et passez sanz honte et villenie;
Or est sur moy de femme li venins,
Par marier, qui tous jours brait et crie,
2 5 Tance et maudit. Douce vierge Marie,
Beau sire Dieux, pour quoy me mariai ge 2?
Onques homs n'ot tant de dueil ne de raige;
Par femme suy désert, mort et lappé b.
Saiges n'est pas qui entre en tel mesnaige :
3o Or gart chascun qu'il n'y soit atrapé !
l'envoy
Prince 3, homme n'est, ne si foui ne si saige,
1 . dommage. — 2. mariage. — 3. Princes,
a. Blessé. — b. Englouti, dévoré.
BALADES 2 19
Se femme prant, qu'elle ne Tassouaige a,
Et qui ne soit par son fait entrapé *,
Ne qui sceust respondre a son langaige.
Bon eschiver fait ce doubteus passaige : 35
Or gart chascun qu'il n'y 1 soit atrapé !
DCCCCLXXVIII
Balade.
COMMEMT LE CHIEF SE PLAINT MOULT DUREMENT DE SES
MEMBRES I C'EST ASSAVOIR L^GLISE
D
e toutes pars est mon chief assailli,
Qui cause estoit a mon corps de sa vie;
A mes bras sont vaines et nerfs 2 failli,
Les mains, les doiz gardans ma seignourie;
Fièvre m'assault et mes cuers se varie 5
Pour les membres qui se dueillent du chief,
256 c Et mes membres soustiennent le meschief c
De tout le corps, qui ja tremblent et finent,
Ne je ne sçay de mes maulx le plus grief :
Toutes vertus au jour d'ui se déclinent d. 10
Qui est ce chief taint e, malade et pâli,
Qui au jour d'ui pour sa grant doleur crie?
L/eglise Dieu, quant elle voit en li
I, qui ne. — 2. nerf.
a. Domine. — b. Mis en cage. — c. Le mauvais e'tat. — d. Se
perdent. — e. Pâle, jaune.
2 20 BALADES
Division, et que pas n'est unie,
1 5 Mais de deux pars est trop fort assaillie ;
Braz, vaines, nerfs, pour déclarer au brief,
Justice et loy signifient, qu'en brief
Avec raison tindrent les roys, or clinent;
Mains et doys sont des juges le dechief a :
20 Toutes vertus au jour d'ui se déclinent.
Convoitise a comme fièvre envahy
Les cuers des gens et le chief en partie;
S'en est le corps et le monde esbahy :
Par les jambes le peuple signifie
25 Qui soustenir ne puet plus l'envaye b
Des maulx qu'il a, mais crie de rechief
Vengence a Dieu, car pain n'a ne relief;
Or et argent, lit, coûte c et cuevrechief d :
3o Toutes vertus au jour d'ui se déclinent.
l'envoy
Prince l, advisez que chief ne soit péri :
Braz, mains et doiz mourroient sanz detry e,
Jambes et corps, qui desja s'i enclinent ;
Or faittes donc que ce chief soit gari,
35 Car paour ay quant je voy et vous dy :
Toutes vertus au jour d'ui se déclinent.
i. Princes.
a. La défaillance, la prévarication. — b. L'envahissement.
Matelas. — d. Bonnet de nuit. — e. Retard.
BALADES 22 1
DCCCCLXXIX
Balade l.
(Contre l'arithmétique.)
256 d ]"^\epuis l'aage qui commença premier
-L/ Au père Adam, Noé secondement,
A Abraham qui dut sacrifier
Ysac son fiiz, le tiers aage ensement,
David le quart et au captivement 5
Le ve de Babiloyne fu a,
Le vie commença a Jhesu,
A tousjours eu moult de mutacions,
De milliers d'ans avec leurs fractions,
Quatorze cens, et maint art autentique io
De tous lesquelz vient la finicions :
Régner ne voy fors l'art d'arismetique.
Or sommes nous ou vr2 millier,
Près de la fin, selon l'entendement
Metheode, qu'Entecrist approuchier i5
Doit et venir tresrigoureusement,
Soy disant Grist, et régner faussement
Par miracles de simulacions
Et par trésors repos b es régions
Convertira par mainte voie inique ; 20
Et je le croy, les signes en suions c :
Régner ne voy fors l'art d'arismetique.
I. Balade manque.
a. Le cinquième âge fut celui de la captivité de Babylone. — b.
Cachés. — c. Suivons.
222 BALADES
2 5 Des sciences ot l'en gramaire chier,
Logique après, et encor tiercement,
Rethorique, géométrie quier,
Musique fault, astronomie ment,
Compter, getter a ont le gouvernement ;
3o
Ces sciences a ces aages joingnons
Et se tout bien a la lettre prenons,
Nulle n'en sçayou crestien s'aplique
35 Qui au jour d'ui lui vaille .n. boutons :
Régner ne voy fors l'art d'arismetique.
l'envoy
Prince, au jour d'ui bon clerc ne chevalier 25y a,
Ne se puelent chevir b de leur mestier,
Car biens ne sens n'est prisiez une crique c
40 Fors que l'argent, et qui s'en scet aidier :
Soit ez palais, en ville ou en moustier,
Régner ne voy fors Part d'arismetique.
DCCCCLXXX
Autre Balade *.
TOUCHANT LE ROYAUME DES FRANÇOIS
s
(~\ Gallican, petit règne adoptif,
Par miracles du roy suppellatif d
* Publié par Tarbé, tome I, page 104-
a. Compter avec des jetons. — b. Ne peuvent venir à bout. — c.
Bâton. — d. Superlatif, suprême.
BALADES 22 3
Clodouveus a prinst la crestienté
Par Clotilde qui Tôt admonnesté b\ 5
De saint Remy fut baptisez a Reins,
Le saint sacre tramist Dieu en ses mains
Dont tous tes roys sont oins et baptisez,
Et ce fonda sur .1111. estos c : du mains
Entre vous, rois, a ces poins avisez. 10
De tous .un. soiez memoratif :
Le premier est Dieu, soit de vous doubté;
Ses ministres vous ayent substantif d\
Honourez les et Dieu, par charité ;
Le tiers estoc, Justice et Vérité i5
Gardez tous jours, c'est voz sièges certains;
Le bien commun est le quart; les Rommains
Par ce laissier furent touz divisez,
Mors, subjuguez, et leur empire estains :
Entre vous, roys, a ces poins advisez. 20
Ces .1111. estos voy en simulatif e
Paroir un po, sanz la propriété
\5j b N'en nul effect, sanz le nominatif,
Car le dedenz est pourry et gasté,
Dieu et ses gens, Justice en orphanté/, 2 5
Le bien commun n'a amis ne prouchains;
De convoiter est ly mondes Cains S";
Saiges, prodoms ne vaillans n'est prisiez.
Règnes tu pers, si ces . un. sont frains :
Entre vous, roys, a ces poins advisez. 36
l'envoy
Princes, je voy tous les vices villains
a. Clovis. — b. Converti. — c. Souches, pieux. — d. Soutien,
ppui.— e. Apparence.— /. Etat d'orphelin, —g. Semblable à Caïn.
224 BALADES
Qui ont destruit les règnes souverains,
Suyans les cours et estre auctorisez ;
Justice fault, Orgueil va par les plains a :
35 Entre vous, roys, a ces poins advisez.
DCCGCLXXXI
Balade.
DU DILUGE ET COMMENT LES QUATRE CITEZ FONDIRENT
{Prédiction d'une révolution prochaine).
D
epuis que le diluge fu
Et que les cinq citez fondirent
Pour leur pechié, par ardent fu bt
Que Loth et sa femme en yssirent,
5 Ne puis que les prophètes dirent
Les maulx dont ly mons seroit plains c\
Près de la fin, ly noms Dieu vains
Et sa loy escandalisée d,
Ne fut li termes si prouchains
io D'estre monarchie muée
Comme il est, car nulle vertu 25 7 c.
Ceuls de ces .vu. aages *ne firent;
Tout est a présent corrompu,
Tous estaz mal faire désirent,
1 5 Doleur fut que telz gens nasquirent,
f. aage.
a. Par les plaines. — b. Feu. — c. Dont le monde serait plein. -
d. Publiée.
BALADES 22 5
Orgueilleus, convoiteus, haultains,
Lasches, couars, de cuer villains ;
Dont la parole yert avoirée a,
Dedenz vint ans, po plus, po moins,
D'estre monarchie muée. 20
Car on vent les biens de Jhesu
Autrement qu'apostre ne firent,
Et justice n'a point d'escu :
On het tous ceuls qui l'establirent ;
Nostre ancien pas ne trairent 25
L'un Pautre, mais a ses deux mains
Veult destruire, le plus le moins,
Guerre, sanz paix faire, a l'espée;
Et par ce avons signes certains
D'estre monarchie muée. 3o
l'envoy
Princes, selon les diz des sains,
Pour leurs péchiez seront estains b
Les pécheurs en place ordonnée
Prochainement; de leur sang tains
Seront les champs ; c'est li vrais saings c 35
D'estre monarchie muée.
a. Sera avérée, vérifiée. — b. Détruits. — c. C'est le vrai signe.
TV - ,5
22Ô BALADES
DGCGGLXXXII
Autre Balade.
DE LUXURE ET D'ORGUEIL
(Le monde approche de sa fin).
o
|Rgueil, luxure, oultrecuidance, 25j c
Envie et mortel traison,
Convoitise, desordonnance,
Baras, convers ont leur saison ;
5 Chascuns het Justice et Raison
Et veult estât de prince avoir;
On ne quiert qu^rgent et avoir,
Au bien commun n'est nul enclin;
Par tous ces poins puet on sçavoir
îo Que le monde approuche sa fin.
Guerre de jour en jour s'avance;
Il n'est prière n'oroison
Vers Dieu, ne nulle obéissance;
Estable font de sa maison
i5 Pluseurs. Las! toute devision
Règne, et menterie pour voir,
Preudoms n^ose les denz mouvoir;
L'Eglise et tout va a déclin :
Par ce puet on appercevoir
20 Que le monde approuche sa fin.
Pitié, amour ne congnoissance,
Loyaulté ne porte mais hom,
BALADES 227
Honeur, vérité ne vaillance ;
De toutes vertus nous taison :
Le grant orgueil que nous faison, 20
Fera povreté concepvoir
En gênerai un crueulx hoir,
Vengence, et destruire For fin.
Puis doit Antecrist apparoir,
Que le monde approuche sa fin. 3o
l'en voy
258 a Prince, je voy tout remouvoir
Et les signes du ciel douloir
Pour nostre dolereus chemin,
■ Riens ne vault ce que deust valoir :
Dieux nous vueille a bien esmouvoir, 35
Que le monde approuche sa fin.
DCCCCLXXXIII
Balade.
COMMENT TOUTE TERRE QUI A VAINES D'OR ET d'aRGENT SE
DOIT MOULT AMER ET CHIERIR ET RECLAMER PLUS QUE DIEU.
CAR NOUS LAISSONS DIEU POUR ACQUERIR l'or ET l' ARGENT.
Chérir se doit sur toutes et amer
Terre qui a vaines d'or et d'argent,
Qu'elle se fait plus que Dieu reclamer
De roys, de dus, de clercs, de toute gent,
Ne nul ne voy qui ne soit indigent 5
2 28 BALADES
Tant ait de vins, meubles, bief et aumaille «,
Par son parler, et que tout ne lui faille
Se de flourins n1a grant somme en trésor.
Pour l'acquérir art b chascun et travaille ' :
10 C'est grant péril que de tant amer l'or.
Car on s'en fait homicide clamer
Quant on le va trop en trésor mussant c,
Si qu'il ne puet contrevenir, n'aler
Pour secourir l'un l'autre, en marchandant;
i5 Mais quant il court, on vit plus largement
Que du tenir repost en la corbaille d :
Aux anciens souffisoit grain, poulaille,
Moutons, brebis, vaches, chievres et tor e,
Estre vestus, vignes, prez et vitaille :
20 C'est grant péril que de tant amer l'or. 258 b
Et s'en laiss'on, par le trop désirer,
A servir Dieu, on vit en convoitant;
Et s'en voit on pluseurs déshériter,
Haine yssir, sourdre noise et content/;
2 5 Autruy avoir 2 embler et faire tant
D'autres péchiez; guerre en vient et bataille.
Et neantmoins clerc, noble et villenaille s
Ne souhaident autre chose desor h
Qu'avoir argent; tel souhait ne leur vaille :
3o C'est grant péril que de tant amer l'or.
l'envoy
Prince, qui a pour son estât mener
Viande et vin, et ses gens gouverner
i. traveille. — 2. cuer.
a. Bêtes à cornes. — b. Brûle. — c. Cachant. — d. Que de le te-
nir caché dans une corbeille. — e. Taureau. — f. Contestations. —
g. Vilains, roturiers. — h. Maintenant.
BALADES
229
Puet bien du sien, et qui habonde encor,
L'or ne pourroit en son espèce user :
C'est grant péril que de tant amer l'or. 35
DCGCCLXXXIV
Autre Balade.
COMMENT LES FLOURS NAISSENT
(Sur un manuscrit quon lui avait pris.)
D
oulz Zephirus qui faiz naistre les flours,
Printemps, Esté, Autompne, et Aurora,
Plourez o a moy mes dolentes dolours
Et le jardin que jadis laboura
Fons Cireus b, ou Galiope c ouvra, 5
258 c Qui de ses fleurs avoit fait un chapel
Si odorant, si precieus, si bel
Que de l'odour pouoit guarir touz maulx,
Quant un fort vent le print par cas isnel d :
S'ainsi le pers, c'est trespovres consaulx e. 10
Continuelz fut vint ans mes labours
Aux fleurs semer ou Ovides planta
De Socrates et Seneque les mours,
Et Virgiles mains beaus mos y dicta
Et Orpheus ses doulz chans y nota. i5
Poeterie/fut au tour du sercel s,
Rethorique le fist ront comme annel,
a. Avec. — b. Hippocrène. — c. Calliope. — d. Par cas soudain.
- e. C'est une fâcheuse affaire. — /. Poésie. — g. Parterre.
230 BALADES
Lettres y mist et les noms des plus haulx
Si plaisamment que maleureus m'appel :
20 S'ainsi le pers, c'est trespovres consaulx.
Si pri Juno la déesse d'amours
Et a ce vent qui mon fruit ravi a,
Aux dieux de l'air qu'ilz me facent secours,
Ou autrement tout mon fait périra ;
25 Car mon las cuer jamès rien n'escripra
Et ne vouldra riens faire de nouvel.
Conseilliez vous a a Eustace Morel,
Si me rendez mes choses principaulx,
Ou me bailliez copie du jouel b ;
3o S ainsis le pers, c'est trespovres consaulx.
l'envoy
Prince, avisez mes piteuses clamours
Et faictes tant que mes chapeaulx soit saulx c,
Car moult y a de diverses coulours :
S'ainsis le pers, c'est trespovres consaulx.
s
DCCCCLXXXV
Autre Balade *.
[Sur la division de l'Eglise.)
e Dieu ne fait les péchiez remouvoir 258 d.
Des cuers de ceuls qui sont persévèrent
'Cette ballade se trouve dans le manuscrit Ashburham.
a. Réconciliez-vous avec. — b. Donnez-moi une copie du joyau.
- c. Que ma couronne soit sauvée.
BALADES 2 3 I
En leurs meffaiz, et repentance avoir
Es trois estaz de ce monde présent,
Orgueil cesser, convoitise qui rent 5
Guerre partout, estre paix ne puet mie,
Mais les tourmens dont parla Jheremie
Prophetisans de la saincte cité,
Venrront sur ceuls qui n'amendent leur vie :
Pestillence, guerre et mortalité. io
Et l'en voit ja ces choses apparoir
Ou chief de qui tout membre se despent,
Saincte Eglise qui moult se puet doloir
Quant .ii. espoux Pont si violemment
Prinse, et un seul la deust sainctement, i5
Ou nom de Dieu, gouverner comme amie;
Division, no mortel ennemie,
Vient de ces deux, et incrédulité
Entre les gens, et ce nous signifie :
Pestillence, guerre et mortalité, 20
Je voy aussi les membres esmouvoir
A convoiter; l'un happe, l'autre prent ;
Estât lever, le corps faire paroir,
Les vertus non ; destruire povre gent ;
Justice fault, le peuple est indigent, 25
Dieu non doubté, jeunesce auctorisie,
Viellesce non; sens, verte l desprisie,
Gongnoissance ne règne ne pité,
Et pour ce arons, ce tesmoigne Ysaie,
Pestilence, guerre et mortalité. 3o
l'envoy
Prince, pour Dieu, faittes TEglise unie
Et que chascun de ses maulx se chastie
1. vente.
232 BALADES
Pour mettre paix en la crestienté ;
Car autrement ne puet estre fournie
35 Que nous n'ayons une tresgrant saingnie :
Pestilence, guerre et mortalité.
B
DCCGCLXXXVI
Balade *.
(Tout est fondé sur convoitise).
ien vesquirent nostre père premier 25g a.
Des fruis des champs, du raport de la terre,
D'yaue courant, sans char ne sang mangier;
Soubz les hauls pins aloient logeis querre
5 Paisiblement, l'un contre l'autre n'erre,
Sans tainture vestirent layne et peaulx ;
En mer n'avoit onques couru vaisseaulx
Pour marchander, ne terre esté ouverte,
Minière d'or ne d'argent descouverte,
io Chascun vivoit en libérai franchise,
Sanz convoiter ; or va cest aage a perte :
Tout est fondé sur pure convoitise.
Vé a a celuy qui la terre escorchier
Voult le premier pour seignorie acquerre,
i5 Pour prenre avoir, metail, fer et acier,
Or et argent ! De la vint toute guerre,
i. Balade manque.
a. Malheur.
BALADES 233
Chasteaux fermer ; l'un voult l'autre requerre,
Armes forgier, espées et coustiaux ;
Discencion pour seignorie entr'aux
Fu a ce temps et est encor aperte a, 20
Dissimuler, et envie couverte
Que traison par faux semblant atise ;
En ce monde, qui est plain de poverte l,
Tout est fondé sur pure convoitise,
Sur grant estât, sur soy enorgueillir, 25
Sur grans trésors, sur viandes pourquerre,
Sur luxure, sur boire, sur veillier,
Sur gieux mauvais, sur langue qui desserre
Mos périlleux et vilains de sa serre,
Sur tous pechiés et vices desloyaux, 3o
Sur parjurer, sur hair cuers loyaux
Sans rendre au bon n'au mauvais sa desserte;
Mentir levé, droit fault, justice est chise b,
Je voy la fin par ce du monde certe : 35
Tout est fondé sur pure convoitise.
25g b. l'envoy
Princes, chascuns veult avoir trésorier,
Estât royal et argent mannyer
Tant que partout est la monnoye exquise c;
Le pueple n'a plus maille ne denier ; 40
Prengne chascun Testât son devancier :
Tout est fondé sur pure convoitise.
1. povrete.
a. Ouverte. — b. Tombée. — c. Recherchée.
2 34 BALADES
DCCGCLXXXVII
Autre Balade
MORALE SUR LE CONSEIL DU ROY
T
'oudis suelt conseil conseilliez
Maiz tout se pert en consillent,
Car je voy le pueple essillier a
Par le conseil qui est si lent 1
5 Qu'a poyne voit on consillent
Qui en convoitant ne conseille
Et qui au voir b n'ait sourde oreille
En gouvernement de ce monde
Ou nulz au bien commun ne veille :
10 Et par ce ce convient que tout fonde c.
Maiz jadis y vodrent veillier
Li sage et preudomme vaillent,
De corps et d'ame traveillier,
Et tant y furent traveillent,
i5 Et a ce bien commun veillent 2
Que ce fu une grant merveille ;
Pour mort nulz d'eulz ne desconseille
Ce bien garder que l'en deffonde d 3
De tous poins, dont je me merveille :
20 Et par ce convient que tout fonde.
Je ne me puis trop mervellier
De ce que tuit dissimulent
1. lonc. — 2. veillens. — 3. deffende.
a. Détruire.— b. A la vérité.— c. Que tout périsse.— d. Détruit.
BALADES
235
Sont le bien; au particulier,
Acquerre et quérir ne sont lent ;
Justice et loy vont défoulent. 25
25g c Pour ce fault que chascun se dueille,
Que nulz n'est qui vérité vueille
Dire au jour d'uy, orgueil seuronde,
Toute misère s'apareille,
Et par ce convient que tout fonde *. 3o
l'en voy
Prince, je voy entortillier
De ses herbes le courtillier a,
Dont mainte mauvaise l'afonde b ;
Bon en feist oster un millier,
Peresse le fait sommeillier, 35
Et par ce convient que tout fonde.
DCCCCLXXXVIII
Autre Balade.
[Le monde va de mal en pis.)
Puis que je voy tous les meurs bestorner c
Et que chascun veult tout faire a rebours,
Vertus fuir et aux vices tourner,
Lessier Testât de l'Eglize et des cours
i Ce vers manque.
a. Le jardinier. — b. Le ruine. — c. Tourner à l'envers.
236 BALADES
5 Qui fu si bon par son ancien cours
Que les vices n'y osèrent manoir,
Adonc vit l'en peuple et terre valoir,
Dieu honoré, justice estre gardée,
En ce monde ne vueil plus remanoir
10 Que la dance est durement retournée.
Car grant pompe veult l'Eglize mener,
Estât mondain, vaine gloire et honnours,
Ses menistres leurs parens gouverner
Des biens de Dieu, faire de divers tours,
i5 Vendre, acheter et régner deux pastours
Pour leurs pechiés, on n'en deut c'un avoir;
Je voy es cours l'un l'autre décevoir,
Traisonner a, raison dissimulée
Au temps qui queurt, mentir, taire le voir,
20 Que la dance est durement retournée.
Et qui pis est Convoitise régner, 25g d.
Envie, Orgueil et toutes deshonours
Voy au jour d'uy, chascun desordonner,
Prendre et avoir trop curieux atours
25 - A povres gens, maintz ■ eulz vestir si cours
Que leurs culz font comme singes paroir ;
Et les femmes font leurs saings apparoir,
Sauvagement ont leur teste attournée;
Et par ces poins puet chascun concevoir
3o Que la dance est durement retournée.
l'envoy
Prince, je tieng que brief devroit finer
i. mainlz.
a. Trahir, faire des trahisons.
BALADES 2 37
Ce monde cy et sa fin terminer
Qui est de mal en pis déterminée,
Car je n'y voy fors doulour démener
De jour en jour, sans vertu relever, 35
Que la dance est durement retournée.
DCCCCLXXXIX
Autre Balade.
(77 faut penser à la mort . )
Las ! Je ne sçay que ce puet estre
Ne dont puet tel chose venir
Que je ne voy riens vivent nestre
Qui ne faille a son temps fenir,
Hommes, bestes, poissons mourir, 5
Arbres, plant, toute volatile,
>
Et en tous ses fais decourable a ;
Ayons chose mondaine vile,
Pensons a la fin pardurable b. 10
Nous, hommes, qui ne devons pestre
Comme animal, maiz souvenir
Nous doit que nous avons franc estre,
Et que Dieu homme devenir
Voult pour nostre mort afranchir 1 5
:. Périssable, mortel. — b. Éternelle.
238 BALADES
De la dampnacion horrible 260
Dont il souffri la mort pénible
En nous donnant vie durable
Pour l'esperit intelligible :
20 Pensons a la fin pardurable.
Ce monde est la voie senestre
Qu^l convient en passant courir
A tout homme; or prenons la destre,
Car la senestre fait périr
25 Corps et ame, l'autre merir
Les bien fais de l'ame invisible
Que Diex, a qui tout est possible,
Met es corps, nature insachable*;
Soyons donc au garder habile :
3o Pensons a la fin pardurable.
l'envoy
Prince, trop voy anientir b
De jour en jour et defenir
Nature qui est corrompable
Et tout malice consentir;
35 No mort s'aproche sans mentir :
Pensons a la fin pardurable.
a. Incompréhensible. — b. Devenir à rien.
J
BALADES 2 3g
DCCCCXC
Balade.
DE L'AMOUR QUE HOMME A A JEUNESCE
'amay jadis de tresparfaite amour,
Comme ignorens, l'enfance de jonesse;
Pour sa beauté couverte de douçour
Et pour l'espoir de sa haulte noblesce
Qui par semblant a tout honneur s'adresce 5
Mis la mon cuer, mon corps, ce que j'avoye,
Et la servi le miex que je savoie
Si que par droit ne me deust oublier
En son aage, maiz trop me decevoie :
160 b En jeusne amour ne se doit nul fier, 10
Car en ce temps dangereux, plain de plour,
De voulenté muable qui trop blesse,
Ay moult souffert de poine et de labour,
Obeissans, et lors me fist promesse
Plaisant Folour de moy donner leesse, i5
Quant celle amour en son estât verroye
Que nulz n'ama ou temps que la servoye,
Car lors ne pot lier ne deslier ;
S'oublie m'a, pour quoy donc ne diroye :
En jone amour ne se doit nul fier ? 20
Qui ne conçoit ne recorde en sa flour
Son doulz servent; maiz pour autre le lesse
Qui ne servi onques heure ne jour,
Tele enfance est périlleuse fortresse *;
1. forteresse.
24O BALADES
2 3 Moyenne amour est plus seure maistresse,
A tous servans miex la conseilleroye
Pour bon guerdon l que l'autre ne feroye
Ou chascun pert sens, temps et travellier,
Comme j'ay fait, chascun ce note et voye :
3o En jone amour ne se doyt nul fier.
l'envoy
Prince, je tien, puis qu'enfance foloye,
Que cilz est folz qui s1! croyt ne aloye a
Et qui la sert, s'ailleurs peut adrecier,
Car le bien fait rémunérer devoye;
35 S'en dy ce mot que dire ne souloye :
Et jone amour ne se doit nul fier.
DCCCCXCI
Balade.
COMMENT NULZ HOMS NE SE DOIT ESBAHIR DE
CHOSE QU'IL VOYE
Nulz homs ne se doit esbahir
Du temps ne de chose qu'il voye,
Ne soy donner courrous, n'air b,
Fors que d'aler la droitte voie ; 260 c
Qu'il face bien et qu'il s'esjoie,
Tiengne en tous estas le moien,
1 . guerredon.
a. Allie. — b. Ni colère.
BALADES 24I
Et ne se loye a fol loyen a,
Ne die blasme de nulluy :
Des choses du monde n'est rien,
Tout fu et tout sera autruy b. 10
Gayn envieux voult mourdrir
Abel le juste, et toutevoie
Furent frères : quel desplaisir
Quant des filz d'Adam l'un desvoye
Tant que la terre vierge ordoye c ! i5
En ce premier aage ancien
Du sanc Abel, Assirien
Firent un lonc règne, ce truy di
Et le perdirent au derrien e :
Tout fu et tout sera autruy. 20
Ne volt Teaue terre envayr
Au temps Noe, tant que tout noyé?
Ne volt Troye Eneas trahir,
Qui les Griex/y mist pour monnoye?
Ne mit tout Alixandre en proye 2 5
Par guerre le monde et li sien?
Li un font mal, li autre bien ;
Nulz ne se doyt donner anuy
Des gens du temps ; note et retien :
Tout fu et tout sera autruy. 3o
l'envoy
Prince, plaise vous souvenir
De loy et justice tenir
Qui en mains lieux fault au jour d'uy.
Riche et povre faura mourir,
Et ne se lie à mauvais lien. — b. A d'autres. — c. Souille. —
e trouve. — e. A la fin. — /. Les Grecs.
T. V 16
242 BALADES
35 Ne nous dampnons pour acquérir :
Tout fu et tout sera autruy.
G
DGGCCXGÏI
Autre Balade. 260
SUR LES GRANZ ESTAZ
hascuns désire a avoir grant estât,
En convoitant argent, or et finance,
Servir aux roys; l'un veult estre advocat,
Des requestes veult l'autre avoir puissance,
5 L'un conseilliez l'autre marchai de France,
L'un trésorier et l'autre gênerai,
L'un evesque, l'autre estre cardinal,
L'un chancelier, l'autre estre souverains;
A leurs pourchas a quierent trestous leur mal :
10 Es grans cours n'a siège qui soit certains.
Pour les tenir se muevent maint débat,
Et par faveur, sans eslire ordonnance;
A les avoir symonie s'embat ô,
Petit y vault sens ne expérience,
i5 Bonté de corps, prouesse ne vaillance ;
Maiz qui miex miex tire au plus hault cheval,
L'un est bailli et l'autre est seneschal ,
Et quant plus sont es grans estas hautains,
Envye ou mort les tumbent contreval c :
a. Par leur propre poursuite.— b. Se précipite, s'efforce.— c. L
font tomber par terre.
BALADES 24S
Es grans cours n'a siège qui soit certains. 20
Lors en cheant sont douloreux et mat,
Car les aucuns perdent corps et chevance,
Autre bon nom dont nulz ne se combat,
Puis languissent, férus d'impacience;
Grant richesse est que 1 d'avoir souffisance, 2 5
Servir a Dieu, tenir moyen égal,
Non désirer d'estre trop curial «,
Dont les sièges sont de grans pechiés plains;
Vivre du sien, estre sain et loyal :
Es grans cours n'a sièges qui soit certains. 3o
l'envoy
Prince, eureux est qui aprent dès s'enfance
61 a A servir Dieu et aucun art des mains
Pour soy chevir et vivre a sa plaisance :
Es grans cours n'a siège qui soit certains.
1. que manque.
a. Courtisan.
244 BALADES
DCCCCXCIII
Balade.
COMMENT ON HONOURE AU JOUR d'uI PLUS l'aBIT
QUE LE PORTEUR D'iCELLUI
Maiz qu'uns homs a soit bien vestus et forrés
Et qu 1 sache faire un petit le grant,
Croler le front *, et qu'il ait a un lez c
Aucun qui soit ainsy que son servant,
5 On ly dira : « Sires, passés avant »
Pour son habit, et c'est ce qui me tue,
Ou il ne scet souventesfois néant
Ne plus que fait une bûche vestue.
Ainsy fait on souvent des menestrés d :
io Pour leurs habis les vont maint honorant;
Povre varlet sont souvent appelles
Gentil homme, ce font leur garnement e ;
Un mal vestu est appelle truant f\
Nul ordre n'est au monde a droit tenue;
1 5 Ne me congnois en cest siècle a présent
Ne plus que fait une bûche vestue.
Les vertueux ne sont point honorés
Ne ceulx qui vont simple estât démenant,
Ains sont toudis de maintes gens moqués
a. Pour peu qu'un homme. — b. Hocher la tête. — c. A côté de
lui. — d. Ménestrels. — e. Leurs costumes. — /. Gueux, co-
quin.
BALADES 245
Et par ce va tout anientissant, 20
Li ancien veulent faire l'enfant;
De jour en jour tout se change et remue,
Nulz de ses maulx ne s'advise ou ! reprent
Ne plus que fait une bûche vestue.
DCGCCXCIV
Autre Balade.
(Contre l'orgueil).
Se vous estes biaux, riches et joliz,
Sages, apers, fourrés et bien vestuz,
Ne desprisés ja vos povres amis; 261 b
En courage sont les nobles vertus :
Telz est au champs ou en la ville nus, 5
En povre habit, qui a plus hault courage
Et qui s'est miex en honneur maintenus
Que telz porte l'abit de hault parage.
La noblesce souveraine jadis
Et de présent est li cueur revestus 10
De bonnes meurs et de gracieux dis,
Et qui tousjours se tient et est tenus;
Cuer orgueilleux est hais et perdus,
Car Dieu le het, ce n'est nul vasselage a\
Humble cuer est plus de Dieu soustenus i5
Que telz porte l'abit de hault parage.
1. ne.
a. Grandeur d'âme.
246 BALADES
Qui plus est grant, plus doit estre amolis
Quant il se voit des biens de Dieu repus,
Les povres gens ne doit avoir despis a
20 Ne ses parens, mais je dy et conclus
Qu'aidier leur doit en tant comme il puet plus,
Car le povre oyt Diex b de son hault estage,
Plus l'exsausse pour son bien la dessus
Que telz porte Pabit de hault parage.
l'envoy
25 Prince, nulz homs ne doit pour ses habis
Gens despiter, dire ne faire oultrage;
Plus vault souvent li homs povrez, mendis c,
Que telz porte l'abit de hault parage.
DCCCCXCV
Autre Balade.
(On ne parle plus que d'argent.)
Ou temps jadis quant honneur commença,
Vertus estoit et vaillance chérie,
Nulz clers adonc fausseté ne pensa,
Ne lascheté n'ot en chevalerie;
Largesce fu, la loy ot seignorie, 261 c
Congnoissance fu es princes et roys,
Amour régna, li peuple fu courtois,
a. Mépris. — b. Car Dieu écoute le pauvre. — c. Mendiants.
BALADES 247
Pugny furent li félon durement :
Autrement va, dont je suy tout destrois :
Car nul ne veult fors que parler d'argent. 10
Aies par tout : qui bien garde y prendra,
On ne parle fors de bareterie a,
De demander et deçà et delà
Du bien d'autruy, faire chiere marrie,
Argent quérir, c'est convoiteuse vie, i5
Et les clers ont corrompues les loys;
Amour n'a lieu qui fist les cuers adrois
Et conquérir terre anciennement :
Convoitise gouverne, et tu le vois,
Car nulz ne veult fors que parler d'argent. 20
« Haro! fait l'un ; et quant, deable, vendra
Le trésorier? ne me payera il mie? »
L'autre respont : « Je croy que si fera,
Maiz nous n'aron no paye que demie. »
Nulz ne parle ne d'amer ne d'amie, 25
Fors d'exploitier 1 finance a toutes fois;
Danser, chanter, n'est pas bien a son mois,
Vaillance va petit entre la gent;
Uns mondes queurt ou je ne me congnois,
Car nulz ne veult fors que parler d'argent 3o
l'envoy
Prince, ostés nous avarice et envie,
Reviegne amour, déduit, esbatement,
Joye et plaisir, honneur et courtoisie,
Car nulz ne veult fors que parler d'argent.
1. de exploitier.
a. Tromperie.
248 BALADES
DCGCCXGVI
Autre Balade.
(77 faut des époux assortis.)
Cilz qui veult paix et vivre en mariage 261 d
Ne doit trop hault ne trop bas regarder,
Trop jone avoir ne trop vielle en mesnage;
Prengne femme qui sache gouverner,
5 D'âge moyen, qui puist enfans porter;
Ainsy pourra mener joyeuse vie
Sans trop quérir, sans trop bas assener a :
Sages est cilz qui ainsy se marie.
En trop hault lieu a trop grant seignorage,
10 Charge d'amis, puis c'on ne prent son per
Et ramentoit b le plus grant son lignage,
Si ne peut on bonne vie mener;
Amour ne veult ne ne doit dominer :
Qui povre prent, s'il n'est riche, il mendie;
i5 Si se fait bon ou c moyen ordonner :
Sagez est cilz qui ainsy se marie.
Qui vielle prent, se jone est, il enrage :
Deux contraires ne se puellent amer;
Si va ailleurs; pis vault que bordelage d.
20 Se trop jone a, il ne fait que penser,
Maistresse e fault pour la duire/et garder;
a. Viser. — • b. Rappelle. — c. Dans le.— d. Fre'quenter les mau-
vais lieux. — e. Duègne. — /. Instruire.
BALADES 249
Pour ce ou moyen vueil mettre m'estudie a
Pour hoirs b avoir, pour vivre et pour régner :
Sagez est cilz qui ainsy se marie.
DGGCGXCVII
Autre Balade.
(Sur le bon temps passé.)
Je voy souvent crier Noé c,
Et si le crie on tant qu'il vient,
Maiz le bon temps est esbloé d
Car a maintes gens n'en l souvient,
Et si ne sçay a quoy il tient 5
Qu'il ne vient quant chascun l'escrie,
En disant : « Las I qui te retient,
Bon temps? ne revendras tu mie ?
262 a « Revien 2, tu as trop demouré,
Nécessairement le convient, 10
Et nous seron tuit recouvré :
Cilz mondes trop chetif devient ;
Il n'est que dueil, c'est tout nient :
Ramaine nous joyeuse vie,
Chascuns te plaint et va crient : 1 5
Bon temps, ne revendras tu mie?
1. ne. — 2. Ce vien.
a. Mon étude.— b. Héritiers.— c. Noël! — d. Troublé, obscurci.
2bo BALADES
« Ramaine largesce et planté *,
Paix et amour qu'orgueil détient;
Avarice a tout surmonté,
20 Toute maie fortune avient,
A l'un de l'autre ne souvient;
Fay cesser mesdit et envye.
Vien, quant l'en te va tant prient,
Bon temps; ne revendras tu mie? »
l'envoy
25 Prince, pour vous est destiné
Ce bon temps, ne l'oubliés mie
Ou je crieray com forsené :
« Bon temps, ne revendras tu mie? »
DCCCCXCVIII
Autre Balade.
[Même sujet.)
Tristesse, orgueil, envie et traison,
Avarice, faulx semblant et peresse,
Menterie, dissimulacion
Et lâcheté, faintise larronnesse,
11 est trop folz qui point régner vous lesse,
Car par vous sont maintz royaumes péris,
Les noms perdus d'onneur et de noblesce :
a. Abondance.
EALADES 25 I
Par vous s'en est tout li bon temps fuis.
Trop longuement avés eu vo saison
Et ce monde tenu en grant destresse 10
262 b Sans joye avoir, sans consolacion
Donner aux bons, c'est ce qui trop me blesse;
Or vuidiés hors a, gent faulse et felonnesse.
Je vous feray jouer aux esbahis,
Et revendra honneur et gentilesce : 1 5
Par vous s'en est tout li bon temps fuis.
Je ramenray vérité et raison,
Amour, déduis, loyauté et largesce, -
Pitié, douceur, remuneracion,
Chasser, voler, jouster et hardiesse, 20
Corner, chanter, dansser et la druesse b
D'amours qui fait conquerre maintz pays;
Fuyés vous ent, vuidiés de ma fortresse,
Par vous s'en est tout li bon temps fuis.
l'envoy
Princes, ayés droituriere maison, 25
Soyés humbles, preux, courtois et hardis,
Tant que nulz homs n'ait de dire achoison c :
Par vous s'en est tout li bon temps fuis.
a. Allez-vous en. — b. La galanterie. — c. Occasion.
252 BALADES
DCCCCXCIX
Autre Balade.
(Contre les mécontents.)
Chascun se plaint, chascun ordonne
Sur ce que Diex a ordonné;
Li uns dit, quant il pluet ou tonne :
« Que n'a Diex li biau temps donné?
5 Las ! C'est trop pieu et trop tonné! »
Si fait chaut, on souhaide froit.
Pour quoy est on si mal séné al
Ancor est Dieu ou il souloit.
L'un dit quant une cloche sonne :
10 « Ne sera ce jamais sonné? »
S'un autre charpente ou massonne,
Assés en sera sermonné.
Il n'est homme de mère né 262 c
Qui b il souffise ce qu'il voit
1 5 Ne qui ait bien ymaginé :
Ancor est Diex ou il souloit,
Qui ses biens par tout habandonne,
Et de pluseurs est indigné,
Pourveent a toute personne,
20 Qui tost a le lait temps fine,
Les biens, le soleil ramené,
Et qui en tous cas nous pourvoit.
a. Si peu sensé. — b. A qui.
BALADES 253
Souffrons ce qu'il a destiné :
Ancor est Dieu ou il souloit.
L ENVOY
Princes, chascun veult mettre bonne a 25
Aux oeuvres de cil qui tout voit ;
C'est péchiez, sa justice est bonne :
Ancor est Dieu ou il souloit.
M
Balade *.
[Sur l'office des huissiers d'armes.)
Huissiers d'armes fu jadiz noble estât
A court royal, dont l'en ne fait plus compte ;
Près du seigneur furent, maiz sur le plat *
Les envoy'on logier ; se le roy monte,
Hz n'ont cheval ne valet, c'est grant honte ; 5
Mengent a court pour servir leur seigneur,
Gages aussi, nulz a eulz rien n'aconte;
L'en leur oste leurs drois de jour en jour.
Livroisons n'ont ne logis qu'en débat c
Pour deux chevaux; un chascun les forconte d; io
Publiée par Crapelet, page 101.
a. Borne. — b. En plaine. — c. Ils n'ont vivres ni logis qu'avec
ntestation. — d. On leur compte à un prix excessif.
2 54 BALADES
Logiez sont loing, maistre et valet sont mat,
Au deslogier a eulz leur hoste compte
Pour leur valès et logis, tout raconte a\
La scevent bien de leur temps le séjour; 262 a
i5 Pour leur deffroy n'est fourrier qui descompte b :
L'en leur oste leurs drois de jour en jour.
Estre deussent, de quoy je me débat,
Près du seigneur, quant il monte ou desmonte,
A son coucher et lever en esbat,
20 Pour ly servir, maiz chascun les seurmonte :
Leur besongne ne puellent avoir prompte,
C'est grantdeffaultqu'ilz n'ont ce qu'a eulzmonte:
L'en leur oste leurs drois de jour en jour.
l'envoy
25 Prince, la boe aux huissiers se combat
Entre Bergy et Boissy a long tour;
Jusqu'au ventre la ' chascun s'y embat :
L'en leur oste leurs drois de jour en jour.
1 . la manque.
a. Met tout en compte. — b. Pour les défrayer, il n'est fourriei
qui ne fasse un rabais.
BALADES 255
MI
Autre Balade.
(// faut apprendre en tout temps.)
Endemantiers a que mon maistre aprenoit,
Qui est sires et conte de Valoys,
Treshumblement me dit que il vouloil
Que je feisse aucun bien a son choys.
Lors obey et dis que c'estoit drois, 5
Et fis ainsy ; que nulz ne puet mesprendre,
Soit ducs, contes, princes, chevaliers, roys,
Qui en tout temps ne doye bien aprendre.
Car qui aprent et retient, on le voit
Sage et puissant, il en ■ est plus adrois, 10
Et se garde que nulz ne le déçoit b\
Le cry c en a de son pueple et la voix,
Il aime Dieu, il en est plus adrois d
Et doyt souôrir c'on le doye reprendre
Quant il mesprent e ; il n'est nul a la foys 1 5
Qui en tout temps ne doye bien aprendre.
2Ô3 a Roy sanz lettres comme un asne seroit
S'il ne sçavoit l'escripture ou les loys,
Chascun de ly par tout se moqueroit;
Thiès/ doivent savoir, latin, françoys, 20
1. sen.
a. Pendant. — b. Ne le trompe. — c. Le renom. — d. Er-
reur de copiste; il faudrait un autre hémistiche, celui-ci se trou-
vant déjà au vers 10. — e. Quand il fait une faute. — /. Allemand.
2 56 BALADES
Pour miex garder leurs pas et leur destrois
Et sagement a chascun raison rendre :
Aprenés donc, si chaut n'est ne si frois,
Que en tout temps ne doye bien aprendre.
I^ENVOY
25 Princes, pensés que qui bien aprendroit,
En aprenant pourroit vices reprendre.
Dont n'est il nul, se ces poins advisoit,
Qui en tout temps ne doye bien aprendre.
Mil
Autre Balade.
{Il faut penser à la miséricorde de Dieu.)
o
|U * tous les dis de l'escripture sainte,
De l'ancien et nouvel testament,
Seront confus, et la parole fainte
Des prophètes par qui Dieu proprement
5 Parla des faiz et de Tadvenement
Qui sur la fin du monde doit venir,
Ou il faura mauvaisement fenir
Les grans pécheurs, faux, ravisseurs, mauvaiz,
Perseverens; ce devons nous tenir :
io Cryons mercy, demandons grâce et paix !
Car en tous lieux est charité estainte
i. En.
BALADES 257
Qui maint a en Dieu, et Diex maint ensement
En charité ; pitié fait sa complainte,
Humilité, honneur semblablement,
Amour n'a lieu, ne vertueusement i5
Ne se veult nulz selon Dieu maintenir;
Es trois estas n'a homme souvenir,
Soit clers, nobles, prestres, chevalier, layz,
De l'ire Dieu jusqu'il s'en voit ferir :
)3 b Crions mercy, demandons grâce et paix! 20
Quant pour pechier est pugni maint et mainte
Sans espargnier nul terriennement,
Roy, prince, duc, tant ait espée sainte,
Povre, riche, de grant gouvernement
Ne de petit, pour quoy mauvaisement 25
Veult le plus fort au plus feble tolir bl
N'est preste mort pour eulz a coup ferir
Soudainement, pour leurs horribles faiz ?
Oyl, par Dieu, tous nous convient mourir :
Crions mercy, demandons ■ grâce et paix ! 3o
l'envoy
Prince, pour Dieu, vueilliés bien advertir
En tous estas d'amer Dieu et cremir c
Et d'amender no vie désormais
Sans faire tort, sans prendre et sans ravir
Les biens d'autruy, et qu'il nous daigne oyr : 35
Crions mercy, demandons grâce et paix !
. et demandons.
a. Qui réside. — b. Prendre, voler. — c. Craindre.
T. V
«7
2 58 BALADES
MIII
Autre Balade *.
o
DE LA GLOIRE DES ROYS
comme grant est la gloire des roys
Et des princes, qui ont commandement
Sur les pueples, qui font craindre leurs vois
Et leurs edics tenir estroitement,
5 Jugans autruy, et voluntairement a,
Et qui ont tout ce qu'ilz veulent avoir,
Fors jour certain, ce ne peuent savoir,
De leurs vies, maiz certains sont de mort ;
Ce les doyt moult a bien faire esmouvoir :
io Qui ne craint Dieu et justice, il a tort.
Ne sueffrent ilz et les chaus et les frois?
N'ont ilz paour? n'ont ilz poine et tourment
De gouverner? ne sont ilz pas destrois b
Pour aucuns maulx venans soudainement?
i5 N'ont ilz esté pris anciennement, 263
Mors et occis, pouoir contre pouoir,
En guerroyant? S'ilz n'ont fait leur devoir
Et qu'avec Dieu n'ayent eu bon accort c,
Lors les soubzmist; par ce peut l'en veoir :
20 Qui ne craint Dieu et justice, il a tort.
De droit royer d sont dit selon les loys
* Publiée par Crapelet, page io3.
a. Et de leur consentement. — b. Tourmentés. — c. Ne soient e:
bon accord. — d. Faire un sillon droit.
BALADES 2 5g
Et de mener le peuple justement,
L'Eglize amer, rendre a chascun ses drois,
Grâce et pitié, rigoreux jugement
Selon les cas, et s'ilz font autrement, 25
Sans repentir, bien y scet pourveoir
Le souverain, et s'ilz font leur devoir,
Grant mérite ont; Diex fait leur règne fort;
Et quant sur tous volt vengence asseoir,
Qui ne craint Dieu et justice, il a tort. 3o
l'envoy
Prince, les roys qui ont gouvernement
Sont vicaires de Dieu mondainement,
Craindre et servir le doivent a effort
Car de lui seul tiennent leur tenement;
Et quant pugnir peut tout en un moment, 35
Qui ne craint Dieu et justice, il a tort.
MIV
Autre Balade.
{Heureux sont ceux qui n'ont pas d'enfants I)
Trop vigne avoir et maisons en village,
Filles aussi qui sont a marier,
N'est pas grant gaing ne seur héritage.
Es vignes fault tousjours argent ballier,
Et es maisons fault toudis charpenter,
Couvreur, masson, late, clo, couverture,
2Ô0 BALADES
Et sont toudiz d'ardoir a en aventure;
Nulz n'y gaigne, tant ait teste subtille,
Et les enfans sont de maie nature : 2 63 d
10 Aise sont ceulz qui n'ont ne filz ne fille.
Car qui les a, tenir fault grant mesnage,
Nourrice avoir, oyr braire et crier,
Vestir, chaucier, pain, vin, lait et fromage,
Bûche, charbon, pain et char pour mengier,
i5 Chambres et lis, drapeaux, linge a couchier,
Bers b a bercier, et sentir leur ordure,
Six ou sept ans que ceste dance dure :
Qui enfans a ne lui fault autre estrille ;
Ja bien n'aura fors que malaventure :
20 Aise sont ceulx qui n'ont ne filz ne fille.
Et s'ilz sont grans, art leur fault et usage,
Science avoir, aprendre, estudier,
Et aux filles convient en mariage
Terre et argent et grant meuble chargier ;
25 S'ilz sont mauvais, on en meurt de legier, c
Et s'ilz sont bons, c'est pour eulz, et n'ont cure
De leur père ne mère, maiz procure
Chascun le leur et a champ et a ville
En souhaidant tousjours leur sépulture :
3o Aise sont ceulx qui n'ont ne l filz ne fille.
l'envoy
Père et mère, qui tant avés de rage
D'enfans nourrir, s'ilz sont grans soyés sage
Et gardés bien que nulz d'eulz ne vous pille;
i. ne manque.
a. De brûler. — b. Berceaux. — c. Facilement.
BALADES 2ÔI
Soyés seigneurs ou vous ares dommage;
Ne vous rendes a vie n'a minage a : 35
Aise sont ceulx qui n'ont ne l rllz ne fille.
M
MV
Autre Balade.
[Misères du temps présent.)
oult sont les loys et les drois bestornés b,
Les gens aussi et leurs condicions
264 a Et les bons temps et usages mués
Entre mauvais, entre les nacions,
Car l'en ne voit fors que divisions 5
Entre les grans, les moyens et les bas,
Guerres mouvoir, procès, plais et debas,
Sans craindre Dieu ne amer son prochain,
Decepcion et faulte en tous estas :
Justice fault, loy et honneur, a plain. 10
Les viellars sont des jones déprimés c,
Sages des folz ont les oppressions,
Povres ont tort, riches sont eslevés,
Mauvais vivent, bons ont pugnicions,
Vices régnent l et dissolucions, 1 5
Péchiez de corps et convoitise, helas!
Entre les roys, les pueples, les prelas;
1. ne manque.— 2. Vices règnes.
a. Rente viagère. — b. Tournés à l'envers. — c. Méprisés.
2 62 BALADES
Se vendent dons, bon clerc traveille en vain,
Preudoms aussi des biens mondains sont cas a :
20 Justice fault, loy et honneur, a plain.
Par gens d'armes est li pueples robes b\
Es priorés et es religions,
Es maisons Dieu vont prendre leur hostelz,
Es bours du roy, es advocacions
25 Et aux juges gardans jurdicions ;
De ces troys cy quierent chevaux et draps
Plus que d'autres; leurs bons amis font cas c;
Et leur tollent char, vin, fourrage et pain;
Aux ennemis telz explois ne font pas :
3o Justice fault, loy et honneur, a plain.
l'envoy
Prince, nulz homs n'est contre mort armez,
Viez pechié nuyt et Diex est enformez d
De nos meffaiz, vray juge et souverain,
Auquel pugnir est par lui reservez;
35 Trop me merveil que mondez n'est dampnez :
Justice fault, loy et honneur, a plain. 264 b
a. Privés, exclus. — b. Volé. — c. Rendent pauvres. — d. In-
formé.
BALADES 2Ô3
MVI
Autre Balade \
COMMENT TOUS ROYS ET PRINCES SE DOIVENT FAIRE
DOUBTER ET OBEIR EN TOUS CAS **
Se ceulx qui ont segnorie a garder
Savoient bien que c'est d'obéissance,
Et comment roys se doit faire doubter
Et en tous cas tenir son ordonnance,
L'en pugniroit tant désobéissance 5
Qu'a tousjours mais en seroit mencion ;
Car obéir fait dominacion ;
Désobéir seignorie destruit
Et maint pays en sont de seigneur vuit,
Qui des subgès n'ont rebouté tel vice : 10
Or y pensent seigneurs, dames et tuit :
Durer ne peut royaume sans justice.
Mais au jour d'ui, qui bien veult regarder
Ceulx que prince lieve hault et avance,
En pluseurs lieux ceulz verrez regiber a i5
Contre son droit, faire grant desplaisance
A ses subgès, appliquer par puissance
Ce qui leur n'est par leur presumpcion;
Par tel seigneur sont en elacion *;
* Cette ballade, déjà transcrite au folio 65b, a été publiée sous le numéro
CCXCVL dans le tome II page i54.
I. Ce titre est celui qui se trouve en tête de la ballade transcrits au folio 65;
il manque ici.
a. Regimber, résister. — b. Élévation.
264 BALADES
20 S'un justicier en parle, trop lui nuit;
Lors pert prince son demaine qui fuit,
Par son deffault son souverain office,
Quant ne soustient ce qui son droit conduit :
Durer ne peut royaume sans justice.
25 Pour ce sur tous doivent princes dampner
Ceulx qui ont fais, qui, soubz grâce et fiance
De leur amour, veulent leurs gens fouler,
Leur droit tolir, exurper a leur chevance;
Ingrades b sont, et ceste decevance
3o Ne doit avoir nulle remission;
En ce cas soit faite pugnicion, [264 c
Tant qu'a telz maulx ne soit nul homme instruit.
Caz c eschaudez craint eaue jour et nuit;
Si fait mauves, s'il est qui le pugnice,
35 Paine et tourment : avisez cy trestuit :
Durer ne peut royaume sanz justice.
l'envoy
Prince, qui veult selon les loys régner,
Il doit les bons sur toute chose amer,
Et aux mauvais, félons, plains de malice,
40 Pugnicion en publique donner,
Ou autrement se voit déshériter :
Durer ne peut royaume sanz justice.
a. Usurper. — b. Ingrats. — c. Chat.
BALADES 2Ô5
MVII
Balade.
sur l'estat de cest monde
Compains, compains, triste te voy ;
Or me dy, pour Dieu, que tu as ?
— Ce ne te sera fors annoy a,
Mais neantmoins tu le sçaras :
Je voy les bons seoir au bas, 5
Les vaillans povres souffraitteus *,
Lessaiges prodommes honteus,
Reboutez de l'onnour mondaine,
Ne je ne voy nul cuer piteux :
Ainsis ciiz mondes se demaine. 10
Encor m'est pis, que j1apperçoy
Que ceuls qui sont pour servir las
Loyaument et en bonne foy
Et longuement, sont povre et cas c,
Et que les nouveaux ont a tas i5
L'or et l'argent, et sont entr'eulx
264 à Pour leur grâce presumptueux,
Que foui plaisir sanz raison maine
Trop avant; s'en suy dolereux
Ainsi cilz mondes se demaine, 20
Duquel trop petit me cognoy.
Je ne voy que noise et debas,
Envie régner, et la loy
a. Ennui — b. Misérables. — C, Ruinés.
2Ô6 BALADES
En volunté a jugier les cas;
25 Justice faint, les advocas
Soustiennent procès merveilleux;
Toutes les gens sont convoiteux,
Chevalerie est incertaine,
Aux grans cours fait trop périlleux :
3o Ainsis cilz mondes se demaine.
Je voy chascun estre a par soy
Et trop acroistre les estas,
Le bien commun en petit ploy b ;
Amour voy de chiens et de chas ;
35 Chascun s'avance a son pourchas c,
Cilz qui scet demeure tous seulz ;
Pour ce est le monde soufraiteux,
Ne nulz n'y prant la voie saine
De congnoistre les vertueux :
40 Ainsi cilz mondes se demaine.
— Ne fen chaille, vif en recoy d,
Pran en gré ce que tu aras,
De souffisance fay octroy
A ton cuer et 1 riches seras,
45 Loe Dieu, envie n'aras;
Vains sont tous ces biens temporeux,
Faulx, decourables e, périlleux,
Qu'om acquiert a dueil et a paine,
Qui les maulx ensuivent 2 tous seulx :
5o Ainsis cilz mondes se demaine.
i/envoy
— Treschiers sires, je recongnoy 265 a
1. et manque. — 2. suivent.
a. A sa guise. — b. En pauvre état. — c. A sa poursuite. — d.
Vis en repos. — e. Passagers.
BALADES 267
Vostre bien et vostre chastoy a ;
Dieu vous doint sa paix souveraine
Et que garder puisse sa loy;
Au secle n'a amour ne foy : 55
Ainsis cilz mondes se demaine.
M VI II
Balade
AMOUREUSE
Entre les biens et grâces de nature
Que dame puet avoir et désirer
Pour bon renom et pour honour qui dure,
Qui exemple doit par tout demourer,
Vous puet on bien d'un chapel couronner 5
A .1111. flours, qui maint grief mal acoise *,
Qui sont en vous pour chascun honourer,
Bonne et belle, gracieuse et courtoise.
Car de bonté vient bonne créature
Qui dame fait en tous biens renommer; 10
Et la beauté fait sa douce figure
Par doulz regart de toutes gens loer;
Gracieuse fait de sa grâce amer
Le nom de li et le corps ou qu'il voise c;
Courtoisie la fait par tout clamer i5
Bonne et belle, gracieuse et courtoise.
a. Leçon. — b. Apaise. — c. Où qu'il aille.
2Ô8 BALADES
Ces .mi. fleurs sont toudis en verdure,
Qui font le corps d'une dame parer
Et contenir en tous biens, et si pure
20 Que mesdisans ne la peuent grever;
Pechié ne puet nullement demourer
Ou ces flours sont, ne faire assault ne noise
A vous, dame, que chascuns doit nommer
Bonne et belle, gracieuse et courtoise.
l'envoy
25 Tresdouce flour, mon trésor et ma cure, 2Ô5 b
Tout mon désir et ce qui me renvoise a,
Dire m'esjoist ►; et m'est douce pasture,
Bonne et belle, gracieuse et courtoise.
MIX
Autre Balade *.
SUR PASTOURS QUI ESTOIENT ENTRE DAMERY ET ESPARGNAY
Entre Espargnay et Damery
Vi pastoures et pastoureaulx
En la praerie près d'Ay,
Gardans moutons, vaches et veaulx :
> Dont Lohiers disoit a l'un d'yaulx :
' Publiée par Tarbé, tome IeT, page 26.
a. Réjouit, égayé. — b. Me lait plaisir.
BALADES 269
« Je vueil chevauchier sur les champs,
Car bergiers ne sont que meschans a
Tant comme ilz gardent les moutons.
Pains bis, prunelles et boutons b,
Frommaige et let est leur déduit; 10
Je te pri que nous nous armons :
Qui voit gens armez, chascun fuit.
Ne voiz tu pas devers Cheoilly
Variez armez a grans tropiaulx,
Qui sont de poulaille garny, i5
Et tuent brebis pour les piaulx,
Qui robent et font leurs aviaulx e,
Destellent chevaulx et jumans,
Et dient qu'ilz viennent du Mans,
Et vont logier emprés Chaalons ? 20
Laisse tout : après eulx alons.
Telz gens sanz paine ont leur pain cuit ;
Nous ferons quanque d nous voulrons :
Qui voit gens armez, chascun fuit.
— Voire, mais sçavoir vueil de ty, 25
265 c Sotart, se nulz a guerre a yaulx e,
Et ou ilz vont. Or le me di.
— En Alemaigne yert leur cembiaux/.
La se trairont les damoiseaulx
Sur le pais des Allemans 3o
Pour guerroier. — Certes, tu mans :
Leurs ennemis sont trop félons ;
A leurs amis, qui leur sont bons,"
Chascuns de ces gens d'armes nuit ;
N'y demeure oe ne chapons : 35
tf. Misérables, malheureux. — b. Prunes sauvages et bourgeons.
— c. Leurs plaisirs, leurs volontés. — d. Tout ce que. — e. Est en
guerre avec eux. — /. Bataille.
27O BALADES
Qui voit gens armez, chascun fuit.
C'est bien drois : car fait d'ennemi
Font, prannent vaches et pourceaulx. »
Lors dist Guichart : a C'est tout honny :
40 Mal temps ont moutons et aigneaulx;
Larrons régnent et larronciaulx,
Destruiseurs du monde et gourmans ;
De mains pais ribauls, truans,
S'arment, savetiers et chartons;
45 Escuiers s'appellent garçons
Et pillent de jour et de nuit.
Dieu paiera tout ; or les laissons :
Qui voit genz armez, chascuns fuit.
— Gardons noz bestes, je vous pri,
5o Soions prodomes, dist Ayaux,
Qu'avant qu'il soit la saint Remy,
Maint seront occis de cousteaulx
Ou panduz par juges royaulx
Pour leurs meffaiz qui sont trop grans.
55 Ainsis ne guerria Rolans,
Charles, Artus ne les barons
Dont les grans histoires avons,
Par lesquelz l'Eglise reluit;
L'en gaste tout, en gré prenons :
60 Qui voit genz armez, chascun fuit. »
BALADES 27 I
MX
Balade l \
(Du mauvais gouvernement du royaume.)
265 d P\u temps que nature repose
JLy Et que les sens sont endormis,
M'apparut merveilleuse chose
En songant, ce m'estoit advis,
Car je veoie vis a vis 2 5
Folie qui le Sens tençoit
Et d'aler devant s'efforcoit.
A courre ont grant gaigement mis ;
Et court chascun mieulx qu'il pouoit;
Voulenté juga et le Temps 10
Qu'a la course, si comme on voit,
La Folie passe le Sens.
Et adonques le Sens oppose
A Voulenté : « Vous avez mis
Le Temps contre moy; si suppose . i5
Vous deux de Folie estre amis.
En un autre temps fu 3 tramis a
Que Drois et Raisons m'onnouroit,
Et Justice et Loy me gardoit
De la main de mes ennemis; 20
1. Lenvoy. — 2. vis advis. — 3. fut.
• Publié par Tarbé, tome I", page i33.
a. Je fus envoyé.
272 BALADES
Folie monstrer ne s'osoit :
La Folie passe le Sens.
« Et encor puis je mettre glose
Que de courre ne suy remis,
25 Mais nulz de mon fait parler n'ose;
Si suy je, long tems a, escrips
Avant que regnast Jhesu Gris;
Chevalerie me suioit,
Clergie aussi et gouvernoit
3o Les .vu. ars qui seront faillis
Pour ce qu'om ne fait ce qu'om doit,
Et qu'il est trop de jeusnes gens
Des quelz, chascuns en son endroit,
La Folie passe le Sens K 266 a
35 Chascuns scet bien, pour ce le pose,
Que depuis que je fu desmis a
Es livres es quelz je repose,
Et que des princes fu hais,
Royaume ont esté envahis,
40 Ou Voulonté règne pour Droit
Et Convoitise qui vouldroit
Que je fusse escorchiez tous vis;
Par or et argent tout déçoit
L'Eglise, chevaliers, enfans,
45 Et pour ce, qui bien s'i congnoit,
La Folie passe le Sens.
Qui voulra, si me tance ou chose,
Car Salemons, li roys Davis,
En mainte escripture et en prose
5o Firent par moy livres et dis,
Dont les corps et les esperis
1. Cette strophe manque dans Tarbé.
a. Relégué.
BALADES 2 73
Et chascun qui leurs mos orroit
Et qui encor les retendroit
En pourroit monter en hault pris;
Mais Foui Plaisir ne le vouldroit 55
Ne Volunté contredisans
A tout bien, qui lors s'escrioit :
« La Folie passe le Sens l. »
l'enyoy
Prince, en resveillant pour le froit,
Fut mon couraige moult destroit a : 60
Et de ce songe esbahissans.
Doubtans en fin qu'il en seroit,
Nul bien n'y sçay; en Dieu en soit!
La Folie passe le Sens.
MXI
Balade.
COMMENT LES BESTES ENSUIVENT MIEULX LEUR LOY ET
CONGNOISSENT LEUR NATURE QUE LES HOMMES
66 b
Je voy faire a tout animal
Ce que Nature lui ensaingne
Fors qu'a homme, qui suist tout mal
Et de son sens ouvrer ne daingne;
C'est bien raison qu'elle s'en plaingne,
|t. Cette strophe manque dans Tarbé.
ji Abattu.
T. V 18
274 BALADES
Car Tomme fait tout arrebours.
Beste devient, singes et ours,
Et quant il doit dormir, il veille;
Muyaux a est, aveugles et sours :
10 Du temps qui court ay grant merveille.
Pappe n'y a ne cardinal
Qui pour prandre la croix ne faingne *,
Et li grant prince impérial
Ne veulent porter autre ensaingne.
i5 Convoitise a noble compaigne,
Orgueil va avec li es cours,
Qui fait aux conseilliez secours ;
Faulx Semblant aussi les conseille ;
La fait on de merveilleus tours :
20 Du temps qui court ay grant merveille.
Il n'est mais point d'estat royal
Tel comme portoit Charlemaine,
Ne de conseil juste et loyal
Qui les maulx des princes repraingne '.
25 Je ne sçay homme qui Dieu craingne;
Il n'est vertus ne bonnes mours
Es grans, es moyens, es menours ;
Justice dort, Raison sommeille,
Pité, Loy ne règne n'Amours :
3o Du temps qui court ay grant merveille.
11 ne chaut du bien communal c;
Pour ce convient que mal nous vaingne d, 266
Tout est reversé contreval e,
On porte une aune de poulaine/,
1. reprangne.
a. Muet. — b. Ne se dérobe. — c. Commun, public— d. Vienn
— e. En bas. — /. Les souliers longs d'une aune.
BALADES 275
Et, qui pis est, chascuns se paine 35
De porter habis si trescours
Que l'en voit les çuls tous les jours
De pluseurs ; ainsis s'appareille
Nostre fin, nos cris et noz plours :
Du temps qui court ay grant merveille. 40
Tous vices sont en gênerai,
Mais vertus n'est qu'a nous remaingne a\
Chascuns veult avoir grant cheval
Et grant estât, ou qu'om le praingne;
Povreté le peuple mehaingne b; 43
Si faulra cesser telz atours.
Pensez de voz brebis, pastours,
Qui ont les loups près de l'oreille,
Ou avoir n'y pourrez recours :
Du temps qui court ay grant merveille. 5o
l'envoy
Prince, Congnoissance est la flours
D'amer Dieu, Vaillance et Honnours
Et Raison 1 qui n'a sa pareille;
Prenez les com voz ancesours c
Firent; par eulx serez ressours 4 l 55
Du temps qui court ay grant merveille.
a. Mais il n'y a plus de vertu qui nous reste. — b. Blesse, mu-
tile. — c. Prédécesseurs. — d. Relevés.
276 BALADES
MXII
Balade *
QUI PARLE SUR l'eSTAT DE RELIGION
P
uis que Religion cessa,
Et que prestre furent mondain,
Et que l'Eglise délaissa
L'estat, Pierre son souverain,
5 Symon, Giezi vint en sa main
Qui lui aprinst a marchander;
Adonc prinst le peuple a errer,
Haines et guerres mouvoir
Entre les princes, c'est tout cler :
10 Mal chief fait les membres doloir.
Depuis .lx. ans en ença,
Convoitise a mis son levain
A la court Dieu, tant que pieça
Bon clerc y sont aie en vain .
i5 Science en est mise a l'estrain a,
Les nonsaichans b voit on lever c
Par faveur, promettre ou donner,
Les bons n'y puelent riens avoir,
Science et foy en fault cesser :
20 Mal chief fait les membres doloir.
De dolente heure s'avança
Cilz qui pestrit aux gens tel pain,
* Publiée par Tarbé, tome l,page ijb.
a. Sur la paille. — b. Les ignorants. — c. Elever.
BALADES 277
Dont division commença
Tant que nostre loy tout a plain
Est en grant cisme et grant desdain, — 2 5
Deux pappes se font aourer *-
Dont il ne deust c'un seul régner.
Que ne font les roys leur devoir
D'un concilie pour ce trouver?
Mal chief fait les membres doloir. 3o
Qui deux élections pensa,
D'Antecrist fut Tun, pour certain ;
Se la vraie par lui faussa,
Il nous germa perilleus grain.
Collèges, n'attendez demain, 35
Estudes 6, vous deussiez aler
Devers le roy pour enhorter
Ce concilie, et cerchier le voir
Pour si grant erreur rappeller :
5y a Mal chief fait les membres doloir. 40
Car tout se destruit ca et la:
* 1
Empereurs, roys, noble, villain
Ont pour ce guerre; or y parra.
Que feront François et Rommain,
Alemant et Oultremontain, 45
Tous clercs deçà et delà mer.
Crestiens estes, c'est amer;
Faictes un vray pappe apparoir
Et par concile déclarer :
Mal chief fait les membres doloir. 5o
l'envoy
Empereurs, roys, ducs, conte, per,
a. Honorer, vénérer. — b. Universités.
278 BALADES
Collèges, estudes non per,
Faictes ce cisme remouvoir a
Et par raison déterminer
55 Un seul pappe, ou tout voy finer
Mal chief fait les membres doloir.
MXIII
Autre Balade
(On hait les gens de justice.)
Ce qui souloit éstre anciennement 1
Le plus chieri, craint, et plus honouré
Tant d'Eglise com seculierement,
Et par qui tout estoit bien gouverné
5 En la court Dieu, en temporalité,
Et qui chascun garroit son corps de vice,
Est au jour d'ui de tous poins rebouté,
Car on ne hait fors les gens de Justice.
Du temps jadis faisoit on autrement,
10 Car les bons clercs, en loy et en décret,
Orent adonc tout le gouvernement 267 l
De tout royal et de crestienté.
Tout ala bien, estât leur fut donné
Sanz requérir et tout grant bénéfice ;
1 5 Or n'ont plus rien. Science est en vieulté *,
Car on ne het fors les gens de Justice.
1. Ce premier vers est écrit à l'encre rouge.
a. Cesser. — - b. Mépris, vileté.
BALADES 279
Et qui les het? Ly manieur d'argent
Qui es estas sont plus avant bouté,
Qui font le monde et le peuple indigent,
Fondent chasteauls, et tant ont acquesté
Que par eulx sont maint homme a povreté,
Et les mauvais, crueux, plains de malice,
Sur les juges ont leur venin getté,
Car on ne het fors les gens de Justice.
l'envoy
Prince, du tout voy taire Vérité,
Les nonsaichans avoir Tauctorité,
Et li saichant n'ont estât ni office *,
Mais d'iceuls sont li clerc suspeditté a
Et li vaillant restraint et débouté,
Car on ne het fors les gens de Justice 2.
MXIV
Autre Balade
[Causes de la destruction du royaume.)
Qui a le monde ainsi destruit,
Et par qui sueffre il tant de maulx?
Je le diray, entendez tuit :
Puis qu'il vint tant de cardinaulx,
1 . noffice — 2 . Tout cet envoi est écrit à l'encre rouge.
a. Supplantés.
280 BALADES
5 De compteurs, de divers papaulx,
De Gezitices, de Symon, 267 c
De convoiteux d'excessis * dons
En la court du pappe et des princes,
Ne fut bien gouverné ly nions a :
10 C'est ce qui destruit les provinces.
Orgueil, descongnoissance nuit
Aux cours d'église, aux cours royaulx;
Convoitise y est jour et nuit
Qui veult avoir l'or a monceaulx :
1 5 C'est celle qui advance 2 ceaulx
Qui n'en sont dignes, c'est li pons
Aux mal entechiez b, aux félons.
Telz gens sont du peuple les pinces
Qui font les povres pays rons c :
20 C'est ce qui destruit les provinces.
Nulle religion ne luit ;
On treuve po de gens loyaulx ;
Raison, Drois et Justice fuit,
Car haiz sont des desloyaulx;
25 II n'est que renars et louvaulx d
Qui estranglent brebiz, moutons;
Avancement n'a nulz prodoms ;
Li bons dit : « Ha! mauvais, tu pinces ! »
Le temps ont murdriers et larrons :
3o C'est ce qui destruit les provinces.
l'envoy
Vray Dieu, chascun vous mescongnuit
1 .de excessis. •— 2. aduonce.
a. Le monde. — b. A ceux qui ont de mauvaises qualités. — c.
Rompus. — d. Louveteaux.
BALADES 28l
Et a vers vous le cuer recuit «.
Cler voiez plus que lins ne linces :
Convoiteus aront du mal cuit ;
Quant Convoitise par tout bruit, 35
C'est ce qui destruit les provinces.
MXV
Balade.
[Il faut récompenser les bons serviteurs.)
267 d Traire despit, dommaige et desplaisir,
A Injure, annuy et toute moquerie,
En lieu commun, sanz cause, et ce désir
Continuer en toute seignourie
A personne qui a esté nourrie 5
En franc vouloir, et sanz li faire bien,
Fait estrangier le lieu qui le detrie b :
Par faire mal n'aprivois'on pas chien !
Aucuns ont eu de ce faire plaisir c
A leurs servens, mais pour ce n'est ce \ mie 10
Que autres d'eulx doient ensuir sotie,
N'avoir les gieux sur eulx, c'est grant folie;
Sires puet moult, mais foulz est qui s'i fie
De faire autel d, ne comparer en rien
A leur seigneur; le soufrir est folie : 1 5
1. ce manque.
a. Endurci. — b. Fait quitter le lieu qui le retarde. — c. Se sont
>lu à faire ainsi. — d. De faire de même.
282 BALADES
Par faire mal n'aprivois'on pas chien.
Pour ce voit on les aucuns départir,
Qui ne puelent longues a soufrir tel vie,
Aux quelz on deust leurs paines remerir b,
20 Aler ailleurs, avoir merancolie,
Et ceuls ont droit en la plus grant partie;
Car chascun doit fuir com cerf 1 lien,
Franchise amer, car qui fait villenie,
Par faire mal n'aprivois'on pas chien.
l'envoy
25 Prince, qui n'a 2 la paine desservie,
Si vault et scet, dire vous ose bien
Que cil fait mal qui tel homme injurie c :
Pour faire mal n'aprivois' on pas chien.
MXV1
Autre Balade
(L'humilité des grands attire le cœur des petits.)
Com plus est grans en ce monde li homs, 268 a
Et com plus a richesce et habondance,
Tant doit il moins estre fiers 3 et félons
Et tant doit mieulx avoir la congnoissance
1. contre serf. — 2. qui na pas. — 3. estre moins fiers.
a. Longtemps. — b. Récompenser. — c. Traite injustement.
BALADES 283
D'umilité, non monstrer sa puissance 5
Aux soufraiteux, foibles et indigens :
Humilité attrait le cuer des gens.
Quant aux vertus, c'est uns tresnobles dons
Que Dieux eslut en celle et prinst plaisance,
Que sainte Vierge et sa mère appelions, 10
Dont nostre foy vient et nostre créance.
Si nous devons bien tuit mirer en ce
Pour acquérir l'amour de noz sergens :
Humilité attrait le cuer des gens.
Rigour non pas, qui eslonge a les bons, i5
Orgueil aussi, qui mettent en balance
Ceuls qui usent seulement de leurs noms;
Chascuns les fuit et het et desavance.
Avise cy tout homme et toute enfance,
Et d'estre humble soit chascuns diligens : 20
Humilité attrait le cuer des gens.
l'envoy
Prince royaulx doit avoir congnoissance
D'orgueil fuir, d'umblesce avoir le sens;
Par orgueil pert, et l'autre point l'advance :
Humilité attrait le cuer x des gens. 2 5
1. les cuers.
a. Eloigne.
284 BALADES
MXVII
Autre Balade
(Le bon sens n'est pas à la cour.)
Helas! sire, monstrez moy le chemin
Ou je puisse Gongnoissance a trouver?
— Va a la cour. — Quoy faire? — Je devin b
Quelle y devroit mieulx qu'ailleurs demourer. 268 b
5 — Vous dittes voir, mais je vous vueil prouver
Que pas n'y est; ailleurs a fait son hourt c ;
Quise l'y l ay, mais n'y puet séjourner :
Congnoissance se tient trop pou a court.
— Pour quoy ? — Pour ce que nul n'y est enclin
10 De la vouloir oir ne regarder,
Chascun lui fait content, noise et hutin d ;
Si n'ose la un tout seul mot sonner,
Car Foui Plaisir l'en fait souvent aler
Plus que le pas, s'en fuit ailleurs et court.
i5 — Quier autre part, car, selon ton parler,
Congnoissance se tient trop pou a court.
— C'est tout certain; mais maint paillart coquin
Maint sot, maint foui voit on la ordonner,
Avoir estât, la chevance et l'or fin,
20 Et li vaillant et saige, c'est tout cler,
N'y ont honeur, ne puelent profiter
1. lui.
a. Bon sens. — b. Je soupçonne. -—c. Sa demeure, — rf. Contesta-
tion, bruit et querelle.
BALADES
285
Par Foui Plaisir qui toudis y acourt,
En escriant, quant bons s'y veult bouter :
Congnoissance se tient trop peu a court.
l'envoy
Princes, qui veult comme saiges régner, 25
De son palays doit oster tel bouhourt a
Tant qu'on ne puist dire ne sermonner :
Congnoissance se tient trop pou a court.
MXVII1
Balade.
(Il fait bon d'être loin de la cour.)
N
e doit chaloir a homme qui sens a
Et qui scet art d'estat royal suir *,
268 c Car li riches com li povres mourra,
Et si fait bon sa franchise ensuir c;
Qui sert a court il ne fait que fuir 5
Puis ça, puis la, et vit a grant dangier :
Il fait trop bon son pain en paix mangier.
Cilz qui art scet par jour en ouvrera ;
Qui saiges est, son sens le doit chevir ; 10
Se il a propre, il s'en gouvernera
Et chascun d'eulx se pourra enrrichir,
a. Guerre. — b. Poursuivre. — c. Conserver.
286 BALADES
Sanz grant pechié reposer et dormir
Quant nuit sera, sanz son estât changier
i5 Et sanz débat; pour ce vueil soustenir :
Il fait trop bon son pain en paix mangier.
S'il vit a court, sa vie abrégera;
Car comme serf fault aler et venir,
Matin lever et a l tart se couchier,
20 Et si le fault parjurer et mentir,
Trair derrier et pardevant blandir a ;
Estre flateur, traitre, losengier b\
Pour ce conclus et puis bien maintenir :
Il fait trop bon son pain en paix mangier.
l'envoy
25 Prince, qui a pour son corps soustenir,
Sanz trop ne pou, doit la court estrangier c,
Car Salemon tesmoingne et veult tenir :
Il fait trop bon son pain en paix mangier.
c
MX1X
Autre Balade
(Tout se détruit dans le monde.)
ongnoissance, Sens, Honeur ne Mémoire
N'ont au jour d'ui leur temps ne leur saison
i . a manque.
a. Flatter. — b. Trompeur. — c. S'éloigner de la cour.
BALADES 287
Convoitise règne avec Vaine Gloire,
268 d Desloyaulté, Envie et Traison,
Et Volunté qui règne en desraison ; 5
Pitié n'a lieu et Charité est morte,
Justice, Loy se perdent et Raison :
Tout se destruit, riens n'est qui me conforte.
Car nul ne veult bonne parole croire,
Ne je ne voy, ne croy qu'il soit mais hom 10
Qui vueille oyr parler de chose voire a
Fors que de mal, mais encor se moque on.
S'aucuns dit bien : « C'est un maistre Remon;
Grant dommaige est quant la chape ne porte ! »
Mais chascun fait prodomme d'un larron : i5
Tout se destruit, rien n'est l qui me conforte.
Et quant je voy toutes vertus recroire b
Et tous vices régner si 2 a bandon c,
Je tien de voir ne je n'ose mescroire d
Qu'il ne viengne grant tribulacion, 20
Mortalité, guerre et perdicion
De la prince qui a telz maulx s'assorte e;
Prochainement, c'est ma conclusion,
Tout se destruit, rien n'est qui me conforte 3.
l'envoy
Prince qui veult avoir dominion / 25
Doit doubter Dieu, es vertuz se déporte,
Car s'il fait mal, c'est ma conclusion £",
Tout se destruit, rien n'est 4 qui me conforte.
1. nest rien — 2. si manque. — 3. Tout se destruit, etc. — 4. nest rien
a. Vraie. — b. S'affaiblir. — c. A foison. — d. Ne pas croire,
douter. — e. S'assortit, s'associe. — /. Domination, autorité. — g.
Erreur du copiste; il faudrait un autre hémistiche; celui-ci se trou-
vant déjà au vers 23.
288 BALADES
MXX
Autre Balade \
(Sur ce qui doit advenir.)
[1392]
Puis que je voy né le filz de l'enfant,
Selon les diz et exposicions
Des prophètes et Sébile qui sent
Par esperit les grans evencions, 26g a
5 De ce monde les tribulacions
Doivent fenir, et soubz le petit né
Doit reflourir saincte religions,
Qu'ainsi est il pieça prédestiné.
Fleur qui de fleur pure et nette descent
10 Sera de Dieu la vraie élections,
Qui doit porter son ceptre en Orient,
Du rémanent a des persecucions,
Du règne saint la consecracions;
Jherusalem, la sera couronné
j 5 Et soubzmettra payennes nascions :
Qu'ainsi est il pieça prédestiné.
O lui sera un saint pappe Innocent,
Et soubz ces deux la reformacions
Des crestiens sera fort et puissant,
20 Crainte la loy, et les discencions
N'aront plus lieu ; or nous esjouissons
• Cette ballade, déjà transcrite au folio iq*, a été publiée, sous le nu-
méro LXXXI, tome I", pages 183-184.
a. Du reste.
BALADES 289
Car assez tost seront no mal fine,
Les grans pécheurs et leurs intencions :
Qu'ainsi est il pieça prédestiné.
l'envoy
Prince, je voy le nom du nom naiscent, 25
Et Tinnocent de l'innocent crié a
Qui doit régner sire sur mainte gent;
Qu'ainsi est il pieça prédestiné.
MXXI
Autre Balade
(Conseil de fuir la cour.)
Qui vivre veult sanz grant péril avoir,
Pour eschiver de ce monde l'envie,
L'estat de court doit fuir et sçavoir 26g b
Que sur tous est la plus doubteuse vie
D'ame et de corps, et foulz est qui s'i fie, 5
Car Fortune tient illec b sa maison;
Régner un temps, languir l'autre saison
Y voit on maint, cheoir soudainement
De hault au bas ; pour quoy ne la fuit on?
Pour ce que foui ne doubte jusqu'il prant c. 10
Justice après ne doit garder vouloir,
a. Créé. — b. Là. — c. Jusqu'à ce qu'il reçoive des coups.
T.V lf
2Ç0 BALADES
Au temps qui court, nul qui ait prodommie *,
Car les mauvais qui des vices sont hoir b
La héent touz, ami n'a ne amie.
1 5 Enfans servir ne vous conseille mie,
Femme et commun c, car pou ont de raison,
Leur amour fault a petit d'achoison,
Si qu'om y pert temps et aage souvent :
Mais nul n'y a consideracion,
20 Pour ce que foui ne doubte jusqu'il prant.
Terre d'autruy ne deniers recevoir,
Estre trop près de haulte seignourie,
Ne grant estât qui fait adecepvoir
Maint dolent cuer, nul ne s'i glorifie.
2 5 Vif de ton art, doubte Dieu et gracie,
Soufrise toy rente ou possession
Moiennement, et ne fay desraison
A homme nul ; maintien toy humblement :
Car aux mauvais vendra pugnicion,
3o Pour ce que foui ne doubte jusqu'il prant.
l'envoy
Prince, je voy grant desolacion,
Baras d couvers, dissimulation,
Envie, orgueil, convoitise d'argent
Régner par tout, et dominacion 26g c
35 Branler tresfort sur sa mutacion,
Pour ce que foui ne doubte jusqu'il prant.
a. Nul qui a prudhommie ne doit vouloir garder Justice, au
temps qui court. — b. Héritiers. — c. Peuple. — d. Tromperie.
BALADES 29I
MXXII
Autre Balade \
(Dialogue entre deux voleurs.)
De quoy sers tu ? — De moy esbatre.
— Or di, de quel esbatement?
— Je sçay bien trois gieuz, voire quatre :
De bourses coupper soutilment,
D'entregetter a legierement 5
Un henap b ou un pot d'estain
Pour un d'argent, et de ma main
Couper un mordant c de courroie;
De rober nul homme ne crain.
— C'est beau gieu, mais qu'om ne te voie 1 ! 10
— Encor quant je voy gent debatre
A un change, trop proprement
Sçay ma main sur l'argent embatre d
Et remporter appertement ;
Tasse, godet e, cuillier d'argent j5
Ay tantost mucié/ en mon sain ;
D'un cheval, s'om le mainea plain
En presse ay couppé toutevoie
La longe, et vendu Pendemain.
— C'est beau gieu, mais qu'om ne te voie ! 20
— Et qui plus est, bien sçay combatre
l. voie manque.
a. Escamoter. — b. Un hanap. — c. Boucle. — d. Mettre. — c.
obelet. —/. Caché.
2g2 BALADES
D'un coutel profitablement,
Une maie a fendre et abatre,
La desrober incontinent.
25 — Et se tu es prins d'un sergent,
Gomment fais tu? — Je trume b a plain ;
Je me rescoux c bien du l villain,
Au moustier cours la droitte voye 26g
Et fais tourtel d'autrui levain d.
3o — C'est beau gieu, mais qu'om ne te voye.
l'envoy
— Prince, bien sçay gaingnier mon pain,
Bon marchant sui, a lever main e
Ay maintefois gaingnié ma proye.
— En la fin seras prins a l'ain /.
35 — Non seray; toudis robe et prain.
— C'est biau gieu, mais qu'om ne te voye!
MXXIII
Autre Balade
[Éloge de la tranquillité d'esprit.)
Chascuns parle de chevance acquérir,
D'avoir estât, puissance et renommée,
Qu'om se voye de pluseurs requérir,
1. dun.
a. Une valise. — b. Je cours. — c. Je m'échappe. — d. Je fais un
pain avec le levain d'un autre.— e. Matin. — /.A l'hameçon.
BALADES 2g3
Qu'om ait honeur qui tant est désirée :
C'est tout triboul a et labour de pensée; 5
Je ne vueil rien au cuer qui me desplaise,
Mais en passant de journée en journée,
Il me souffist que je soye bien aise.
Des faiz de nul ne vueil ja enquérir,
Ne d'autruy biens avoir la teste emflée, 10
Ne moy tuer pour terre conquérir;
Si riche n'est qui ait que sa ventrée b !
Pour sens avoir ne vueil langue dorée,
Ne pour honeur tant soufrir de mesaise;
Tous telz estas n'est que vent et fumée : 1 5
Il me souffist que je soie bien aise.
Ne sçay je bien qu'il fault chascun mourir?
Sanz espargnier personne qui soit née,
Nature fait tout homme a mort courir;
C'est sanz rapel, par sentence ordonnée. 20
270 a Pour quoy est donc vie desordonnée,
Pour acquérir la chevance mauvaise ?
Fy de l'avoir et richesce emmurée c !
Il me souffist que je soye bien aise.
l'envoy
Prince, on se doit en ce monde esjouir, 25
Garder la loy, a Dieu faire plaisir
Sanz convoiter ne faire euvre punaise d;
Qu'om face bien, et se doit on tenir
A ce qu'om a, et pour vray soustenir :
Il me souffist que je soye bien aise. 3o
a. Trouble, tourment. — b. Si riche qu'on soit, on n'a que ce
qu'on peut manger. — c. Entourée de murs. — d. Sale.
294 BALADES
MXXIV
Balade.
(Contre Jehan de Saint- Sy mon.)
A
vous, maistre d'ostel, me plain
Du ventre Jehan de Saint Symon,
Car il a fait son sac si plain
Que je n'ay jambes ne talon
5 Qui puist souffrir tel estalon a
Ne moy porter. — Et qui es tu?
— Certes, je suis son graile eu,
Qui Fay servi treslonguement ;
Or est trop pesant devenu :
10 Faictes sur ce vo jugement.
Trop s'emplist, le soir et le main,
De char de buef et de mouton;
Toudis a le voirre en la main *,
Tant boit qu'il en devient breton ;
1 5 Perdriz n'est, connin c ne chapon
Qui ne soit par lui retenu;
Il vole au gros et au menu,
Maint brouet chascun jour respant;
Du servir ne suis plus tenu :
20 Faictes sur ce vo jugement. 2jo b
Il semble que je soye un nain
Au regart du ventre félon ;
a. Baliveau. — b. Il • toujours le verre en main. — c. Lapin.
BALADES 295
De sa courroie me complain,
De sa tasse a et de la façon;
Le martel semble d'un maçon; 25
Son poys me fait estre bossu,
Et je ne suy pas si fessu
Que je fu anciennement.
Plus ne vueil servir tel pensu * :
Faictes sur ce vo jugement. 3o
i/envoy
Maistres d'ostel, je suis perdu
Se par vous ne suis secouru.
Je ne puis durer longuement;
Faictes jeûner ce malostru,
Donnez lui eaue et orge cru : 35
Faictes sur ce vo jugement.
MXXV
Autre Balade.
{Contre quatre mauvais sujets.)
Lecervot, Peruche et Phillippe
Et Chariot, les .1111., les trois
Sont une couple, et a la trippe c
Scevent dancier aucune fois ;
C'est le jeusne conseil courtois
a. De sa bourse. «— b. Ventru. — c. Au bal.
296 BALADES
Qui metteront lance sur fautre a\
Pour proye courront par les bois :
Hz ne cèlent rien l'un a l'autre b.
Quant l'un s'esjoit, l'autres > tripe c;
10 Hz seront compaingnons galois;
Se l'un grousse <*, l'autre defripe e\
C'est tout un; ces quatre François
Feront encor nouvelles loys
Et coucheront en divers pautre/
1 5 Et rachaceront s en Valois :
Hz ne cèlent rien l'un a l'autre.
Chascuns sera en 2 maie grippe h
S'ilz treuvent les gens maucourtois ;
Horion aront et dalippe *
20 Et useront de nouveaus drois;
Tel beste cherra en leurs roys k
A qui ilz escourront son veaurre l\
Car puis que leurs engins sont rois m,
Hz ne cèlent riens l'un a l'autre.
i/envoy
25 Princes, ces .1111. Hurepois
Cercheront d'un costé et d'autre
Mainte venoison sanz graspois n :
Hz ne cèlent riens l'un a l'autre.
1. ly autres. — 2. en manque.
a. Mettront la lance en arrêt. — b. Ils n'ont rien de caché Tu
pour l'autre. — c. Pille, ravage. — d. Se plaint. — e. Se contrarie
— /. Lit ou logis. — g. Pilleront. — h. En mauvais point. —
Coup, soufflet. — k. Rets, filets. — /. Toison — m. Raides. — t
Crochet.
BALADES 297
MXXVI
Balade
(Dialogue.)
Dieu gart, dame. — Dieu vous bénie!
Que querez vous? — Le nom d'ami.
— De qui? — De vous. — Ne l'arrez mie.
— Pourquoy? — Pour ce que quant a mi,
Oncques n'amay jour ne demi ; 5
On dit qu'amour point a plus que ronce.
— Que dittes vous? Las! je langui :
Trop me faites dure responce.
— Certes non fais, car ennemie
Ne vous suy. — Donc ay je l'octri * 10
D'avoir nom d'ami, vous d'amie?
— Autrement va. — Comment? — Ainsi
Que mal ne vous vueil, ne aussi
Amer, pour ce de vous m'esconse c.
270 d — Donc mourray je ; pour Dieu mercy ! 1 5
Trop me faittes dure responce.
Je ne vous quier nulle folie;
D'avoir nom d'ami vous suppli
De par vous. — Ce seroit sotie
De l'octroy. Nom d'amant vous dy ; 20
Souffise vous. — C'est un detry d\
Moins est amant d'ami une once,
a. Pique.— b. La permission.— c. Je me cache de vous.— d. Relard.
298 BALADES
Mais au fort retien ce nom cy.
Trop me faictes dure responcc.
i/envoy
25 Dieux d'amours, je vous remercy.
— De quoy? — Descorpiaux de vo tronce *,
Dame, bien ir^avez asservi,
Trop me faictes dure responce.
MXXVII
Autre Balade *.
{Sur V office que Deschamps remplit à la cour.)
Chascuns ne fait que demander :
« Quel office as tu a la court? »
Lors respont : « Je puis commander
A pluseurs qui me font le sourt;
5 Mais un autre office m'y sourt b
Que autres et tu bien congnois,
N'y a si saige ne si lourt :
Quant on baille, je faiz des crois.
Je puis bien venir sanz mander,
10 Et sanz fourrier faire mon hourt c;
• Publiée par Tarbé, tome b*,page i3o.
a. Des copeaux de votre pièce de bois. — b. M'y est rJservé.
c. Etablir mon installation.
BALADES 299
On me fait a Fuis délivrer
Et en salle l'uissier acourt :
J'ay un boute hors a brief et court,
Et du roy Tescaille des nois b\
Mon estât est, a quoy qu'il tourt c, i5
Quant on baille, je faiz des crois.
Mains y voy venir et aler;
27 1 a Quant Fun s'en fuit, l'autre y acourt ;
Chascuns se cuide avant bouter ;
Mais Envie a pluseurs sus court. 20
L'un s'i pert, l'autre se ressourt d;
Pour un perdu en revient trois,
C'est bon que mon estât demourt • :
Quant on baille, je faiz des crois.
l'envoy
Prince, a court puis bien demourer, 2 5
Grans est mes estas et adrois
Pour les ennemis rebouter :
Quant on baille, je faiz des crois.
a. Va-t-en. — b. La coquille des noix. — c. Tourne. — d. Se re
ève. — e. Demeure.
3 00 BALADES
MXXVIII
Autre Balade.
(// vaut mieux coucher seul qu'à deux.)
On dit qu'il fait bon avoir compaignie,
Mais en mains cas s'en pass' on de legier a
Uns glous b la fuit quant il a glotonnie,
Tous seulz vouldroit sa viande mangier.
5 Homs en grâce vouldroit autre estrangier c,
Sanz compaignon estre, et demourer seulx.
Compaignie vouldroit bien uns tigneux,
Et homs blasmez, pour un qu'ilz fussent troy.
Ne sçay comment gent dorment deux et deux :
io En tous temps fait bon couchier a par soy.
Prouver le puis par maint qui se marie;
Quant il fait chaut, et il sent le dangier
De femme avoir qui l'esvente et tarie <*,
Ou s'il fait froit qui le veult approuchier;
i5 Lors le convient coudre, poindre et brochier e
Ou cuirien/, et restouper les treux s",
Ou il orra h maint mot suspeçonneux.
Adonc voulsist plus estre seulx que doy *';
Lors de certain dit sanz estre doubteux :
• Cette ballade est encore transcrite, plus loin, au folio 276 d.
a. Facilement. — b. Un glouton. — c. Eloigner. — d. Taquine.
— e. Piquer. — /. Cuir. — g. Boucher les trous. — h. Il enten-
dra. — 1. Deux.
BALADES 301
20 En tous temps fait bon couchier a par soy.
Tenez vous donc que ce soit bonne vie
De deux et deux communément couchier? 271 b
L'un veult couvrir, Tautre ne le veult mie,
Si ne se puet ne l'un ne l'autre aisier a ;
25 L'un veult dormir, l'autre veult devisier ï b;
Contraires sont, descouvers et fruilleux c,
La rongne en vient, la toux, boces et deux 2 ;
Si vault trop mieulx chascun en son recoy d
Dormir a part, pour le moins périlleux :
3o En tous temps fait bon couchier a par soy.
l'envoy
Princes, moult fault sçavoir de Pescremie e,
A couchier deux, soit ami ou amie,
Car trop de plaiz et de dangiers y voy;
Robe/ tirer toute nuit anuitie
35 Sanz reposer : pour ce, quoy que nul die,
En tous temps fait bon couchier a par soy.
1. divisier. — 2. doux.
a. Etre à son aise. — b. Causer, deviser. — c. Frileux. — d.
Tranquillité. — e. Escrime. — /. Couverture.
302 BALADES
MXXIX
Autre Balade.
[Sur la défense faite par le médecin d'assister au repas
du roi, au château de Beauté.)
Eschançons, queux et escuiers tranchans,
Maistres d'ostelz, pannetiers, tous offices,
Huissiers d'armes et escuiers servans,
Sergens d'armes, ne soiez plus si nices a\
5 Départez vous b quant le roy disnera
Et tous autres, puis que cilz le dira
Qui ne veult pas qu'om face au roy assault
A son manger, ou mal vous en prendra :
Alez disner, ce dit maistre Regnault,
10 Car vous estes trop la chambre eschaufans.
Saussiers c, gardez le roy de fors espices,
Faictes vergus d'osille d, et vous, enfans,
Ne demandez rost, brouet n'escrevices;
Cilz qui tranche tout vous refusera.
j 5 Le medicin le plat avoir vouldra
Pour mieulx sçavoir qu'il n'ait es queux deffault,
Ce mot orrez en sa chambre ou il va : 2j i c
Alez disner, ce dit maistre Regnault.
C'est un dur mot aux compaignons galans
20 Qui de ce plat avoient bénéfices,
Le temps passé ; tristes sont et dolans
Qu'en un seul lieu est tourné li esclipces,
a. Si sots. — b. Allez-vous-en. — c. Officiers de la bouche. —
d. Verjus d'oseille.
BALADES 3û3
Mais, se Dieu plaist, li roys respassera,
Mais que li plas en pluseurs lieux luira
Com le souleil qui va puis bas, puis hault, 25
Tant que ce mot de tous poins cessera :
Alez disner, ce dit maistre Regnault.
l'envoy
Prince, a Beauté tout le cuer me trembla
Quant j'entray enz et je vi crier la
A haulte voix : « Vuidez a tous ; pour le chaut, 3o
N'y demeure que cilz qui servira. »
Quiere son mieulx qui trouver le pourra :
Alez disner, ce dit maistre Regnault.
MXXX
Balade *.
(Cupidité des gens de cour.)
Chascuns se prant a amender
Et se confesse, chascun jour ;
En conseillant vont demander
Pluseurs argent a leur seignour *,
Li grant, ly moien, li menour,
Soit a duc, a prince ou a roy,
1 Publiée par Tarbé, tome I, page 16g
i. seigneur.
a. Sortez.
304 BALADES
Ne font que dire sanz séjour :
« Sire, souviengne vous de moy.
Faictes mes lettres commander.
10 Parlez au Flament en destour a.
Vueillez les generaulx mander
Que paiez soye sanz retour. »
Et l'autre dit pour le meillour : 271 g
« De voz cofres, plus brief n'y voy. »
i5 Chascun fait ainsi sa clamour :
« Sire, souviengne vous de moy.»
Par derrier la table au disner
Et a 1 souper, vont a leur tour
Les compaignons, pour confesser
20 L'un après l'autre, et font leur plour.
On les rassoult b de leur folour;
Response ont souvent troy et troy,
Disans, partans, plains de dolour :
« Sire, souviengne vous de moy. »
l'envoy
2 5 Prince, puisqu'on! veult Dieu doubter
Et sa conscience ordonner,
Encor sera bonne la loy;
Chascuns va pour soy dolouser c
Vers vous, en disant ce parler :
3o « Sire, souviengne vous de moy. »
1. Et a leur.
a. En particulier. — b. Absout. — c. Se plaindre.
BALADES
MXXXI
Balade.
[Assaut de politesse.)
Te m'en voys. — Demourez icy,
U Beaus cousins. - Certes, non feray •
Je ne vous lairay pas ainsi,
Par Dieu, je vous convoieray <*.
--Non ferez. - Or, ne jurez mie,
bi feray, par saincte Marie,
Délivrez vous, passez devant.
— Je vous deffens ma compaignie :
Vous ne passerez plus avant.
— Or me soufrez, pour Dieu mercy.
— Si près de moy ne vous lairay.
— Je croy que vous moquez de my
— A Dieu. - De ci ne partiray
Jusques retourner vous verray.
— Alez vous ent, c'est grant folie,
272 a Regardez que j'ay de mesgnie *,
Vous me convoiez trop souvent;
Retenez loy ef je vous en prie,
Vous ne passerez plus avant.
— Si feray, puis que je le dy,
Jusqu'à vostre huis vous remenrray ;
*£^?ZEr* - * J'aî d£S d°mesti«-> «es Sens
T. V
20
3o5
i5
20
3o6 BALADES
— Ainsi faictes vous chascun dy a,
Plus vostre honeur ne souferray.
— A vostre hostel vous conduiray,
25 C'est pour vous que je faiz sotie.
— Or retournez, je vous supplie,
Jusqu'à demain, souleil levant.
— Près est du jour, je vous affie.
— Vous ne passerez plus avant.
l'envoy
3o — A Dieu, faisons la départie.
— A Dieu, cousin. — A Dieu, parant.
— Alez a Dieu ceste nuitie :
Vous ne passerez plus avant.
j
MXXX1I
Balade.
(Comment il faut aimer.)
e vous ayme. — De quel amour, amis?
— De tel amour qu'om doit sa dame amer.
— Comme l'aime on? — L'en n'est pas ennemis,
Car on se doit baisier et acoler,
5 Joindre de près doulcement, et celer
A toute gent le secret de nature;
La rent Amour sa joieuse pasture
Aux amoureux, c'est li savoureus dons
Que prandre en gré doit toute créature :
10 A dire voir, c'est pour quoy nous amons.
a. Jour.
BALADES 307
— Amez vous donc que vous soiez honnis,
Pour vo dame vouloir deshonourer,
272 b Et faictes vous différence ou devis «
Entre nulles pour leur honour garder?
"" Oil. — Comment? — Celles a marier 15
Fault espargnier, car pas n'ont couverture
Quant a honeur, si seroit grant laidure;
Mais des autres couvertes nous taisons,
Qui puelent bien d'amour porter la cure :
A dire voir, c'est pour quoy nous amons. ' 20
--Amours est donc saige, ce m'est advis,
Quant il veult loy entre femmes donner-
Mais Nature le souferroit envis *
Qui a toutes veult son pouoir monstrer
Amour ne voit, nulle n'en puet aler 25
Puis qu'elle sent l'amoureuse. pointure
Soit vierge ou non, tele est d'amour lardure
Qui se boute partout a reculons.
-Vous dittes bien, c'est tresdoucepasture « •
A dire voir, c'est pour quoy nous amons. 3o
l'envoy
Prince 2, en amour tant de doucour figure
Que qui se puet bouter en sa jointure
lit il s'i scet bien aider des talons,
Il ne voulroit ja autre nourreture
Pour ce délit trouver qui petit dure : 35
A dire voir, c'est pour quoy nous amons.
I Pastoure. — 2. Princes.
f PartaSe- - *• De mauvaise grâce, malgré elle.
3o8 BALADES
E
MXXXIII
Autre Balade.
(Conseils pour réussir à la cour)
ntendêz ça, vous qui a court alez,
Et qui avez d'y fréquenter désir :
Au commencier le sot saige ferez
Et aprenez hardiment a mentir ;
5 Branlez du lés a dont vous pouez sentir
Qu'il vous pourra valoir aucunement ;
Jouez, jurez, demandez hardiment
Et acordez tout ce que l'en dira; 2J2 c
S'ainsis faictes, tenez certainement
10 Que grant proufit de la court vous venrra.
Soiez hardis et par tout vous boutez;
Mais pensez vous de nettement vestir;
S'il est mestier, a tout homme buvez,
Et si pensez des plus grans poursuir,
1 5 De fort jangler tant qu'om vous viengne oir;
Ne vous chaille de parler saigement;
Poursuiez fort et continuelment,
Sanz départir, et ce vous aidera
D'estat avoir, et si soudainement
20 Que grant proufit de la court vous venrra.
A toute heure hurtez et gourmandez,
Faictes a part a pluseurs enquérir
a. Penchez du côté.
BALADES 3 09
S'il eschiet a rien, se nulz est enrumez
Ou vous puissiez aucun don acquérir ;
Se officier \ se puet laissier mourir, 25
Son office querez diligemment
Et demandez a tous communément,
Sanz honte avoir, qui donner vous voulra,
Et vous ferez, par tel gouvernement,
Que grant proufit de la court vous venrra. 3o
l'envoy
Enfans de court, tous ces poins retenez,
Et lors chascuns de vous par soi verra 2
En les faisant, se bien les maintenez,
Que grant proufit de la court vous venrra.
MXXXIV
Balade.
(Ainsi va le inonde.)
e ne me donrray plus merveille
De chose qui puisse advenir ;
L'un boit tart, l'un dort, l'autre veille,
L'un ne veult qu'aler et venir,
272 d L'un veult couchier, l'autre tenir,
Jouer a beau ou a lait gieu,
L'un, quant il pert, maugrée Dieu,
1. Sofficier. — 2. persévéra.
a. S'il n'est rien arrivé
J
3 10 BALADES
Tous ses sains et leur letanie ;
L'autre doit argent, puis le nie
10 Et sur jurer en vain se fonde,
L'un rit d'autrui mal, l'autre en crie :
Ainsi va des choses du monde.
Ly uns nicement s'appareille a
Et ne se scet du sien chevir;
1 5 Autres ont la puce en l'oreille
Pour doubte qui les fait frémir ;
Les autres ne puelent dormir
Se l'en ne les met en hault lieu ;
L'un veult devenir maistre Andrieu
20 Sanz sçavoir science ou clergie,
Secrétaire avoir chanonie,
Et li bon clerc sont povre et monde b
D'avoir estât en ceste vie :
Ainsis va des choses du monde.
2 5 Je voy cellui qui ne traveille
Par foie plaisance enrrichir,
Et maint conseiller qui conseille,
Qui ne scet du conseil yssir,
Les vieulz des josnes escharnir c;
3o Prodoms n'ose passer son sieu d\
Nulz ne veult estre Berthemieu,
Ghascuns doubte l'escorcherie e;
Vérité fault, loy est perie,
Par tout voy le chant de l'aronde/;
35 L'un engresse, l'autre amaigrie :
Ainsis va des choses du monde.
a. S'habille sottement. — b. Propre, nettoyé. — c. Railler. —
d. Son seuil, sa porte. — e. On ne veut pas être saint Barthélémy
qui fut écorché. — /. De l'hirondelle.
BALADES 3 1 I
L ENVOY
2j3 a Princes, qui scet le mieulx mentir,
Trahir derrier, devant blandir,
Et en qui flaterie habonde,
Puet plus tost grant estât fournir, 40
Un temps régner, puis fault mourir :
Ainsis va des choses du monde.
MXXXV
Balade.
[Sur sa maie chance, au sujet d'un accident à la jambe.)
Je ne me sç,ay a quele heure lever
Ne en quel jour je me doye mouvoir;
Se levez suy, si je m'en doy aler
Ou si je doy a l'ostel remanoir ;
Et si je monte a cheval, 5
Et chevaulx chiet, ou moy, je me faiz mal;
S'a piet m'en vois, le traveil me déçoit a ;
Se j'entre en nef, je plunge contreval *,
Car, chascun jour, meschiet il qui que soit c.
Si je m'en vois au moustier pour orer d. 10
Je me feray ypocrite apparoir ;
a. Me trompe.— b. En bas. Je tombe dans l'eau.— c. Car chaque
jour, il arrive malheur à quelqu'un. — d. Pour prier.
3 I 2 BALADES
Si je m'en vois a la court demourer,
Il y a bien manière du manoir;
Si je vueil estre vassal,
i5 Armes suir o prince ou seneschal,
En un moment seray tué tout roit *;
Qui monte haut il puet cheoir a val :
Car, chascun jour, meschiet il qui que soit.
Se femme prans, d'elle me fault doubter,
20 Car je ne puis son malice sçavoir ;
S argent reçoy, il me fauldra compter ;
Se juges suis, aux pars me fault seoir b\
Se j'ay argent a estai c,
Prester me fault, n'en ray d pas sort égal ;
25 Nulz au jour d'ui seurté en rien ne voit,
Fors que péril par tout en gênerai,
Car, chacun jour, meschiet il qui que soit. 2y3 b
l'envoy
Princes, cilz doit bien Jhesucrist loer
Qui du jour puet son corps eschaper droit.
3o Je m'afolay hier la jambe a tumer e :
Car, chascun jour, meschiet il qui que soit.
a. Tout raide. — b. Il me faut écouter les parties, — c. A une
boutique de changeur. — d. Je n'en ai pas. — e. Je me blessai la
jambe en tombant.
BALADES 3 1 3
MXXXVI
Autre Balade.
(Sur les ennuis de sa charge de Bailli de Senlis.)
Depuis le jour que des dames parti
Et que je fus boutez en bailliaige,
Joie, déduit n'eus ne joieux parti,
Bien ne douçour, fors que doleur et raige;
Matin lever, contrefaire le saige, 5
Oir plaider et rendre jugemens,
Seoir toudis et escouter les gens;
La suis plentez comme ydole de terre.
Aiez pitié, dames, de mes tourmens,
Pour l'amour Dieu, envoiez moy requerre a. io
Car il n'est bien que puist avoir bailli,
Mais li convient oir de dur langaige ;
De pluseurs est par derrière assailli
Pour faire droit ou garder l'eritaige
De son seigneur, et s'omme de paraige i5
Muert *, pour ses maulx hais est des parens ;
Se juges faint, lors s'est il parjurens;
Nul tel estât ne doit ja frans cuers querre,
Car c'est de vie uns grans abregemens :
Pour l'amour Dieu, envoiez moy requerre. 20
Hostel de roy et de royne autressi
En voz deux cours a plus joieux usaige,
Plus franchement y vit l'en, Dieu merci,
a. Faites-moi rappeler. — b. Et si un homme de condition meurt.
3 14 BALADES
Las! dolereus, et pour quoy vous lessai ge?
25 De cest escript faiz vers vous mon messaige,
Soiez de moy, mes dames, souvenans ;
Damoiselles, a vous me recommans; 2j3 c.
Pour mon départ de vous li cuers me serre ;
Se par vous n'est, je mourray languissans :
3o Pour l'amour Dieu, envoiez moy requerre :
l'envoy
Noble princesse, humblement vous suppli
Que je vous serve; autre foiz vous servi ;
De la doleur m'ostez qui trop m'enserre,
Car je suis ja presque tout amorty,
35 Se n'y pourveez briefment, je languy :
Pour l'amour Dieu, envoyez moy requerre.
MXXXVÏI
Balade *.
( Voyage des princes en Lombardie).
Il fait tresbeau demourer
En doulz chastel de Pavie,
Ou l'en seult dames trouver a
Qui mainent joieuse vie.
Car c'est noble compaignie
Publiée par Tarbé, tome I, page 1 16.
a. Où l'on est accoutumé à trouver des dames.
BALADES 3 1 5
Et qui dance voluntiers.
La festoient estrangiers
Les dames et damoiselles ;
Noble lieu, plaisans vergiers
Ont pour déduire les belles. io
Bien se scevent ordonner;
Chascune est gaie et jolie.
Dancer scevent et chanter
Doucement; n'y {aillent mie;
Moult ont de bien faire envie. i5
Chevaliers et escuiers,
Veans leur douçour premiers,
Leurs biens, le grant honeur d'elles,
Robes, joyaulx et deniers
Ont pour déduire les belles. 20
Si doit on bien honourer
2j3 d. De Vertus ma daine lie,
Le conte et sa terre amer
Qui Bourgoingne et sa mesgnie
Et Touraine, en Lombardie 25
Ont tenus comme amis chiers,
Donné chevaulx et coursiers ;
Draps d'or, hernois, joyaulx, selles
D'orfroy ■ a, après les mangiers,
Ont pour déduire les belles. 3o
l'envoy
Princes, ne m'en puis aler ;
Trop doubte le rapasser b
En ces montaignes crueles.
1. Deffroy.
a. Ornées de galons. — b. Repasser.
3l6 BALADES
Pavie me fait penser
35 A l'aise, et au bon vin cler
Qu'ont pour déduire les belles,
MXXXV1II
Autre Balade \
(Requête de Deschamps au pape, afin d'obtenir un
canonicat pour son fils Gillet Deschamps) .
T
'ressaint Père, Gillet supplie
Des Champs a vostre saincteté,
Qui a Orliens estudie,
Que de vostre bénignité
5 Chanonnie a ait ou dignité
A Chaalons, Laon ou a Paris,
Rains ou Rouen, et soit escrips
Prenans, ce vous supplie Eustace ;
Or ne soit de vous escondis b :
10 Vueillez lui faire vostre grâce.
.VI. ans a en phillosophie
A Paris en la rue esté,
Cler engin a, bien versifie;
A l'Eglise Ta présenté
1 5 Le dit Eustace ; n'est rente
Ne bénéfice n'a acquis
Le dit Gillet, qui est ses filz ; 274 a>
' Publiée par Crapelet, page 104.
a. Canonicat. — b. Refusé.
BALADES 3 I 7
Si fault que quelque bien lui face
Vostre saincté ; pères chiens,
Vueillez luy faire vostre grâce, 20
Tant qu'il puist poursuir clergie
Ou jusqu'à cy a proufité,
Et qu'il puist en théologie
Par vo moien estre exité;
Il tcnt a estre habilité 25
In utroque a. Encor servis
Serez de lui ; et, se je vis,
Je vous yray veoir en face.
Père saint, octroyez mes dis,
Vueillez lui faire vostre grâce. 3o
l'envoy
Tressaint père, n'oubliez mie
Gillet mon filz, qu'il n'ait sa place
D'obtenir quelque chanonnie :
Vueillez lui faire vostre grâce.
a. In utroque jure ; en droit civil et droit canon.
3 I 8 BALADES
MXXXIX
Balade *.
(Plaintes de V Amant.)
Regart me trait et Doulz Pensers me rue,
Désirs m'assault et Souvenirs me nuit,
Et la beauté de ma dame m'argue *,
Paour me tient et de jour et de nuit,
5 Honte me vient et Dangier b me destruit;
Se Pitiez n'est, je mourray d'amer cy,
Et Doulz Espoir qui un po me conduit :
Je n'attens riens fors que mort ou mercy.
Helas ! Amours m'a bien mis en sa mue c
io Quant je ne puis voler, n'avoir déduit,
Ne veoir l'air de la tresbelle nue
Qui de beauté com le souleil reluit;
Car Maie Bouche a mon oreille bruit,
Qui, nuit et jour, me met en grant soussy ; 274b.
1 5 Desespoir vient et ceuls me grèvent tuit :
Je n'attens riens fors que mort ou mercy.
Douce Pité, qu'estes vous devenue?
Franchise aussi, Grâce qui tousjours luit,
Plaisant Désir, soiez a ma venue;
20 Faittes qu'octroy soit pour vo bonté duit,
Se grâce n'ay, que j'aye sauf conduit
* Cette ballade, déjà transcrite au folio 16g, a a été publiée sous le nu-
méro DXXXIV, tome III, pages 372-373.
a. Excite.— b. Résistance d'amour.— c. Cage.
BALADES 3 1 9
Pour regarder celle que j'ayme sy ;
Et s'ainsi n'est, mon corps art tous et cuit :
Je n'attens rien fors que mort ou mercy.
MXL
Autre Balade.
(Sur le départ du roi.)
Mon cuer, mon bien, mon soulaz et ma joie,
Mon vray désir et toute rcfesperance,
Ma douce amour ou je me delectoie,
Tout mon confort, toute ma souffisance
Se part de moy, mon honour, ma puissance, 5
Et si ne sçay quant je le reverray;
De son retour suy en trop grant doubtance :
S'il ne revient, a tousjours languiray.
Las! qui li fait emprandre tele voye?
Certes, Pitez, Honeur, Force et Vaillance, io
Jonesse aussi qui a tous biens l'avoye a,
Et Hardement qui le met en balance
De mer passer, et n'a la congnoissance
De son retour néant plus que je l'ay ;
Ce me destruit, car je l'aim des s'enfance : i5
S'il ne revient, a tousjours languiray.
Or vueille Dieux que brief s'en reviengne
A son honnour et a la délivrance
De ses subgiez, et le bon temps ravoye b
a. Le conduit, le dirige. — b. Ramène.
320 BALADES
20 Qui fut jadis ou royaume de France, 2j4c
Tant que plus n'ait son peuple tel souffrance,
Mais soit par lui gettez de son esmay :
En Dieu en est, mais je pers ma plaisance,
S'il ne revient, atousjours languiray.
MXLI
PROPHECIE
DES DOLOURS QUI SONT ADVENIR
L
'an de dolours et de reprouche
Et des fins merveilleus approuche,
Incongnuz, soudains, espantables l,
A tous grans pécheurs redoubtables.
5 Par sang, par feu, par mort soudaine
Sera la terre vuide et vaine;
Mutacion, par accident,
De seignourie en Occident,
En Midi et en autre lieu,
io Par deffault de non amer Dieu
Et tenir la loy qu'il commande,
Pour ce lo a que chascun s'amende,
Com Nynive crians mercy,
Pour eschiver ce tourment cy.
ADMIRACION
i5 Pour signes qu'om voie advenir
Ne pugnicion merveilleuse
I. espouentables.
a. Je conseille.
BALADES 32 1
Ne veult nulz sa vie orgueilleuse
Laissier, ne de Dieu souvenir?
RESPONSE
La vengence en sera crueuse,
Car les mauvais verrez ferir 20
De l'ire Dieu, perdre et périr
Terre et corps par mort dolereuse.
ADMIRACION
Le chief fault, l'Eglise chancelle,
La seignourie et la foy bransle,
274 d Justice, Loy et Vertu tramble, 25
En péril est nostre nasselle.
RESPONSE
Tout va au néant, ce me semble,
Mal se porte nostre querelle ;
Le monde ne fait chose belle :
Pugnicion sur lui > s'assemble. 3o
QUESTION
Il n'est plus périlleux office
Au jour d'ui, veu le temps qui court,
Que de trop converser a a court
Et d'exercer fait de justice.
RESPONSE
Pour ce fait bon sçavoir du hourt *, 35
Que l'en soit entre saige et nice c,
Et qu'om ne prangne bénéfice
Qui a honte ou dommaige tourt d.
QUESTION
La victoire plus souveraine
Et que Dieu a plus agréable 40
En prince, est qu'il soit piteable
A son dessus, quoy qui aviengne.
1 . sur soy.
a- Habiter, fréquenter. — b. Ruses. — c. Entre sage et sot. —
d. Tourne.
T. V ai
32 2 BALADES
RESPONSE
La rigour de mort est doubtable
Puis qu'on a la victoire plaine
45 De l'ennemi, et l'en se paine
De Poccir par voie dampnable.
ADMIRACION
Advise bien qui prant corps d'omme,
Sanz crime, bonne et juste guerre,
Ou bien estre imformez, il erre
5o Et d'injustice se renomme.
RESPONSE
Pour ce doit on avant enquerre
Des mauvais, comme ceuls de Romme 2j5 a
Firent, que l'on les oye et somme,
Car au derrain tout sera terre.
DEMANDE
55 Comment puet homs avoir envie
Sur ce qui ne lui vault ou nuit,
Mais en est tristes, jour et nuit,
Et seiche en abrègent sa vie?
RESPONSE
C'est grant folie, il se destruit
60 Pour chose qui ne li vault mie;
Ennemi fuit et ennemie,
Dieu le het, si font li bon tuit.
DEMANDE
A ces cours d'église et royaulx
Sont mains cuers vertueux trahis
65 Par les mauvais et envahis
Qui héent tous les cuers loyaulx.
RESPONSE
De ce doit on estre esbahis,
Car par devant sont maint de ciaulx
Blandissans *, ostans leurs chapiaulx,
a. Flattant.
BALADES 32 3
Qui par derrier sont ennemis. 70
DEMANDE
Le temps approuche et l'an acourt
Que périlleux fera a court
Pour les grans maulx qui y courront :
Saiges ceuls qui s'en escourront a.
response l
Car maint mal ont esté celé j5
Qui briefment seront révélé,
Par lesquelz l'en pourra congnoistre
Maint mauves du secle et du cloistre.
QUESTION
Povres gens, emflez de science,
Pour un petit d'estat qu'ilz ont, 80
275 b Nouvelles ordonnances font
Contre Dieu et leur conscience.
RESPONSE
Hors d'ordonnance premiers sont,
Et par leur foie oultrecuidance
Mainent souventefois la dance 85
Des maleureux : visent ci donc.
I. response manque.
a. S'en retireront.
324 BALADES
MXLII
Balade.
(Deschamps se plaint que ses valets dépensent trop
d'argent.)
Je croy que j'ay pour faire ce voyage
.un. variez, rusez et bien aprins,
Car sur les champs ne vont point en fourrage ;
Hz me veulent mener en paradis :
5 Qu'a leur pouoir me logeront toudis
En lieu seur, chastel ou bonne ville;
La comptent hault, et ne leur chault du pris,
Tant qu'il ne m'est demouré croix ne pille.
Et quant je di que ce n'est pas l'usaige
10 Et qu'ilz deussent logier en plat pais
Pour moins fraier a, pour avoir l'avantaige
D'avoine et foing, buefs, vaches et brebis,
Et pour partir sanz compter du logis,
Hz respondent : « Chose seroit trop vile. »
1 5 Tousjours s'en vont logier ou il a lis,
Tant qu'il ne m'est demouré croix ne pille;
En moy monstrant par gracieus langaige
Que d'estre au plat b, les corps en valent pis
Et les chevaulx, oeufs n'y a ne frommaige *,
20 Tout est retrait, et s'en est on reprins,
I. frommage.
a. Pour être à moindres frais. — b. Au plat pays.
BALADES 325
Pillars tenuz, et pour ce m'ont aprins
Que je seray prodoms entre cent mille
D'ainsi logier : a Bapaume m'ont mis
Tant qu'il ne m'est demouré croix ne pille '.
l'envoy
2j5 c Princes, je suis desja tous esbahis 25
De mon argent; tout s'en va qui ne pille.
Chevaux et gens m'ont rungié jusqu'au pis a
Tant qu'il ne m'est demouré croix ne pille \.
MXLII
Balade.
(Ballade amoureuse.)
Ouant je parti de vostre grant douçour,
Belle et bonne, plaisant et vertueuse,
Que je désir et aime sanz séjour
Com la meillour et la plus gracieuse
Qui soit vivant, puis n'oy vie joieuse b, 5
Ne je ne puis vivre joieusement
Quant me souvient du doulz département.
La vigile de la Vierge d'onnour,
C'est la mi Aoust, feste tresglorieuse,
Que vers vous fu ma tresloiale amour, io
i. pile.
a. Poitrine. — b. Je n'ai plus eu vie joyeuse.
32Ô BALADES
Et vous trovay humble, douce et piteuse,
En tout honour; vo douçour doulcereuse
Me fait avoir maint divers pensement
Quant me souvient du doulz département.
i5 Or vous suppli, tresdouce et humble flour,
Que ne soiez envers moy rigoreuse
Pour le départ qui me met en tristour,
Doubtans l'oubli de vous, tresamoureuse;
Car quant a moy, ne soiez desdaingneuse,
20 Que vostres suis, mais j'ay trop de tourment
Quant me souvient du doulz département.
MXLIV
Autre Balade.
(Chacun fait ce qui lui plaît.)
Vous qui voulez le monde chastier
Et qui monstrez les vices qu'on y fait,
Faictes a droit, chastiez vous premier,
Ne vous chaille ja de l'autruy meffait,
Car un chascun est chargié de son fait. 27 $ d
D'autrui meffait n'est vengence en vous prinse l
Selon la loy; riens n'y vault vostre brait a :
Car un chascun fait du sien a sa guise.
1 . en vous vengence prinse.
a. Cri?
BALADES 327
S'aucun se veult vers Dieu humilier,
Faire le doit; se li autres menait a, 10
L'umiliant ne puet en riens lier ;
Il ne vient pas a chascun a son hait b;
A chascun fault, quelque meschief qu'il ait,
Prandre et soufrir bien ou mal son emprinse
Et cheminer ou 1 par bel ou par lait, i5
Car un chascun fait du sien a sa guise.
Li uns se fait par folie escrier c,
Li autres non ; li uns a trop de plait,
L'autre se fait congnoistre a maugrier,
L'un se congnoist et l'autre se deffait, 20
L'un pert le sien et l'autre se refait
Selon son sens et raison qui l'advise;
L'un fait a droit, l'autre se contrefait,
Car un chascun fait du sien a sa guise.
l'envoy
Princes, pou vault le cocart 4 enseignier, 25
Ne faire au foui de sens longue divise e,
Ne le félon trop longuement prier,
Car un chascun fait du sien a sa guise.
1 . ou, manque.
a. Fait mal. — b. A sa guise. — c. Reprendre, corriger. — d.
Sot. — e. Discours.
p
32 8 BALADES
MXLV
Autre Balade
[Que Dieu ait pitié de nous!)
ilourez, plourez, peuples de Pharaon, 276 a
Et vostre roy sa misère larmoyé,
Qui aux Hebrieux ne voult faire pardon,
Dont Moyses lui enseignoit la voye;
5 Trop endurci, pour ses péchiez se noyé,
De dix plaies en Egipte féru ;
La Rouge Mer leur a vie tollu a,
Perseverans en leur rigour mauvaise
D'espendre sang, la sont mort et perdu :
10 Prions a Dieu que vers nous se rapaise!
O Baltasar, de toy que recite on,
Tresconvoiteux sur or et sur argent?
Babiloine, dont rois portas le nom,
La grant cité prinst sur toy toute voie
1 5 Li roys Gyrus et te soubmist en proye,
En délivrant le peuple qui la fu
Emprinsonnez, et mis soubz ton escu ;
Jherusalem fut par toy a mesaise.
Ayons paour d^stre brief confondu :
20 Prions a Dieu que vers nous se rapaise !
Las ! que devint Choré et Dabyron?
Transgloti b sont, terre les absorboye ;
a. Enlevé. — b. Engloutis.
BALADES 32g
Nynive fault, et Romme en Rubicon
Ou César lors par fortune sa voye
Oultrepassa ; or est destruite, et Troye. 2 5
Pour leurs delis sont en cendre et en fu a,
Et qui verroit comment on a vescu
Puis .lx. ans, jamais ne seroit aise,
Car en nous n'a charité ne vertu :
Prions a Dieu que vers nous se rapaise! 3o
l'envoy
Prince, pensez de faire vo salu,
Li peuple aussi, li grant et li menu,
Car li feux est ja mis en la fournaise
2j6 b Pour tout ardoir; nous sommes tuit perdu
Pour noz meffaiz, aux infernaulx rendu : 35
Prions a Dieu que vers nous se rapaise!
MXLVI
Autre Balade.
(Prophétie de Sybille.)
Je, Sebille, de Dieu vivant prophète,
Faiz asçavoir que du règne adoptif,
Par son orgueil, sera vengence fette
Ou temps que tuit seront vindicatif
a. Feu.
33û BALADES
5 Sanz craindre Dieu, et trop judicatif
En volunté de raison dessevrée,
Bouche parlant, ou cuer autre pensée,
Baras couvers, le sang humain mangier
Perseverans, amour dissimulée,
10 Et lors doivent monarchies changier.
En cellui temps naistra la foie secte,
La panthère, le loup simulatif,
Le cerf volant, l'ourse, la tigre brette
Et le cengler ; entr'eulx ara estrif a
i5 Tant que l'un d'eulx, par un mauvais motif,
Prins et lié sera en sa contrée;
De son sang puis espandra la ventrée;
Sus se courront pour leurs meffaiz vengier
En Occidant par glaive et par espée :
20 Et lors doivent monarchies changier.
La calendre b sera en deux lieux fraite
Et remaindra par tout poilu son nif c,
Son chant donné yert vendu et en debte,
Ne plus n'ara fors que le vocatif,
25 Et des corbeaulx le nombre pluratif
O les choes d alors habandonnées
Seront destruiz et ces choes plumées;
Les grans renars fera l'en escorchier
Pour leurs deliz, c'est vengence ordonnée :
3o Et lors doivent monarchies changier.
a. Combat, querelle. — b. Oiseau fantastique. — c. Son nid res-
tera tout pollué. — d. Avec les chouettes.
BALADES 33 I
MXLVII
Autre Balade \
[Les maîtres de Deschamps.)
2j6 c T'ay .viii. mois l'an ordonnez pour servir,
\J Et .vin. seigneurs que je vous nommeray :
Les mois premiers esquelz je doy venir,
Janvier, Février, Mars, Apvril, Juing et May,
Novembre aussy et Décembre prandray : 5
Janvier au roy; Décembre pour Bourgogne;
May a Valois; Mars, Navarre aplegay 1 * :
Les autres mois vueil faire ma besongne.
A Nevers fault moy en Novembre offrir;
Philipe, en Juing, le Barroys serviray; 10
Charle en Février m'a voulu retenir,
Et en Avril o les dames seray;
Ainsi mes mois d'ordre en ordre suiray
Sur mes seigneurs cui Dieux grant vie doingne *,
Joieusement o eulx me deduiray : i5
Les autres mois vueil faire ma besoingne.
C'est en Juillet qu7om doit ces prez cueillir,
Et en Aoust ses blez, car bien le sçay,
Et engrangier, qui veult estât tenir,
• Publiée par Tarbé, tome I, page 124.
I, Ap. gay.
a. J'ai engagé. — b* A qui Dieu donne longue vie.
332 BALADES
20 Septembre, Octobre, adonc vendengeray ;
Pour l'an entier ainsi me garniray,
Car qui riens n'a, on le fuit et ressoingne a.
Ce fait, mes .vin. mois servir m'en riray *;
Les autres mois vueil faire ma besoingne.
l'envoy
25 Prince, a court sont maint que nommer ne sçay
A qui labeurs ne fait guieres d'essoingnes c;
Huit mois et plus, mais pas tant n'y seray :
Les autres mois vueil faire ma besoingne.
MXLVIII
Autre Balade *.
(// vaut mieux coucher seul qu'à deux).
On dit qu'il fait bon avoir compaignie, 2j6 c
Mais en mains cas s'en pass' on de legier d
Uns glouz e la fuit quant il a glotonnie,
Tous seuls vouldroit sa viande mangier.
Homs en grâce vouldroit autre estrangier/,
Sanz compaignon estre, et demourer seulx.
Compaignie vouldroit bien uns tigneux,
• Cette ballade, déjà transcrite au folio 2 y i a-b,a été publiée dans c
même volume, sous le numéro MXXX, pages 3oo et 3oi .
a. On le redoute. — b. Je retournerai servir mes huit mois. — c
Excuses.— d. Facilement. — e. Un glouton. — /. Eloigner.
BALADES 333
Et homs blasmez, pour un qu'ilz fussent troy.
Ne sçay comment gent dorment .11. et deux :
En tous temps fait bon couchier a par soy. 10
Prouver le puis par maint qui se marie ;
Quant il fait chaut, et il sent le dangier
De femme avoir qui le suente et tarie a,
Ou s^l fait froit qui le veult approuchier ;
Lors le convient queudre, poindre et brochier b i5
En cuirien c, et restouper les treux rf,
Ou il orra e maint mot suspeçonneux.
Adonc voulsist plus estre seul que doy/;
Lors de certain di sanz estre doubteux :
En tous temps fait bon couchier a par soy. 20
Tenez vous donc que ce soit bonne vie,
De .11. et .11. communément couchier?
L'un veult couvrir, l'autre ne le veult mie,
Si ne se puet ne l'un ne l'autre aisier s\
L'un veult dormir, l'autre veult devisier ' h ; 2 5
Contraires sont, descouvers et fruilleux *,
La rongne en vient, la tous, boces et deux 2 ;
Si vault trop mieux chascun en son recoy>
Dormir a part, pour le moins périlleux :
En tous temps fait bon couchier a par soy. 3o
l'envoy
Prince, moult fault sçavoir de l'escremie k.
A couchier deux, soit ami ou amie,
277 a Car trop de plais et de dangiers y voy ;
1. divisïer. — 2. clonx.
a. Taquine. — b. Piquer. — c. Cuir. — d. Boucher les trous. —
e. Il entendra. — /. Deux. — g. Etre à son aise. — h. Causer, de-
viser. — i. Frileux. — ,;. Tranquillité. — k. Escrime.
334 BALADES
Robe a tirer toute nuit anuitie *,
35 Sanz reposer : pour ce, quoy que nul die,
En tous temps fait bon couchier a par soy.
MXLIX
Autre Balade
[Allégorie à la vigne.)
Plant de vigne tresrenommée
Qui tant de bon vin porté a
Dont la liqueur est tant amée
Qu'a tousjours parlé en sera,
5 Honnis soit qui vous deffera
Car vous estes de bon raisin
Cueillus c vert, ce vous aidera :
Muez vostre verdeur en vin.
Car je voy que verde vinée
io Sanz viner pou proufitera
A cellui qui a labourée
La vigne, et pour ce ne pourra
Le labour, quant il devera,
Valoir a soy n'a son voisin ;
1 5 Die donc qui vous aymera :
Muez vostre verdeur J en vin.
i . verdour.
a. Couverture. — b. Pendant toute la nuit. — c. Cueilli,
BALADES 335
N'attendez pas la tierce année,
Lors vostre proufis se fera ;
Soiez meur, soit verdure ostée
Et chascuns vous achatera; 20
Vostre vinée vous vauldra,
De vo vigne naistra For fin,
Autrement non ; or y parra :
Muez vostre verdeur en vin.
l'envoy
Prince, despeuille a vert couppée 25
Ne puet tant valoir en la fin
277 b. Gom la meure bien ordonnée :
Muez vostre verdeur en vin.
ML
Autre Balade
(A une dame.)
Le départir et la longue demeure
Et le désir que j'ay de retourner
Font de tourment mon cuer plus noir que meure *,
Ne je ne puis nulle part séjourner
Que je n'aye delez moy c doulz penser 5
Et souvenir qui me bruit a Poreille,
Ramentevant vo doulz viaire d cler
a. Dépouille. - b. Mûre. - c. Près de moy. - d. Visage.
336 BALADES
Ghiere dame qui n'avez vo pareille.
Et lors mon cuer se plaint, gémit et pleure,
10 Quant il ne puet delez vous demourer.
Las ! qu'ay je dit ? Mais tous temps y demeure
Si qu'il n'en puet partir ne dessevrer a.
Le corps est loing, mais le cuer sanz cesser
Est delez vous, qui a vo bonté veille ;
1 5 Or le vueilliez com le vostre garder,
Chiere dame qui n'avez vo pareille.
Quant me souvient de la douçour et l'eure
Du départir, lors me fault endurer
Toute doulour qui au cuer me court seure;
20 Et se ne fust le tresdoulz espérer
Que j'ay en vous, je ne peusse durer.
Car ma langour est sur tous despareille :
Pour long demour ne vous vueilliez muer,
Chiere dame qui n'avez vo pareille.
MLI
Autre Balade
(Amoureuse.)
Je voy d'amours requérir largnteme 277 c.
A mains amans qui ne l'ont desservi.
Et a autres voy cueillir le froument
a. Se séparer.
BALADES 337
Qu'ilz n'ont semé, labouré ne nourri,
5 Et j'ay tous temps, dont j'ay le cuer marri,
Ma dame amé sanz espérer secours,
Et faiz encor ; or ait de moy mercy :
Je l ne requier fors la paille d'amours.
Et si ay je traveillié longuement
10 Et labouré depuis que je la vi
Mainte saison a son commandement,
Et en tous cas gardé son honneur, si
Que je ne craing ami ne ennemi
D'avoir parlé ne riens fait arrebours;
i5 S'a grant pechié, quant pitié n'a de mi :
Je ne requier fors la paille d'amours.
Savez que c'est ? A mon entendement,
Un doulz baisier qui tost est defeni
Et qui s'en va assez legierement
20 Et n'y pert point, si tost qu'il est failli ;
Comme paille s'est tost esvannouy;
On ne puet moins avoir de ses labours :
Le grain vault mieux, or me souffist ainsi :
Je ne requier fort la paille d'amours.
l'envoy
25 Princes, dont puet venir le mouvement
Que cellui jouit qui n'a paine ne plours,
Et je languis ; auray je alegement ?
Je ne requier fors la paille d'amours.
1. Ja.
T. V 2,
338 BALADES
MLII
Autre Balade
(L'Amour est aveugle.)
[277 d P\ont viens tu? — Du Dieu qui sommeille.
L~J — Qui est il? — Ce dois tu sçavoir.
— Je ne le sçay. — Or te conseille.
— Voulentiers. — Je te diray voir :
5 C'est cilz qui me fait concevoir
Dolour, folour, tristesce et joye
Et pas ne me fait recevoir,
Li dieux d'amours qui me desvoye a.
Toute nuit me bruit a l'oreille
10 Et fait mon couraige esmouvoir
D'amer celle qui n'a pareille.
— Comment t'en va ? — Sanz nul espoir
Qu'elle me daingne appercevoir.
Mon complaint ; nez b que pas la voye
1 5 Me deffent ; trop me fait doloir
Li dieux d'amours qui me desvoye.
— De toy me donne grant merveille;
Trop es aisés a décevoir.
— Pour quoy? — Cilz Dieux ne dort ne veille
20 Aveugles est ; pour ce apparoir
Te puet, quant il ne puet veoir,
Que beaux et laiz ensemble loye c.
a. Qui me rend fou. — b. Même. — c. Lie.
BALADES
339
— C'est tout vray, bien a ce pouoir
Li dieux d'amours qui me desvoye.
Chose fait trop plus despareille 2 5
Et sanz vray jugement avoir,
Car le cuer vray qui s'appareille
De bien servir voy main et soir
Rebouter, et le faulx manoir
En grâce, et ainsi se resjoye ; 3o
Par ce m'a mis en desespoir
Ly dieux d'amours qui me desvoye.
Nulz ne le croit qui ne se dueille,
De musart fait toudiz son hoir,
278 a. Combien que foie et saige aqueille, 35
Comme aveugle fait son devoir;
N'y regarde sens ne avoir
Fors volunté, chemin ne voye :
Sanz raison fait tout esmouvoir
Ly dieux d'amours qui me desvoye. 40
l'envoy
Compains, je me pars •, mais qu'il veille *
De plus amer, car foulz seroye
S'en grâce ne fait qui m'aqueiile
Ly dieux d'amours qui me desvoye.
*. Je me départis. — b. Veuille.
340 BALADES
MLIII
Autre Balade
(Sur son êloignement d'une dame qu'il aime.)
Tristes, pensis et merancolieus,
Dolens de cuer, et mornes a toute heure,
Sanz avoir bien, suis des maulx amoureux
Et de penser, qui toudis me court seure ;
5 Désir m'assault, Souvenir me deveure *
Quant le grant bien de ma dame perçoy
Et sa bonté, qui avec moy demeure.
Las ! et de lui si eslongié me voy
Qu'en tous lieux suis du départ dolereux,
10 Ne rien ne puis avoir qui me sequeure
Fors Doulz Espoir : cilz me garde tous seulx;
Mais je craim trop pour ma longue demeure
Qu'Entroublier b a ma dame n'aqueure
Et qu'en son cuer ne mette autre que moy
i5 Qui en fu 1 près en tout bien, ce m'espleure c :
Las ! et de li si eslongié me voy !
Or li suppli qu'elle ait le cuer piteux
Et que le mien qui est plus noir qui meure 276*
Vueille asseurer, si le fera joieux
20 Et mon las corps qui plaint, souspire et pleure,
I. fut
a. Dévore. — b. Oubli. — c. Je suis éploré.
BALADES 341
Aura confort, ou il faut qu'il dequeure *,
Martirs d'amours, en l'amoureuse loy
Du doulx conjoy fu liez, mais ce m'aqueure b :
Las ! et de li si eslongié me voy !
MLIV
Chançon Baladée.
{Amoureuse.)
Je n'ay leesce ne confort,
Je n'ay joye n'esbatement,
Je n^y fors tristesce et tourment
Et espoir de tout desconfort,
Je languis dolereusement. 5
J'ay le cuer plus noir qu'errement c,
J'ay toute fortune a effort,
Je voy par tout desloyaument
Amour changier et faussement,
Sanz amis et sanz reconfort, 10
Je voy Droit faindre et jugier Tort,
Qui ay servi tresloyaument
Ma dame, qui présentement
Me het et désire l ma mort ;
Je n'ay leesce ne confort. 1 5
1. desioie
a. Découre, décline. — b. Me tue. — c Encre.
342 BALADES
Fortune, debonnairement
M'enyvras, au commencement,
De l'amour qui me print trop fort
Sanz regarder ton changement ;
20 Puis m'as tourné soudainement
Ta roe, et mené a dur port,
Fait sentir ton dolereux sort
Et plus de mal en un moment
Que je n'ay eu de joye en cent.
25 Cesse donc sur moy ton effort ;
Je n7ay leesce ne confort. 278 c
Et puisqu'Amour rcfa telement
Navré, par toy le jugement
Requier au Dieu d'Amours qui dort :
3o Se je languiray longuement,
Ou se j'auray alegement,
Ou se le mauvais qui se tort
Joira de m'amour sanz ressort;
Car se Toy amoureusement,
35 Comme je voy communément,
Amour et Loyauté m'ont mort :
Je n'ay leesce ne confort.
BALADES 343
MLV
Autre Chançon Baladée.
[Sur les mœurs du temps présent.)
Advisez tuit a ma dolour,
Advisez mon dueil et mon plour,
Advisez ma dure langour.
Car il fut un temps que je vy
Honeur, leesce, amour aussi, 5
Loyaulté, bonne compaignie,
Et ceuls qui orent bien servi,
Estre honourez et remeri a
Ou fait de l'amoureuse vie;
Lors regnoit secret et cremour I, 1 o
Justice, loy, pité, douçour,
Joustes, festes, voyage, glay c,
Mais au jour d'uy ne court qu'esmay,
Menterie, ordure et tristour.
Advisez tuit a ma dolour ! 1 5
Avarice a les cuers ravi
Et foie plaisance avec lui
2j8 d En Testât de chevalerie,
Les cuers des clers enseveli
Es péchiez du peuple autressi, 20
Car toute vertu se varie;
On n^ime nul qui vueille honour,
a. Récompensés. — b, Crainte. — c. Réjouissance.
344 BALADES
En haine est changée amour,
Rémunération ne sçay,
25 Les mauves qui font le hahay
Gouvernent chascuns a son tour.
Advisez tuit a ma dolour!
Nulz n'a ce qu'il a desservi *,
Bons le bien, li mauvais pugni
3o Ne sont, tout va par flaterie;
Saiges ne sera point oy
Ne nul prodomme conjoy;
Baras couvers et tricherie
Et menteur régnent nuit et jour,
35 En ce monde font leur séjour.
Je muir de deuil, las! que feray?
Vengence a Dieu demanderay,
Et se vous n'y sçavez meillour,
Advisez tuit a ma dolour.
MLVI
Balade.
{Dialogue entre la tête et le corps.)
Malade suy, dist le chief a son corps,
Tant que ne sçay que je devenir doye.
— C'est a bon droit, vous avez bouté hors
Les droiz membres dont je vous soustenoie,
D'estranges mains aidier ne vous pourroye,
a. Servi.
BALADES 345
Ce dist le corps, car vous m'avez osté
Jambes et bras et le destre costé
Et m'avez joint membres d'autre paraige
Qui m'ont destruit et a vous la santé.
— Corps, doulz amis, dy moy donc que feray ge ? 1 o
— Je le diray pour vous estre ressors a. 2jg a
Se je di voir, pour Dieu, ne vous anoye b :
Estranges piez sont comme chiens et pors
Qui ne servent fort de happer leur proye,
Les mains aussi, pour quoy leceleroie? i5
Ce qu'ilz happent est ou fiens bouté,
S'en est le corps et le chief affolé,
Ne jamais jour ne feront vasselaige,
Fors que ventre est et le chief désolé.
— Corps, doulz amis, dy moy donc que ferai ge? 20
— Vous delairez ces membres vilz et ors,
Et me lairez les membres que j'avoye
Naturelment, c'est vostre drois trésors,
Conjoins a vous et a dueil et a joye ;
Ne vous faurront ne que je vous faurroye c, 25
C'est vostre sang conjoint en unité,
Partans d au bien et a la maleurté *,
Car au chief sont les membres de linaige *;
Ouvrez / par eulx ou vous serez gasté.
— Corps, doulz amis, dy moy donc que ferai ge? 3o
l'envoy
Chief, je conclu aliance, amisté,
1. maleureté.
a. Pour vous relever. — b. Que cela ne vous ennifye pas si je dis
la vérité. — c. Ils ne vous manqueront pas plus que je ne vous man-
querai. — d. Prenant part. — e. De parenté. — Travaillez.
346
BALADES
A voz membres, et que l'extrémité
D'autres boyaulx ne changent vo couraige ;
Ainsis serez garis et respassé at
35 Autrement non. — Ce dolent mot cessé,
Corps, doulz amis, dy moy donc que ferai ge?
E
MLVII
Autre Balade.
(Allégorie.)
n un pais plain de soûlas 27g b
Dont Jeunesce tenoit la voye,
Vy chevauchier le petit pas
Espérance, Leesce et Joye
5 Qui cuident que nulz ne les voye.
La avoit pastours et tropeaulx
De jeusnes brebis et d aingneaulx,
Mais je regarday entre deux
Un qui crioit aux pastoureaulx :
I0 « Gardez vos brebis pour les leux. »
La venoient, selon le bas,
Ainsi comme pour prandre proye
Prière, Faintise et Baras,
Volunté tuit a sa courroye,
1 5 Et chascun d'eulx, en las de soye,
a. Relevé.
BALADES 347
Trois renars et .1111. louveaulx
Pour descoupler, crians a eaulx.
La prindrent .vr. brebis entr'eulx ;
Je ne sçay qu'ilz firent des peaulx :
Gardez vos brebis pour les leux. 20
Hz mistrent en divers estas
Leur forme et leur pel toutesvoie.
« Advisez y pour les debas, »
Dist Dangier, c garder ne sçaroie
« Des loups privez si jeusne proie, 25
« Qui boutent leurs piez es aigneaulx
« Ne de ces jeusnes renardiaulx
* Qui cheminent par nuit tous seulx.
« Pour Dieu, de ces chaceurs nouveaulx
« Gardez voz brebis pour les leux. » 3o
i/envoy
27g c Pastours, je vous conseilleroie,
Afin que beste ne desvoie *,
D'estre jour et nuit bien près d'eulx;
Sanz garde aler ne les lairoie
Pour telz chaceurs dont je marvoie b. 35
Gardez vos brebis pour les leux.
a. Ne se perde. — b. Je perds le sens.
348 BALADES
L
MLVIII
Balade.
(Sur les vices du temps.)
e temps vendra. — Quelz? — Ne sçay, — Il me tan
— En bien ? — Il est, Dieux vueille, en amendan
Mais je voy po qui bien y prangne garde,
Car tout se va par orgueil corrumpant
5 Si que chascun va le mal occupant
Sanz advenir a que vengence soudaine
Réserva Dieux sur créature humaine.
Or ne veult nulz a ces poins regarder
Dont grant doleur sera briefment prochaine :
10 Or se gart donc qui s'ara a garder.
Car le temps vient, ou il fault bonne garde,
Qu'estre ne doit a nul homme tardant.
En bien voy po homme qui se regarde,
Il est ainsi, tout se va triboulant;
i5 En amendant n'a point d'amendement,
Car chascun fait toute chose villaine,
Prandre, ravir, laissier la vie saine
Pour les péchiez que l'en dust rebouter;
S'en ensuira mort, pestilence et paine :
20 Or se gart donc qui s'ara a garder.
Venimeuse est la queue de lisarde b
a. Faire attention. — b. Lézard.
BALADES 349
Pour son venin qu'elle y va tapissant a,
Si est la fin du pécheur qui se farde b
Des grans péchiez ou va persévérant,
270 d Car Tire Dieu le happe et le sousprant; 2 5
En grant péril Famé et le corps en maine.
Crions merci la vertu souveraine,
Amendons nous pour ces tourmens oster,
Ou nous perdrons terre, vie et demaine :
Or se gart donc qui s'ara ■ a garder. 3o
i/envoy
Prince, pou voy qui aime Dieu ne craingne,
N'a qui de mort ne d'exemple souviengne
Fors que toudis en mal persévérer,
Sanz repentir ne justice avoir plaine ;
Pour se faurra c la puissance mondaine : 35
Or se gart donc qui s'ara ■ a garder.
1. saura.
a. Cachant. — b. Charge. — • c. Par cela manquera la puissance.
350 BALADES
MLIX
Autre Balade \
[Préparatifs pour passer en Angleterre.)
[1386-1387.]
Le lion fist jadis son mandement
De cerfs, de loups, d'alans a et de lévriers
Qui furent sus assez soudainement;
Et lors leur dist qu'il passast voluntiers
5 Sur le liepart, mais trop de lymonniers b
Qui furent la, chevaulx et mainte mule
Vi reculer et tenir les sentiers
D'escrevice, qui en alant recule.
Li cerfs disoit : « Je me merveil comment
10 « L'en passera, car l'iver est trop fiers c. »
Li loups respont tresperileusement :
« Courront vaisseaulx, venssonten leurs dangiers.»
Li alans brait : « Ou sera no mangiers? »
Et li chiens dit : « Sergent n'ay, on m'acule.
1 5 « L'usaige fault que je praingne premiers
« D'escrevice, qui en alant recule. »
L'autre bestail aloit fort murmurant, 280 a
Qui requistrent vaisseauls, vivres, deniers,
Mais, pour leur plait, ne cheval ne jument
20 Ne passeront ne au quart ne au tiers.
* Publiée par Tarbé, tome I, p. go.
a. Chiens courants. — b. Chevaux de timon. — c. Rude.
BALADES 35 I
Le lion dist : « Nostre fait est entiers,
« Passe qui veult, je n'y faiz doubte nule :
« Je passeray, sanz estre coustumiers
• D'escrevice, qui en alant recule. »
I/ENVOY
Noble lyon, pourvoiez vostre gent, 25
Vivres, vaisseauis qu'ilz l aient sanz scrupule;
N'aiez le nom, par le default d'argent,
D'escrevice, qui en alant recule.
MLX
Autre Balade *.
[Même sujet.)
[r386-i387.]
Avant! avant! tirez vous ça!
Je voy merveilles, ce me semble.
— Et quoy? Guette «, que vois tu la?
— Je voy .xm. ras ensemble
Et mainte souris qui s'assemble
Dessus la rive de la mer
Pour nagier par dessus un tramble,
Mais de paour les voy trambler.
* Publiée par Tarbé, tome I, p. g/.
i. qu'ilz manque.
a. Sentinelle.
352 BALADES
« Certes ilz n'y passeront ja, »
10 Dist uns homs qui villains ressemble,
« L'un des ras m'avoine manga
« Et les souris m'ont mat en l'angle ;
« Il n'y a pais ne triangle
« Qu'ilz n'aient tout fait affamer;
i5 « Hardiz sont, chascuns pille ou emble :
« Mais de paour les voy trambler. »
— Or dy, pour quoy n'en passera 280 b
Aucun d'eulx? — N'en vois tu l'exemple?
Leur commun vaisseaulx vivres n'a,
20 L'yver est grant, la mer est ample,
Les vens sont grief, maint se dessemble
Qui ne quiert que le retourner;
L'un d'un lez a, puis de l'autre branle,
Mais de paour les voy trambler.
l'envoy
2 5 Princes, la guette s'escria :
« Qui les pourra faire passer,
« Grant bien pour le peuple fera. »
Mais de paour les voy trambler.
a. Côté.
BALADES 353
MLXI
Autre Balade.
(Sur le jeu de quilles.)
Un joueur fut qui tant joua
A .vi. quilles, au parc cornu,
Contre un autre qui pou rua
Que d'argent et d'avis fut nu;
Et quant il lui est souvenu 5
Qu'il n'avoit mais ne croix ne pille,
Au derrain a grant gieu tenu,
En disant : « A ce coup la quille ! »
Chaudement son gieu commença :
Ou premier parc a abatu, 10
Mais quant vint au passer delà,
Son gieu lui fut moult debatu
Pour le grant péril qui y fu
De hasart, lors du baston quille a
Tant qu'a pou qu'il n'a tout perdu i5
En disant : « A ce coup la quille ! »
80 c Onques pour ce ne désista *,
En derrain parc s'est embatu :
Ses quilles toutes y getta,
Mais il n'a pas tant de vertu 20
Pour le vent qui a la couru
Qu'il puist sçavoir comment il bille :
Lors rue et fiert comme esperdu,
En disant : « A ce coup la quille ! »
a. Joue. — b. Ne cessa.
T. V a3
354 BALADES
L ENVOY
25 Princes, ne scet qui n'a sentu
Le gieu de Fortune et sa bille a
Jusqu'à tant qu'il s'en sent féru
En disant : « A ce coup la quille ! »
MLXII
Balade
(Il faut toujours mentir.)
Qui me sçaroit des ars mondains aprendre
Li quieulx b vault mieulx, ou science ou la-
Estre seigneur et le peuple deffendre, [bours>
Juge, maçon, muyaux, aveugle l ou sours,
5 Ou grant amasseur d'argent,
Ou dire voir des vices de la gent,
Ou de mentir pour sa besongne faire,
Si m'en die, pour Dieu, ce qu'il en sent.
— Ment donc toudis et le voir vueilles taire.
io A labourer ne te chaille d'entendre ;
Estre seigneur au monde est grans honours
Quant le labeur puet de ses subgiez prendre,
Mais le péril de la deffense est lours,
i. aveugles.
a. Bâton. — b. Lequel.
BALADES 355
Et quant il est négligent,
Il fait et lui et son peuple indigent i5
Et ne lui puet le parler de ce plaire ;
280 d Vérité net; pour ce, a mon jugement,
Ment donc toudis et le voir vueilles taire.
Justice avoir ne garder entreprandre
Est grant péril, et édifier tours, 20
Science aussi est au jour d'ui la mendre
Qui jadis fut es plus vaillans seignours ;
Non vir, n'oir a vraiement
Et non parler, se l'en ne scet comment,
Est uns granz sens, mais qui scet argent traire 25
De quelque part est meilleur en mentent :
Ment donc toudis et le voir vueilles taire.
l'envoy
— Prince, Ysangrin voult de Renart aprandre,
En Ysopet, ce qu^y voulu retraire ;
Renart lui dist : a Se riches te veuls rendre, 3o
Ment donc ' toudis et le voir vueilles taire. »
t. donc manque,
a. Ne pas voir, ne pas entendre.
356 BALADES
MLXIII
Autre Balade *.
{Deschamps renonce à corriger les gens.)
Vint ans a que je ne cessay
Des vices blasmer et d'escripre
Les vertus, mais je m'en tairay,
Car tousjours devient chascun pire ;
5 Alez tuit du règne en l'empire a
S'autrement faire ne voulez,
Vous ferez bien le diable rire :
Faittes du pis que vous pouez.
Désormais me deporteray
i o De plus estudier ne lire,
Et voz euvres regarderay,
L'avarice, l'orgueil et l'ire,
La traison et le martire
Que l'un a l'autre pourchacez ; 281 a
1 5 Tolez b, bâtez, plus n'en puis dire :
Faittes du pis que vous pouez.
Persévérez, puis que je sçay
Qu'autrement ne vous veult souffire,
Mettez tout le monde en esmay,
20 Vueillez tout honnour contredire
Si que la fin se puist eslire
♦ Publié par Tarbé, tome II, page 29 .
a. Jeu de mots. — b. Volez.
BALADES 357
De ce monde, que vous querez
Pour enfer, ou un chascun tire :
Faittes du pis que vous pouez.
l'envoy
Prince, plus ne vueil contredire 25
Aux gens mondains leurs voluntez,
Mais pour plus avoir de martire
Faittes du pis que vous pouez.
MLXIV
Autre Balade
{Amoureuse.)
Trop m'est changiez li temps et la manière
Depuis le jour que je me départi
De vo douçour, tresdouce dame chiere,
Car onques puis je n'os a joyeux parti.
Pour mon départ ainçois suy départi b 5
De griefs pensées et de divers dolours ;
Las! bonne amour, je muir, mais c'est party c
Que mon cuer noyé en larmes et en plours.
Car chascun jour suis en une rivière
Ou onques homs tel doleur ne senti 10
Comme je fais, car l'eaue en est trop fiere;
La m'y plungent my mortel ennemi,
Dangier, Refus, Desespoir, Paour, si
a. Je n'eus, — b. Déchiré. — c. Parti pris.
358 BALADES
Que noier craing, ne je n'ay nul secours :
i5 Or aiez donc, dame, pitié l de mi, 281b
Que mon cuer noyé en larmes et en plours.
Ne m'oubliez, si de vous suy arrière,
Car le départ est contre moy parti,
Honeur l'a fait, je vois soubz sa bannière a,
20 Et vous estes si acointes de lui b
Que vous devez advouer vostre ami,
Moi, qui le sers sanz laissier voz amours :
S'autrement va, en languissant vous di
Que mon cuer noyé en larmes et en plours.
l'envoy
25 Tresdouce dame, aiez de moy merci,
Car vous estes ma joie et mes recours;
Souviengne vous de quel mal je langui,
Que mon cuer noyé en larmes et en plours.
MLXV
Autre Balade.
[Mendiant d? Amour.)
Donnez au povre langoreux
Une aulne de vo 2 doulz octroy
En l'onneur du dieu amoureux,
1. de pitié. — 2. vo manque.
a. Je vais sous sa bannière. — b. Si liée avec lui.
BALADES 359
Humble dame, regardez moy
En pité, car d'amours marvoy a. 5
J'ay pour li mainte angoisse traitte.
— Certes, amis, je n'ay de quoy :
Alez a Dieu, Taumosne est faicte.
— Helas ! dame, je suis tous seulx,
Tourmentez si qu'a paine voy. 10
Donnez moy un regart ou deux
De voz doulz oeulx, car bien perçoy
Que la grant faim et la grant soy b
Que j'ay d'amours sera retraitte.
281 c — Fuiez, trop me chargiez d'annoy, i5
Alez a Dieu, l'aumosne est faicte.
— Chetis, las! Aiez cuer piteux,
Au moins me touchiez de vo doy,
Si en seray moins dolereux ;
Povres en l'amoureuse loy 20
N'en ponrroit moins querre, ce croy.
— Vous dittes voir, cuer qui s'endebte
Doit paier, ailleurs m'amour doy :
Alez a Dieu, l'aumosne est faicte.
l'envoy
25 — Hé ! Dieu d'Amours, d'amer recroy c,
Quant Charité voy si defTaitte
Que chascune dit endroit soy :
« Alez a Dieu, l'aumosne est faicte. »
a. Je perds la raison. — b. Soif. — c. Je me rebute.
3Ô0 BALADES
MLXVI
Balade
(Le monde ne se corrige pas.)
Homme ne puis chascun jour encontrer
Qui ne die : « Scés tu riens de nouvel? »
Je di que non, et le puis bien prouver,
Car je ne voy bien, soûlas a ne revel *,
5 Joie, déduit, ne riens qui me soit bel,
Largesce, honeur, bonne vertu qui soit
Dont l'en feist la pierre d'un annel :
Le temps toudis m'est tel comme il souloit.
Je ne le voy onques jour admender,
10 Mais voy Regnart toudis dedenz sa pel,
Je voy les loups les brebis estrangler,
Et les grans chiens envieux sanz rapel
Qui o les loups assaillent leur tropel;
La layne fault de quoy l'en se vestoit ;
i5 Pour escorchier voy tout prest le coutel :
Le temps toudis m'est tel comme il souloit. 281 d
Onques ne vi grant justice régner,
Mais j'ay veu, et par dessus la pel
Du povre homme, pluseurs gens atempter,
20 Au foible oster par le fort son morsel;
L'un courre sus, ainsis comme un pourcel,
Et le tuer si tost qu'il en parloit.
a. Consolation. — b. Divertissement, badinage.
BALADES 36 I
Les vices voy par tout a plain tonnel :
Le temps toudis m'est tel ' comme il souloit.
l'envoy
Beaus doulz seigneurs, or me lessiez ester, 25
N'enquerez plus, chascuns tous ces poins voit,
Car quant a moy, sanz trop plus declarrer :
Le temps toudis m'est tel 'comme il souloit.
MLXVII
Autre Balade.
(Récit d'une aventure galante.)
Dont venez vous ? Ou fustes vous er soir ? a
— Et tu ? Dont viens a ceste matinée ?
— Que t'en est il b7 — Il le me fault sçavroir.
— Je ne finay hier toute la journée.
— De quoy faire? — D'avoir une espousée. 5
Bon sain portoit, gros con et grosses fesses;
.xiiii. fois lui bâti sa pouppée,
Tant qu'elle dist : « Fuy de cy, tu me blesces. »
— Pandus soit il qui n'en dira le voir !
— Ainsi soit il. — Ou fut elle trouvée? io
— En un marchié, sur le tart qu'il fist noir,
i. telz.
a. Hier au soir. — b. Que t'importe?
362 BALADES
Et quant je l'os en ma chambre admenée
Ou il n'avoit fors nous .11. ame née,
Jus la gettay, mais ses cons avoit tresces :
i5 Esbahis fu, par la l'ay atrappée
Tant qu'elle dist : « Fuy de cy , tu me blesces. ^282 a
Adonc me mis en ce * point de sçavoir
Qui tel hure lui avoit eslevée :
Elle me dist que la guise a pour voir
20 De faire ainsis estoit en la contrée,
Et que sanz poil seroit trop diffamée.
Par entre deux me mis lors es adresces;
De moy fut bien celle nuit tabourée
Tant qu'elle dist : 0 Fuy de cy, tu me blesces. »
MLXVIIl
Balade.
(Injures.)
Dieux gart! — Nient, Dieux vous confonde!
Dieux vous mette en maie sepmaine !
— Mais vous, mais vostre belle blonde!
— Mais vostre manière villaine !
— Mais cellui qui vous porte et maine !
— Mais la bouche qui le voult dire !
— Mais vostre corps vestu de laine!
— Mais vous qui me cuidez maudire !
1 . ce manque
a. La mode.
BALADES 363
— Mais toy en qui tout mal habonde !
— Mais tu, carongne et orde taingne ! 10
— Mais toy, noire queue d'aronde !
— Mais toy, tresorde vuaritaine !
— Mais toy, pance de fiens plaine!
— Mais toy, de tous mauvais le pire,
Dieux te mette en fièvre quartaine! i5
— Mais vous qui me cuidez maudire !
— L'en te puist tuer d'une fonde !
— Mais la sanglante mort te prangne !
— Mais ton corps en la terre fonde
Qui puist mourir de mort villaine ! 20
— Mais d'un gibet soit ton estraine!
282 b — Mais ton chief coppé par martire !
— Mais toute maleurté te vaingne!
• — Mais vous qui me cuidez maudire !
l'envoy
Princes, qui dit chose villaine, 25
En maudisant, se fait despire
Et respont l'en a haulte alaine;
a Mais vous qui me cuidez maudire! »
364 BALADES
MLXIX
Autre Balade.
(Heureux qui est aveugle, muet et sourd.)
Donnez au povre qui ne voit,
Au muyau qui ne puet parler,
Donnez au sourt qui goûte n'oit a,
Qui ne puet riens fors demander;
5 Son mestier est de truander.
Est il homme qui bien lui face?
Lors lui respont uns qui oit cler b :
« Nostre Sire t'a fait grant grâce !
« Tu as .m. poins que chascuns doit
10 a Avoir, qui veult le sien garder :
« Dieux en ce monde te pourvoit.
« Mauves mot n'y puez escouter,
« Mal veoir ne riens rapporter
« Dont ta chevance se defface,
1 5 « Ne tu n'y doiz riens convoiter :
a Nostre Sire fa fait grant grâce.
« Car maint par veoir se deçoipt,
« Par oir se puet homs troubler,
« Et en parlant de qui que soit
20 « Se puet destruire et affoler,
« Perdre corps, chevance laissier;
« Dieux ces trois poins en toy efface,
a. Qui n'entend goûte. — b. Qui entend bien.
BALADES 365
« Gracy loy a, va t'en hosteler *;
282 c « Nostre Sire t'a fait grant grâce ! »
I/ENVOY
Prince, ainsi me voult refuser 2 5
Sanz vouloir que plus demandasse
Cilz qui dist pour moy conforter :
t Nostre Sire t'a fait grant grâce! »
MLXX
Balade ¥.
(Des moyens de parvenir à la cour.)
Apprenez moy comment j'aray estât
Soudainement, dame, je vous en prie,
Et en quel lieu je trouveray bon plat
Pour gourmander et mener glote vie c.
— Je le t'octroy; traison et envie 5
Te fault sçavoir, ceuls te mettront avant;
Mentir, flater, parler de lecherie d :
Va a la court, et en use souvent.
Pigne toy bel e, ton chaperon abat,
Soies vestus de robe tresjolie, 10
• Publiée par Crapelet, page 106.
a. Remercie-le. — b. Rentre chez toi. — - c. Gloutonne. — d.
Débauche, libertinage. — e. Peigne-toi bien.
366 BALADES
Fourre toy bien, quoy qu'il soit de l'achat,
Tien toy brodé d'or et de pierrerie,
Ment largement afin que chascuns rie,
Promet assez et tien po de convent a ;
i5 Fay tous ces poins, ne te chaille qu'om die :
Va a la court et en use souvent.
A maint l'ay veu faire qui s'i embat,
Soy acointier de l'eschançonnerie,
Jouer aux dez tant qu'il gaingne ou soit mat;
20 Qu'il jure fort, qu'il maugrie et regnie,
Et lors sera de la droitte mesgnie.
Fay donc ainsis, met toy tousjours devant,
Pour avoir nom, tous ces vices n'oublie :
Va a la court et en use souvent.
l'envoy
25 Princes, bien doy remercier Folie 282 d
Qui m'a aprins ce beau gouvernement
Et qui m'a dit : « A ces poins estudie,
« Va a la court et en use souvent. »
a. Promesse.
G
BALADES 367
MLXXI
(Questions et réponses.)
Question
ens qui ne partent d'une place
Sanz chevauls avoir ne despense
Fors sanz plus que l d'emplir leur pense,
Ont d'amasser temps et espace.
RESPONCE
Vous dittes voir, qui bien y pense;
Gaiges ont grans : en po d'espace
De temps font grant trésor en mace,
Mais tel trésor est en balance.
QUESTION
Ceuls qui cuident estre plus saiges
10 Et qui soustiennent divers cas
Pour l'argent, com les advocas
Se déçoivent par leurs oultraiges.
RESPONCE
Ou la paix est mettent debas
Pour l'argent, telz est leurs usaiges ;
i5 Mais li tiers hoirs 2 en leurs linaiges
Du mal acquis n'eritent pas.
QUESTION
Aucuns clers, il a ja long temps
Ont mis sus la chevalerie
Tous maulx, tous vices, tous contemps,
20 En donnant la gloire a clergie.
RESPONCE
Maint sont clers ou n'a que folie,
1. que manque. — 2. homs
368 BALADES
Car sanz sçavoir sont hors du sens,
Si se puet l'en bien chevir sans
Telz clers, ou science n'est mie. 283 a
QUESTION
25 Comment ont les mauvais le temps
Occupé si longue saison,
Ravi les biens contre raison,
Destruit le monde et povres gens?
RESPONSE
Tu verras en fin leur maison,
3o Leurs corps, leurs femmes, leurs enfans
Destruis, pour leurs péchiez nuisans,
Si ne doit nulz estre mais hom a.
QUESTION
Quant seront les bons exaucez,
Et quant aront ilz congnolssance?
35 Quant aront les saiges puissance,
Quant seront ilz guerredonnez *?
RESPONSE
Ce sera brief, le temps s'advance
Que les mauvais seront ostez
D'entre les bons ; or attendez,
40 Si verrez de Dieu la vengence.
QUESTION
Nuls ne veult mettre règle en li
Ne croire que mal lui avaingne
Jusqu'à temps qu'où péril se baingne
Et qu'il s'i voit enseveli.
RESPONSE
45 Fouis est congnus a tele ensaingne :
Jusqu'il prant c ne craint l'ennemi,
Pour ce ne treuve nul ami
a. Mauvais homme. — b. Récompensés. — c. Jusqu'à ce qu'il
reçoive des coups.
BALADES 369
En sa dolour, ne qui le plaingne.
QUESTION
Qui d'autrui mal se glorifie
Qui ne lui resgarde ne touche, 5o
2 83 b Tele gloire son mal approuche,
Car ce n'est que mauvaise envie.
RESPONSE
Cilz qui voit le feu en sa bouche
Doit doubter des dens en partie
Qu'ilz n'ardent; ne s'assurent mie 55
Toit sanz feu, s'a l'ardent n'atouche.
QUESTION
Comment pourront cesser les maulx
Tant que les fortunes n'aviengnent
Qui toutes les vertus estaingnent
Des petis jusques au plus hauls ? 60
RESPONSE
Il convient qu'ilz plourent et plaingnent
Leurs grans péchiez et leurs defaulx
Envers Dieu, sanz plus estre faulx,
Et que leurs grans orgueilz restraingnent.
QUESTION
Le temps est que de la parole 65
Du povre, tant soit véritable,
Se moquent maint et en font fable ;
Qui povres est, on le rigole.
RESPONSE
Voire, mais se riche parole,
Il a la voix si agréable 70
Que l'en tient sa mensonge estable.
Ceste conclusion est foie.
T.
24
370 BALADES
A'
MLXXII
Balade Morale.
(Le monde doit bientôt finir,)
dam, Noé, Abraham et Davit
Et en après la transmigracion,
L'advenement du fils Dieu, Jhesu Crist,
Le temps des ans de s^ncarnacion
5 Jusques a cy, et la mutacion 283 c
Qui a esté en quatorze cens ans,
Entre un chascun de ces aages coulans,
Nous monstrent bien par vraie expérience
Que nous sommes de la fin approuchans,
10 Et si n'est nul qui en ait congnoissance.
Par Levitique nous est encore descript,
Pour noz péchiez, no grant destruction,
Quant nous ferons contre loy et l'edict
De Dieu qui fist nostre creacion,
i5 Et si avons l'adnonciacion
Aux pastouriaulx, d'angels a eulx parlans,
Gloire au treshault et aux hommes donnans
Paix en terre, par tele convenance
Que volunté eussent bonne; ainsi prans,
20 Et si n'est nul qui en ait congnoissance.
Joingnons ces poins et ce qui en est dit,
Si trouverons, selon m'entencion,
Considéré que tuit font contredit
A la loy Dieu, que variacion
BALADES 371
Du cours du monde et renovacion 25
Se fera brief, car cilz aages dolans
Est en pechié et mal perseverans,
Qu'en bon vouloir n'a homme sa plaisance,
Dont paix avoir nous est Dieux deveans a,
Et si n'est nul qui en ait congnoissance. 3o
l'envoy
Prince, chascun quiert singulier profit
Et le commun b a chascun en despit,
En convoitant terres, or et finance,
Qui destruisent le corps et Tesperit
Dont au jour d'ui voit on que tout périt, i5
283 d Et si îVest nul qui en ait congnoissance.
MLXX1II
Balade.
(Même sujet.)
Je voy Vengence a tout s'espée
Et Fortune qui fait muer
Maint royaume et mainte contrée
Par trop es maulx persévérer,
Pugnir, destruire et tourmenter
L'un en l'autre, par cas soudain.
Li Troyen et li Rommain
a. Refusant. — b. Le bien commun.
372 BALADES
Furent par leur orgueil destruit,
Babilonien, li Commain :
10 Or y pensons toutes et tuit.
Vertu est reposte a et celée,
Amour n'a lieu pour demourer,
Vérité fault, Justice vée b
A Raison loy exécuter,
i5 Nulz ne veult Honour hosteler c;
Charité muert, dont je me plain.
Qui régnent? Tuit vice villain,
Car tous grans pécheurs sont en bruit d\
L/espée de Vengence craim :
20 Or y pensons toutes et tuit.
La terre est pour ce advironnée
En l'air, en Teaue et en la mer,
D'ennemis qui font la meslée
Pour les granz pécheurs assembler.
25 Perseverans par guerre oultrer
Les ferra Dieux e, et de leur main
S'entreturront a jour certain
Pour leur pechié qui trop les nuit
Si tost comme d'ui a demain :
3o Or y pensons toutes et tuit.
l'envoy
Prince, la loy Dieu n'est doubtée ; 284 a
No foy est en deux divisée,
Maulx régnent de jour et de nuit;
Gomment nous seroit paix donnée?
35 Sur nous vient la dure journée :
Or y pensons toutes et tuit.
a. Cachée. — b. Défend, refuse. — c. Héberger. — d. En hon-
neur. — e. Dieu les frappera.
BALADES 373
MLXXIV
Autre Balade.
[Que la paix soit rendue au monde et à l'Église,)
O1 Charité, Pité, Miséricorde,
Amour de Dieu, alez au parlement a,
Montrez aux roys qu^lz ne croient Discorde
Qui a voulu guerre trop longuement
Pour terre avoir, qu'om pert en un moment; 5
Faittes oster du conseil Convoitise
Qui a honni tout anciennement :
Reformez paix au monde et en l'Eglise.
Dittes leur bien ce que Dieux d'eulx recorde b
Pour leurs péchiez, et du peuple ensement, 10
Et pour l'orgueil, la vie laide et orde c
Que chascun veult mener generalment
Sanz craindre Dieu, la paine et le tourment
Qui vient sur eulx, mais nul ne s'i advise :
Pour eschiver d'iceulx le dampnement, i5
Reformez paix au monde et en l'Eglise;
Ou autrement loy divine s'acorde
Que Vengence vendra soudainement
A tout son arc, son espée et sa corde,
Qui des pécheurs fera le vengement, 20
En un conflict, si merveilleusement
Que du monde yert la pugnicion prinse.
1 . O manque.
a. A l'entrevue. — b. Témoigne.— c. Sale.
374 BALADES
Pour ces dames vous pri piteusement :
Reformez paix au monde et en l'Eglise.
l'envoy
25 Prince mondain, qu'avez gouvernement ', 284b
Terres, pays, royaumes, tenement,
La grâce Dieu en ce cas vous souffise :
Ne querez plus le desheritement
L'un sur l'autre, mais, pour vo sauvement,
3o Reformez paix au monde et en l'Eglise.
MLXXV
Autre Balade.
(Danger d'une révolution prochaine.)
p
ireschier de Dieu ne les vices blasmer,
Monstrer les maulx qui puelent advenir
Par le default de le craindre et amer,
Pour exemples dont il puist souvenir,
5 Lesquelz Pen voit de jour en jour venir,
Ne se veult nulz de ses péchiez refraindre,
Ne Pire Dieu ne sa vengence craindre,
Mais va chascun en mal persévérant,
De pis en pis, contre loy et sanz faindre,
10 Dont grant doleur vendra prochainement.
1. qui avez le gouvernement.
BALADES 375
Car l'en ne veult aux vertus encliner,
Garder la loy n'a raison obéir,
Fors a orgueil, et soy desordonner
A maugrier, parjurer et trahir,
Contens a mouvoir et l'un l'autre hair, i5
Mauvais lever è, les prodommes estaindre,
Trop convoitier et charité restraindre,
Pechié de char faire publiquement,
Soy en tous maulx et ordures empaindre c,
Dont grant doleur vendra prouchainement. 20
Si feroit bon de sa vie amender,
Faire le bien et du mal abstenir
Tant qu'om peust soy a Dieu racorder ;
Foulz ne doubte jusqu'il se voit ferir,
Ne pas ne croy que nul cuide mourir, 25
Mais si fera; mais paour me fait taindre d.
284 c Telz fist le grant qui puis devint le maindre ;
Ayons paour du divin jugement.
Le monde voy de tous péchiez ensaindre *
Dont grant doleur vendra prouchainement. 3o
l'envoy
Princes, vueilliez a ces poins regarder,
Honourer Dieu et P Eglise garder,
Et un chascun face semblablement,
Prandre vertus, les vices rebouter,
Ou nous arons jugement trop amer 35
Dont grant dolour vendra prouchainement.
a. Querelles. — b. Elever. — c. Se jeter, se précipiter. —
d. Changer de couleur, pâlir. -^ e. Etre plein.
376 BALADES
C
MLXXVI
Balade
(Devoirs des bons serviteurs.)
euls qui aiment leur naturel seigneur
Ou qui servent autrui com mercenaire
Doivent amer leur bien et leur honeur
Et eulx garder en tous cas de meffaire,
5 Et devant eulx monstrer tel exemplaire
Qu'om ne les puist de leur vice reprandre
Et qu'om ne puist exemple de mal prandre
En leur estât, en parole n'en fait.
Telz se doivent tous bons serviteurs rendre :
10 Saiges est cilz qui tel service fait.
Promesse, don, convoitise, faveur,
Ne doivent nul esmouvoir au contraire,
Car puis qu'il sent dommaige et deshoneur
Qui puet venir par un cas voluntaire
i5 A son seigneur, de ce le 1 doit retraire a
Et lui 2 monstrer qu'a ce ne doit entendre;
De l'en oster doit a toute fins tendre,
Qu'il ne soit veus consentans son meffait
Ne pour avoir bon renom s'ame 3 vendre :
20 Saiges est cilz qui tel service fait. 284 d
Car ainsis puet retraire de foleur
Le bon servent son seigneur, et attraire b
1. lui.— 2. lui manque. — 3. name.
a. Détourner. — b. Attirer.
BALADES 377
A Dieu amer, par voir dire et cremeur ",
Non consentir pechié nul pour lui plaire ;
Mais pluseurs font au jour d'uy le contraire, 25
Qui consentent le pechié et mesprandre b
A leur seigneur pour decepvoir et prandre
Soy et le sien; telz gens soient deffait.
A bon servent doit prince guerdon 1 rendre :
Saiges est c*ilz 2 qui tel service fait. 3o
l'envoy
Prince, servent sont loyal serviteur
Qui dient voir, et qui ne sont flateur,
Car par flater maint seigneur se deffait
D'ame et de corps, de bon nom, de douceur 3;
Et quant servent sont de bon et vray cueur, 35
Saiges est cilz 2 qui tel service fait.
MLXXVII
Autre Balade
[Tout finit.)
Selon les temps et les douces saisons,
Selon les ans et aages de nature,
Selon aussi .1111. complexions,
Vient joie ou dueil a toute créature.
1. guerredon. — 2. cil. — 3. doucour.
a. Par vérité et par crainte. — b. La mauvaise conduite.
378 BALADES
5 Le sec aux champs, autre foiz la verdure,
Folie et sens, povreté et richesce
Es corps humains, force, vertu, jeunesce,
Et puis convient tout aler a déclin,
Arbres, bestes, gens mourir par viellesce :
10 II n'est chose qui ne viengne a sa fin.
En jeune temps, nous nous esjouissons
Pour le sang chaut; lors sommes plains d'ardure,
Nos jeunesces et folies faisons \_285 a
Sanz y garder loy, raison ne mesure,
i5 Fors volunté; tout est en adventure,
En cellui temps Cuidier a nous point b et blesce;
C'est le doulz May qui dormir ne nous lesse,
Qui du vert bois nous monstre le chemin ;
Lors a un coup fleur, fruit et vert delesse :
20 II n'est chose qui ne viengne a sa fin.
Mais assez tost ceste chaleur laissons ;
Après Printemps vient Esté qui po dure,
Ou folement de noz vouloirs usons,
Gastans noz corps en pechié et laidure.
25 Autonpne après, moyenne saison, dure,
Qui des .11. temps les fruiz meure c et adresse :
Aux bien faisans les donne a grant largesce,
Mais pareceux n'ont d'elle bief ne vin,
Dont mainte gent muèrent en grant destresce :
3o II n'est chose qui ne viengne a sa fin.
En Décembre fueilles cheoir veons
D'arbres, de prez et venir la froidure ;
Es chaux foyers pour ce nous retraions,
Qui a de quoy, et qui non, si endure.
35 Recorder fault sa foie nourreture,
a. Présomption. — b. Nous pique. — c. Mûrit.
BALADES 379
Ses maulx soufrir. De legier se courresse a
Homs en ce temps qui de mal sent l'appresce b
Et li chéent par viellesce li crin ;
Ainsis s'en vont roys, ducs, conte l et contesse :
Il n'est chose qui ne viengne a sa fin. 40
Janvier, Février sont neges et glaçons 2,
Ceuls sont de l'an la fin froide et obscure;
En cel aage la teste blanche avons,
En déclinant vers nostre sépulture ;
Nous sommes lors chargans et plains d'ordure 45
280 b Hors du doulz May de joie et de leesce.
La vient la Mort qui sonne nostre messe,
Car riens qui naist n'eschive son chemin
Qui par ce pas sa voie ne radresce :
Il n'est chose qui ne viengne a sa fin. 5o
l'envoy
Prince 3, empereurs, rois, dames et barons,
Religieus, peuples, considérons
Que tuit sommes du monde pèlerin
Et qu'en passant nous y trespasserons;
Faisons donc bien et le mal eschivons : 55
Il n'est chose qui ne viengne a sa fin.
1. contes. — 2. neges glaces et glaçons. — 3. Princes
a. Se met en colère.— b. L'oppression.
380 BALADES
D
MLXXVIII
Autre Balade.
(// ne faut jamais mentir.)
(epuis qu'uns homs, de quelqu'estat qu'il soit,
N'a vérité et ne tient son convent a,
Sa conscience et son honneur déçoit,
Menteur se fait, son parler n'est que vent,
5 Chascun le fuit comme homme decevent ;
Laisse a mentir, soit homme véritable,
Et, s'il promet, soit sa parole estable,
Sanz varier; mentir est lait reprouche;
Promette pou, et ne soit mensongable:
10 Ait homs toudis bonnes mains, bonne bouche.
Car uns frans cuers s'attent a ce qu'il oit
Et met son corps en grant péril souvent
Pour promesse d'aucun qui le conjoit b
Jusqu'il l ait fait le service ou cilz tent
i5 Qui lui promist, or le va exploitant,
Puis le defuit, ne lui est agréable,
Vir c ne le veult; lors tout cuer honourable
Het tel menteur, et son mentir reprouche; 285 c
L'en fuit son fait comme homme decevable :
20 Ait homs toudis bonnes mains, bonne bouche 2.
Quant plus grans est, plus de honte reçoit
i. Jusques il ait — ■ 2. et bonne bouche.
a. Sa promesse. — b. Qui le caresse. — c. Voir.
BALADES 38 1
Homs qui promet s'il n'acomplist : il ment,
Car chascun scet sa villenie et voit,
Puis qu^l puet bien faire l'aquittement a\
Mais qui promet et acomplist briefment, 25
Chascun le suit, s'a renom proufitable,
Chascun lui est au besoing secourable,
Tout noble cuer le compaigne et approche,
L'autre est hay ; conclusion finable : l
Ait homs toudis bonnes mains, bonne bouche. 3o
l'envoy
Prince, menteur, robeur ne ravissable b
Ne doit estre homs, ne l'avoir a sa table;
Princes qui soit en son hostel nel couche ;
Tiengne convent, soit aux bons amiable,
Ne face nul chose deshonnourable, 35
Ait homs toudis bonnes mains, bonne bouche.
MLXXIX
Autre Balade *.
(Sur les gens qui volent le trésor royal.)
u
ns preudoms fut en un villaige
Qui devoit donner a disner
' Publiée par Tarké, tome I", page ioy.
i. finale.
a. Car il peut bien s'acquitter. — b. Voleur ni ravisseur.
382 BALADES
A un homme de son linaige a\
Si ot fait fèves atourner b
5 Au lart, mais quant il fist drecier c,
Les fèves trouva seulement
Sanz le lart; lors dist a sa gent :
« Je feray de vous grant essart! d »
L'un respont : « Faictes autrement;
10 « Saichiez qui a mangié le lart! 285 d
— Certes, voirement e le sçaray je.
Vous me voulez deshonourer,
Qui ostez le gras du potaige,
De quoy je me doy gouverner.
i5 Ailleurs m'avez peu desrober
En bief, en vin; on donne, on vent :
Je vois trop bien appercevant
Que j'ay perdu, mais c'est trop tart :
Et si m'avez tuit fait serment I
20 Saichiez qui a mangié le lart !
\
— Maistre, » dist l'un, « vous estes saige :
« Sur chascun devez regarder ;
« La cresse/de char par usaige
« En chaleur ne se puet celer. »
25 Lors regarda, si vit fumer
Le sain de l'un; adonc le prant,
De sa mauvestié le reprant,
Au juge l'envoya a part
Pour faire justice, en disant :
3o « Saichiez qui a mangié le lart! »
a. Parenté. — b. Apprêter. — c. Servir. — d. Destruction, puni-
tion. — e. Vraiment. — /. La graisse.
BALADES 383
l'envoy
Prince, maint sont mal gouvernant
Sur finances d'or et d'argent
Qui en prannent plus que leur part ;
La gresse a leur bouche leur part,
S'acquestent et vont maisonnant A : 35
Saichiez qui a mangié le lart!
MLXXX
Autre Balade *.
(Qui veut s'élever trop haut, tombe.)
Aune grant court tresnotable
Alay pour vir seoir les gens
Dont maint se mistrent a la table,
Les uns lourdes, les autres gens b\
Mais la fut uns petiz sergens 5
Qui aises sist sur basse selle c ;
Or ne lui souffisoit pas celle,
Une autre mist sus, qu'il va querre ;
Mais il chut, en cheant sur elle :
De deux celles le cul a terre. io
' Publiée par Tarbé, tome I*',page i32.
a. Ils achètent et bâtissent des maisons. — b. Les uns lourdauds,
les autres gentils. — c. Qui était à son aise, assis sur une chaise
basse.
384 BALADES
A maint fut ce fait agréable,
Chascun s'en rit ; la ot venans
Qui pour ceste chose muable
Sont les .11. celles agrapans a;
1 5 Sus se sirent. « Las ! moy repans, »
Dist cilz qui chut, « caille ay prins belle,
« Bien déçus suy par ma cautelle *;
« Qui bien est, s'il se muet, il erre :
« Gheus suy, par folie nouvelle,
20 « De deux celles le cul a terre. »
Cest exemple est bien recitable
Et moral pour pluseurs servans
Qui ont office proufitable
Et qui sont autres convoitans,
2 5 Puis sont l'un et l'autre perdans.
Au petit ru c boit teurterelle
Plus aise qu'en rivière isnelle d,
Son I nif e en lieu moien enserre :
Cheoir ne veult, par hault voul d'aelle /,
3o De deux celles le cul a terre.
L ENVOY
Prince, estre doit chascuns contens
De son estât selon son sens,
Il ne fait pas bon trop acquerre
Ne vouloir monter es haulz rens
35 Dont chéent les plus acquerans 286 b
De deux celles le cul a terre.
1 . Lun.
a. Saisissant les deux chaises. — b. Rose. — c. Ruisseau. — d
Rapide. — e. Nid. — /. Par haut vol d'aile.
BALADES 385
MLXXXI
Balade.
(Les grands états sont dangereux.)
Mieulx vault mangier du potaige et des chos •,
Estre vestu d'un gros drap de villaige,
En labourant soy tenir ront et clos *,
Sur son bestail vivre de labouraige
Moiennement, en son petit mesnaige, 5
Franc de son corps en seurté et en l pès c,
Qu'estre en paour en un riche paies
Et monter hault pour descendre trop bas ;
Car es hauls lieux sont les vens trop mauves :
Perilleus sont par tout les grans estas. 10
— Pour quoy ? — Pour ce que pou a de repos
En telz estas, car homme n'est si saige
Qu'il ne faille 2 soufrir de divers mos ;
Tant face bien, on lui met sus la raige,
Et se l'en voit qu'il soit riche a oultraige d, 1 5
Envie aqueurt e; on dit qu'il s'est meffès/
Vers le seigneur, en une heure est deffès,
De son honeur vitupérez et mas 8 ;
Aient advis a ces poins clers et lès h :
Périlleux sont par tout les grans estas. 20
1. en manque. — 3, ne lui faille.
a. Choux. — b. Tranquille et enfermé. — c. En sûreté et paix.
— d. Excessivement. — e. Accourt. — /. Qu'il a commis un mé-
fait. — g. Blâmé et déchu. — - h. Clercs et laïques.
T. V 25
386 BALADES
Car .lx. ans régner, a mon propos,
En hault degré tant le cuer n'assouaige a
Com le cheoir tourmente cuer et dos,
En un moment, en bas du hault estaige.
2!> Homs de labour vit d'eufs et de frommaige,
S'il prant en gré, autre estât n'ait jamès ;
Enviez n'est, couru sus ne detrès b,
Comme les grans, joieus vit sanz debas.
Saiges sont ceuls de telz perilz retrès c :
3o Perilleus sont par tout les grans estas. 286 c
l'envoy
Prince, bon fait vers Dieu estre devos,
Vivre du sien; avoir du peuple los d
Pour eschiver pluseurs périlleux cas
35 Qui adviennent a pluseurs comme fols,
Pour les estas de viandes, de rosts1 :
Perilleus sont par tout les grans estas.
MLXXXII
Rondeau.
{Eloge de la médiocrité.)
Ne désire nulz les hauls lieux
Ne les trop bas, mais le moien,
Et il lui sera tousjours bien.
i.et de rosts.
a. N'est agréable au cœur. — b. Tiraillé, déchiré. — c. Qui se
retirent. — d. La louange.
BALADES
387
A mon jugement c'est le mieulx
Et le plus seur au derrien :
Ne désire nulz les hauls lieux,
Car les hauls lieux sont périlleux,
Les trop bas de foible merrien.
Pran entre deux et la te tien :
Ne désire nulz les hauls lieux.
Ne les trop bas, mais le moien. l
MLXXXIII
Autre Rondel.
(Amoureux.)
Puis que Soûlas, Joie et Déduit
Veulent mener joieuse vie,
Ne soit nulz qui le contredie.
Cornez a, menestrelz, faictes bruit,
Resbaudissiez b la compaignie,
Puis que Soûlas, Joie et Déduit
Veulent mener joieuse vie K
Jousteurs, tournoieurs, venez tuit,
Heraulx, criez a chiere lie :
Chascuns face bien pour s'amie,
Puis que Soûlas, Joie et Déduit
Veulent mener joieuse vie K
i. Ce vers manque.
a. Sonnez du cor. — b. Réjouissez.
10
10
388 BALADES
MLXXXIV
Autre Rondel.
CONTRAIRE
Doleur, Paine, Ennuy et Tristesse 286 d
Ne veulent joie ne soûlas
Ne déduit, fors crier : helas !
Trop sont en obscure fortresse
5 Prins, et tenus en divers las ;
Doleur, Paine, Ennuy et Tristesse
Ne veulent joie ne soûlas h
Et encore ce qui plus les blesse
Est d'ouir feste hault ne bas,
Et pour ce je tien qu'en tel cas,
10 Doleur, Paine, Ennuy et Tristesse
Ne veulent joye ne soûlas.
MLXXXV
Balade.
(Le conseil ne suffit pas, il faut V exécution.)
L
es aveugles que fonda saint Loys,
Qui .xv. vins sont en une maison,
1. Ce vers manque.
BALADES 38g
Voient du cuer, des oeulx sont esbloys a ;
D^ulx pourchacier b ont manière et raison
Sanz vir des oeulx, et en toute saison 5
Quierent par sens ce qui mestier c leur est,
D'exécuter leur bon advis sont prest,
Et si ne vont quelque part fors en doubte d;
Bien font leurs faiz ; or regardez que c'est :
Maint ont grans oeulx et si ne voient goûte! 10
Car au conseil, mais qu'ilz soient oys,
Scevent monstrer tout ce qui seroit bon,
Mais il convient, comme dist la souris,
Vir qui pandra la cloquette au mynon e.
C'est trop bien dit, pour quoy ne le fait on? i5
Pour ce que foulz de parole s'apest/;
Sentence est rien sanz mettre a fin Tarrest.
Que vault conseil qui avant ne le boute s?
Tout ne vault rien puis qu'exécutez n'est :
Maint ont granz oeulx et si n'en voient goûte ! 20
287 a Considerans et voyans les perilz,
Le feu ardant auprès de leur maison
Sanz résister, de négligence esprins A,
D'exécuter ne sera jamais hom
Embesongniez; nous nous entroublion 25
Et un autre de noz robes se vest
Qui, diligens, par force nous devest
Executans son fait a pou de route * ,
Sanz long conseil, dont ce mot me desplaist :
Maint ont grans oeulx et si n'en voient goûte! 3o
a. Troublés. — b. De se conduire. — c. Ce dont ils ont besoin.
— d. Avec précaution. — e. Qui pendra la sonnette au chat, allu-
sion à une ballade de Deschamps, publiée sous le numéro VIII,
tome I, pages i5i-i52. — /. Se repaît. — g. Qui ne le pousse
plus avant, qui ne l'exécute. — h. Pris. — i. A petit bruit, sans
grande compagnie.
3ç)0 BALADES
L ENVOY
Prince, soiez a veoir ententis at
Brief en conseil, executans toudis
Ce qui est bon, car tel chose reboute
L'emprinse et mal de pluseurs ennemis.
35 Ouvrons nos oeulx, que ne soions laidis :
Maint ont grans oeulx et si n'en voient goûte !
MLXXXVI
Balade.
(Comparaison de l'Etat avec une tour.)
s
ur trois pilliers ay fondé une tour
De matere si fort et si durable,
Ronde dehors, et de si grant haultour
Qu'elle est sanz fin, qui vouldra perdurable b,
5 Ne homs mortelz que par Tengin du diable
Ne la pourroit rompre ne trebuchier c,
Ne diable encor ne la puet approuchier
Se la garde du lieu ne s'i consent :
Donc doit chascun celle tour avoir chier,
10 Qui ces pilliers et leur nature sent.
L'un est fondé d'amer son creatour,
Et le second de justice tenable,
a. Attentif. — b. Eternelle, si on le veut. — c. Renverser.
BALADES 3g l
Le tiers qu'on ait de ses subgiez l'amour,
287 b En eulx gardant la voie raisonnable.
Sur ces pilliers fut ceste tour estable a i5
Par treslong temps, or la voy eslochier b.
— Pour quoy? — Pour ce que j'ay veu clochier c
Le chastellain et contre l'innocent,
Dont de pitié doit le cuer approuchier
Qui ces pilliers et leur nature sent. 20
Quant on les voit changier en deshonour,
Dieu non doubter, Justice estre muable,
Que la brebis se pert par le pastour,
Qu'om eslieve le pécheur decevable,
Qu'om het le bon, qu'om nuist au véritable, 2 5
Et qu'om ne veult fors que l'or acrochier,
Cela des lors fîst la tour desrochier <*,
•Fendre et frémir, qui par ce se desment e,
Que chascuns dust des princes redrecier,
Qui ces pilliers et leur nature sent. 3o
l'envoy
Princes, pensez et de nuit et de jour
Aux trois pilliers, lesquelz vostre ancesour l
Gardèrent bien, Charlemaine et Rolant,
Ou autrement tout cherra en destour :
Dont tout homme doit avoir grant dolour 35
Qui ces pilliers et leur nature sent.
t. anceseur
a. Etablie. — b. Ébranler. — c. Manquer. — d. Disjoindre. -*- e.
Détruit.
E
392 BALADES
MLXXXVII
Chançon Royal.
(Dieu punit le peuple qui pèche.)
n un pais avoit une fontaine
Qui tant par lui comme par ses ruisseaulx,
Habondamment faisoit la terre plaine
D'erbes, de grains, de vins, de fruiz nouveaux,
5 De volailles, de bestes et d'oiseaulx,
Et pour ce estoit de grant peuple peuplée,
Franche en tous cas, en justice gardée, 287 c
De grant renom, doubtant Dieu, mais la tesche a
De convoiter et pechier Fa gastée,
10 Car Dieu partout pugnit peuple qui pèche
Par long temps fut la la demeure saine,
Aux estrangiers estoit le pais beaux,
Pour ce que loy s'i gardoit souveraine,
Foy et amour, humilité entr'iaulx b.
i5 Chascuns Pâma; paix, festes et reviaulx c
Regnoit adonc ; la terre fut doublée d
Et d'elle aussi mainte autre conquestée ;
Mais ce conquest pieça deffault et sèche
Par l'ire Dieu qui est sur eulx tournée,
20 Car Dieu partout pugnit peuple qui pèche.
Pour ce qu'en temps quHlz orent grant demaine,
a. La tache, le vice. — b, Entr'eux. — c. Plaisirs, divertisse-
ments. — d. Redoutée.
BALADES 393
Pechié de char et orgueil vint en eaulx,
Haine aussi, division mondaine,
Convoitise, tous vices desloyaulx,
Despiter Dieu, destruire 1 gens loyaulx; 25
Justice et loy fut par eulx défoulée,
Et Dieu leur a grant guerre suscitée
Qui tous mauvais en leur pais alesche a,
Leur chief soubmet et destruit leur contrée :
Car Dieu partout pugnit peuple qui pèche. 3o
Par sang crueux, non pas extrait de vaine,
Donne leurs chars aux champs et leurs boyaulx,
Mors et occis, par vengence soudaine,
Viande aux loups, aux chiens et aux pourceaulx;
Commocions entre les jouvenceaulx 35
Et le peuple est par division née;
Du père au fil est traison trouvée,
Le feu se met partout, par ardant mesche,
Et l'Eglise est polute et violée,
Car Dieu partout pugnit peuple qui pèche. 40
287 d Franchise fault, car Teaue premeraine
Se prant et vent en trop divers vaisseaulx,
Dont les brebis derTaillent de leur laine,
Des prez, des blez descroissent les monceaulx ;
Le labour fault, car ne sçay quelz louviaux 45
Ont trop celle eaue et sa vois estoupée *;
Courir ne puet, tout va a la hapée c
Si qu'en brief temps ne sera buef a crèche :
Dont l'en verra seignourie muée,
Car Dieu partout pugnit peuple qui pèche. 5o
1. destruit.
a. Attire. — b. Bouchée, fermée. — c. A la saisie.
394 BALADES
LENVOY
Prince mondain, soit ceste eaue avisée
Et franchement au peuple divisée.
S'il se repent, nul du mal ne s'entesche a\
Amour, pité soit en nos cuers fichée :
55 Courons a Dieu de cuer et de pensée,
Car Dieu partout pugnit peuple qui pèche;
L
MLXXXVIII
Balade.
[Tout se détruit.)
y airs, ly temps, ly ans, ly .xn. moys,
Arbres, les prez et les .«il. saisons,
Les mons, les vaulx, les terres et les bois,
Gens et bestaulx, les oyseauls et poissons,
5 Les semences, les vignes, les moissons,
Tout ce qui est au dessoubz de la lune
Change et se muet par diverse fortune,
En délaissant son propre mouvement ;
Dont chascun dit, et aussi fait chacune :
io Tout se destruit et ne scet on comment.
Ly airs est chaulz quant il deust estre froys,
Et la froidour pour la chalour avons,
a. Ne se rende coupable.
BALADES 3g5
Les jours sont cours et longs aucune fois,
288 a Et autrement que veu ne les avons;
Arbres chetif, es prez n'a que chardons, 1 5
Et des saisons ne semble l'autre l'une ;
Gens sont petiz, mauvais, plains de rancune,
Bestaulx, oysiaulx, de povre fondement
Poissons menuz, semence maigre et une a :
Tout se destruit et ne scet on comment l. 20
Vignes valent petit et leur explois *,
N'elles n'ont pas profitables boissons;
Les blez qu'on queult c s'empirent soubz les toys
Ou en la grange, et pou en requeillons;
Pour amasser chevance traveillons ; 25
Convoitise est entre nous trop commune,
Despitez est qui grant avoir n'aune rf,
Monter voulons jusques au firmament,
Sanz foy garder a aucun n'a aucune :
Tout se destruit et ne scet on 2 comment. 3o
l'envoy
Princes, certes les maulx que nous faisons
Font minuer les biens dont nous parlons
Pour nous pugnir, et c'est droit jugement.
A bien faire désormais entendons,
De nostre cuer amons Dieu et servons : 35
Tout se destruit et ne scet on comment.
1. Tout, etc. — 2. on manque.
a. Qui ne fructifie pas. — b. Leur rapport. — c. Récolte. — d.
N'amasse.
N
3g6 BALADES
MLXXXIX
Autre Balade.
[Il faut penser à son salut.)
ulz ne pense au bien souverain
N'a la joye perpetuele,
N'au tourment de Tarne soudain
Qui advient par euvre mortele
5 De pechié, par mort naturele
Du corps corrumpu corrompable,
Que char et monde est decevable
Et qui trespasse en un moment,
Ces deux le temptent et le diable: 288 b
10 Pensons de nostre sauvement.
Car nous avons juge certain
Et nostre cause est criminele;
En nous sont tuit pechié villain,
La poursuite continuele
1 5 De faire mal, vie cruele,
Haultaine, envieuse et dampnable,
Larrecineuse f et convoitable
Maine chascun communément
Sanz craindre Dieu ; soyons estable,
20 Pensons de nostre sauvement.
Les signes nous monstrent a plain
Du ciel et de la terre, quele
a. Voleuse.
BALADES 397
Mutacion vient par la main
De Dieu pour nostre corruptele a ;
Veue ne fut vengence tele, 25
Car guerre, mort, faulte nuisable
De tous biens et fin périssable
De ce monde verrons briefment
S'a Dieu ne sommes racordable b :
Pensons de nostre sauvement. 3o
l'envoy
Princes, laissons Testât muable
Du monde ; a la fin pardurable
Advisons bien et saigement ;
Faisons toute euvre charitable,
Doubtons le juge espouentable \ 35
Pensons de nostre sauvement.
MXC
Autre Balade.
(Chacun va à sa fin.)
e cours de ceste vie humaine
N'est c'un petit trespassement
288 c Quant au corps qui a mort nous maine,
Et je vous monstreray comment.
L
1. Le hault juge espouentable
a. Corruption. — b. Si nous ne nous réconcilions avec Dieu.
398 BALADES
5 Car puis qu'om a eutendement,
On désire Yver, puis Esté,
Qu'il soit jour, qu'il soit avespré,
Pasques, Toussains, la Saint Martin,
Panthecouste, Printemps, Noé a •
1 o Ainsis va chascuns a sa fin .
Car la char de misère plaine,
Dès qu'elle naist a mourir prant
Pour sa corrupcion mondaine,
Par viellesce ou par accident ;
14 Mais Tesperit perpétuent
Que Dieu a en corps inspiré
Désire qu'il soit séparé
De la char ou trop est enclin,
Pour vivre en pardurableté :
20 Ainsi va chascuns a sa fin.
La poursuite du corps est vaine,
La mort nous vient soudainement ;
Diable, la char, le monde \ paine
De tout mener a dampnement;
25 Passons donques dévotement
Ce pas qui est tant redoubté,
Amons Dieu, faisons a son gré,
Prenons du ciel le hault chemin;
Tuit li grant roy sont trespassé :
3o Ainsis va chascuns a sa fin.
I. se paine.
a. Noël.
BALADES 399
MXCI
Autre Balade.
(Ce que Justice devrait être à la cour.)
288 d P\ont viens tu? — De la court du roy,
\*J Ce dist Justice a Congnoissance.
— Es tu de l'ostel? — Mieulx que toy.
— Donc y as tu pou de puissance,
Car se ne sont gens de finance 5
On n'y congnoist droit ne raison ;
L'ostel maines par la maison,
Aux offices puez commander,
Mais pour toy ne fait un bouton :
Tu deusses tout faire trembler. 10
— De mon acort ame n'y voy;
Folie y est, Oultrecuidance ;
Envie y a la dent sur moy,
Quant servir vueil, Barat s'advance;
Larrecin brait, Orgueil me tance ; i5
Se pour mefFait y est prins hom,
Tantost est mis hors de prinson,
Toudis font ces maulx pardonner.
— S'en faiz tantost pugnicion :
Tu deusses tout faire trembler. 20
— Je ne puis. — Or me dy pour quoy.
— Car a tu n'es pas de m'aliance.
Fay congnoistre droiture et loy
Au souverain. Je n'ay fiance
a. C'est que.
400 BALADES
25 Qu'en toy, car ceste demonstrance
T'appartient de ton propre nom.
De princes tout, veillent ou non,
Les mauvais, tout feray bransler,
Car en mal on ne chiet par don.
3o — Tu deusses tout faire trambler.
l'envoy
Prince, pour faire obéissance 28g a
A Dieu, devez par atrempance a
Justice et Congnoissance amer,
Droiture faire a la balance.
35 Quier pour ce faire escu et lance :
Tu deusses tout faire trambler.
MXCII
Autre Balade.
(La loyauté ne se trouve pas à la cour,)
Qui veult perdre sens et entendement,
. Oublier Dieu et vivre en grant misère,
Envie avoir, courroux, paine et tourment,
Voist ou li fils detrairoit b a son père,
La fille aussi y trairoit sa mère
Pour querre l honeur et l'avoir devant eulx,
1 Quérir.
a Tempérament»— b. Nuirait.
BALADES 40 I
Car en honeur veult chascuns estre seulx;
C'est aux grans cours, telz sont les curiaulx a ;
Le demourer pour l'ame y est doubteux,
Qu'a b grant paine sont gent de court loyaulx. 10
Et se bon sont en leur advenement
Et qu'ilz aient l'entente vraie et clere
Au bien commun, a bon gouvernement,
Leur voulenté change et devient amere
En un moment, car quant d'estat se père c iS
L'un d'eulx, tantost devient presumptueux, .
Et lors se joint et se conseille a ceulx
Qui ont ravi terre, argent et joyaulx
Pour taire voir ; c'est uns lieux périlleux,
Qu'a grant paine sont gent de court loyaulx. 20
Et je vous puis assez monstrer comment:
Car ou li uns appelle l'autre frère,
Il le traist par derrier faintement d
Et le blandist afin qu'amis appere e
Pour décevoir, puis lui fait le cuir rere /, 25
28g b Car des estas sont trestouz envieux
L'un sur l'autre; la n'a vray cuer piteux,
Ainçois runge tout jusques aux boyaux,
Et sanz pité. Dieux nous gart de telz leux,
Qu'a grant paine sont gent de court loyaulx. 3o
l'envoy
Prince, bon fait quérir son sauvement
Et corrigier, comme anciennement,
Les meurs mauvais de celles et de ceaulx
Qui gouvernent les cours communément,
Qu'a grant paine sont gent de court loyaulx. 35
a. Courtisans. — b. Car à. — c. Se pare, — d. Faussement. — e.
Paraisse. — f. Raser.
T. V a6
402 BALADES
MXCIII
Autre Balade.
(Qui veut tuer son chien l'accuse de la rage.)
Q
ui ayme bien ne croit pas de legier a
Que son ami lui voulsist nul mal faire,
Ne qu'il vouldroit contre lui pourchacier b\
Mais au jour d'uy sont maint de tel affere,
5 Et ont le cuer si lasche et si contraire
A fermeté de vray et bon amour
Qu'ilz se glacent et quierent la rumour
A ce qu'amer deussent, s'ilz fussent saige,
En diffamant leur ami ; c'est folour :
i o Qui son chien het, on li met sus la raige.
Et comment puet un loial cuer cuidier
Que vray ami se voulsist contrefaire,
Qui prest ne fust pour son ami aidier?
Puis qu'amis est, il se lairoit detraire c
1 5 A bons chevaulx, ains qu'il voulsist retraire
De son ami ou l blasme ou deshonour ;
Mais cil qui croit pour néant tel errour
A cuer coulant, et cuide estre volaige d,
Gomme le sien, cuer d'ami plain d'onnour : 28g c
20 Qui son chien het, on lui met sus la raige.
Las ! quel péril de croire losangier e
1. ou manque.
a. Légèrement. — b. Se mettre en concurrence avec lui. — c.
Tirer. — d. Inconstant. — e. Médisant, menteur.
BALADES 40 3
Sur son ami! Cil vault pis que Macaire
Le traitreux, quant il point par derrière;
On le devroit a un gibet deffaire ;
A toutes gens doit un menteur desplaire, 25
Car par son fait vient haine et tristour,
Perte d'amis, tous maulx, toute dolour;
Diable ont menteurs si fort mis en usaige
Qu'om voit par eulx et 1 de nuit et de jour :
Qui son chien het, on lui met sus la raige. 3o
l'envoy
Prince, bon fait le cuer avoir entier,
Sanz contre ami croire ainsis en derrier;
Du losangier eschivés le langaige
Et en tous temps tenez vostre ami chier,
On ne doit pas encontre lui clochier : 35
Qui son chien het, on lui met sus la raige.
MXCIV
Balade.
(Contre les menteurs.)
Le droit signe de perdre seignourie,
Varier loy, royaume anientir,
Est quant l'en fait gouverner Menterie
Et qu'estât ont ceuls qui scevent mentir.
1. et manque.
404 BALADES
5 Car telz menteurs font les cuers départir
De vraie amour ou Menterie règne
Et du seigneur en délaissant son règne,
Quant il eslist pour Vérité Mençonge.
Lors se destruit comme firent li Sesne a :
10 Si je di voir, ne cuidiez que je songe.
Car en telz gens n'a fors que tricherie, 288 d
Qui au seigneur et au peuple sentir
Font par leur art que la terre yert b perie
Quant a nul bien ne veulent assentir c.
1 5 A tart venrront li prince a repentir
D'eulx bailler frain qui a si longue resne,
Auquel l'en deust donner trasce de chesne d
En hault levé et de corde une longe,
Ou les getter dedenz le fleuve d'Esne e :
20 Si je di l voir, ne cuidiez que je songe.
Par telz menteurs toute terre apovrie /,
Si ne puet plus Dieux leurs péchiez soufrir,
Qu'a leur seigneur meismes font tricherie,
Pour ce les veult nostre Seigneur pugnir,
25 Perdre le corps, la povre ame honnir;
Comme forfaiz, pis mourront que d'alesne £",
Plus lapidez seront que saint Estene A,
De leurs tourmens n'aront respit n'alonge * ;
De leur avoir ne donrroye un seul fresne :
3o Si je di voir, ne cuidez que je songe.
l'envoy
Princes, mentir est trop grant villenie,
1. dis.
a. Saxons. — b. Sera. — c. Consentir. — d. Billot de bois de
chêne.— e. L'Aisne.— /. Devient pauvre.— g. De piqûres d'alênes.
— h. Saint Etienne.— 1. Retard.
BALADES 405
Et Veritez est des loyaulx amie ;
C'est de douçour et d'amisté Tesponge,
Qui fait régner les seigneurs en partie,
Et mentir fait des bons la départie a : 35
Si je di voir, ne cuidez que je songe.
MXCV
Autre Balade \
[Contre les généraux de finance.)
o
|U j'arderay b tous les livres que j'ay,
Qui ont traitté de vertus et de vices,
Ou en brief temps le jugement verray
Des granz menteurs qui tiennent les offices
2go a Qui ne leur sont a gouverner propices, 5
Qui destruisent par mentir leur seigneur,
Qui sont riches, et si n'ont riens du leur
Fors de ravir sur le bien communal,
Desquelz je sens approuchier la doleur,
Et qui sont il? — Ce sont li gênerai c. 10
Autres gens n'ont en ce monde le glay d,
Hz ont passé d'abondance les lices,
D'or et d'argent ont tant que je ne sçay
Qui nombreroit le coust des édifices,
* Cette ballade est différente du »• DCCXCIV publié dans le tome IV, pa-
ges 3o3~3o4, bien que le refrain soit le même.
a. Le parti. — b. Ou je brûlerai. — c. Les généraux de finances.
— d. Le plaisir, la joie.
406 BALADES
i5 De leurs chasteauls et maisons. Bien sont nices a
Ceuls qui mettent gens de pou de valeur
En tel estât, et qui vivent du leur
Si grandement que tout s'en porte mal,
Dont en la fin mourront a deshonneur :
20 Et qui sont ilz? — Ce sont li gênerai,
Sur lesquelz voy approuchier le hahay *,
Car d'or sera et d'argent grant esclipces
Par Povreté, et le gast c que veu ay
Faire a iceuls; si devenrront nourrices,
25 Car ilz rendront ce que leur avarices
A rapine, et cherront en fureur
Du souverain, qui par loy de rigueur
Ne leur laira la vaillance d'un pal d
Pour leurs péchiez et leur mauvese erreur :
3o Et qui sont ilz? — Ce sont li gênerai.
l'envoy
Prince, comment osent gens de labeur,
De petit lieu, de nul sens, tel foleur
Entreprandre, s'ilz ne sont bien loyal ?
Pour les regnans n'y voy bonne couleur
35 Fors que la mort qui leur vient a l doleur :
Et qui sont ilz ? — Ce sont li gênerai.
i. vient paine et doleur
a. Sots. — b. La douleur, la peine. — c. Dégât. — d. La valeu
d'un pieu, c'est-à-dire rien.
BALADES 4O7
MXCVI
Autre Balade
[Contre la fausseté des gens de cours.)
2 90 h /^^\ui sont ceuls qui aux cours roiaulx
V^. Ont ordonnance et retenue?
Les bons, les saiges, les loyaulx,
Pour ce est la court bien maintenue;
Chascun s'i ayme, retenue 5
N'y est, chose que l'en ne paye,
On y sert Dieu d'entente vraye,
La est Veritez sanz mençonge,
Pitié, Charité s'i essaye...
J'ay menti ; je croy que je songe. 1 o
Car pluseurs en y a de ciaulx
Dont chascuns d'eulx les biens mangue
D'autrui sanz paier ; telz morseaulx
Sont de cygongne et non de grue;
L'un fiert devant et l'autre rue i5
Par derrier, li uns l'autre abaye a,
De la langue chascun s'i playe *,
Venin s'i baille sanz esponge,
Bons n'y vient qu'on ne le délaye c...
J'ay menti ; je croy que je songe. 20
Il n'y a plus nulz cuideriaulx d,
a. Aboyé. — b Blesse, fait des plaies. — c, Qu'on ne le remette.
— d. Présomptueux, fats.
408 BALADES
Ne homme de grant esternue a,
Grans parleurs sur les faiz nouveaulx,
Petiz faiseurs en leur venue,
25 Ne moqueurs de la gent chanue *,
Ne convoiteux qui a lui traye,
Par jangler, vaisselle et monnoye,
Terre, argent, or, et, par la longe,
Cheval, harnoys, ou archegaye...
3o J'ay menti ; je croy que je songe.
l'envoy
Princes, tout est jusqu'aux boyaulx 2g 0 c
Cerchié a court, or et joyaulx ;
Chascunsqui puet y pince et ronge,
Escoufles c, renars et louveaulx ;
35 Mais mains d'eulx y lairont les peaulx...
J'ay menti ; je croy que je songe.
MXCVII
Balade.
(Sur les vices du temps.)
Tresdoulz amis, mais qu'il ne vous desplaise,
Des nouvelles, s'il vous plaist,me ■ comptez.
— Tresvoluntiers. Je ne voy personne aise
i.me manque.
a. De grande situation. — b. Chenue, vieille. — c. Espèce de
milan, oiseau de proie.
BALADES 409
Et qui ne soit mas et desconfortez :
Deux pappes sont de pluseurs gens portez, 5
Dont il convient ou que l'un ou l'autre erre,
Et pour ce avons d'ame et de corps grant guerre;
Or se gart donc qui l'inimistié maine l ;
Car qui vourra sur ce vérité querre,
Tout yra bien. — Et quant?— L'autre sepmaine. 1 o
Homme ne voy qui envers Dieu s'appaise,
L'en vent ses biens qui estoient donnez
Aux povres clers, du temps de saint Nycaise ;
Par symonie est ly mons gouvernez,
Bons clers n'ont rien, chetis sont eslevez 1 5
Par prières ou par don qui enferre a,
D'argent ou d'or, de joyaulx ou de serre,
Princes, prelas, qu'Avarice demaine;
Mais se Raison fraintleur orgueil et terre,
Toutyrabien. — Etquant? — L'autre sepmaine. 20
Nostre vie est orde, laide et punaise,
Justice fault, raisons et equitez;
Es trois climas d'Europe, Aufrique et Ayse,
Luxure court, orgueil, toute viltez,
Convoitise, toute desloyautez, 25
2go d Sanz craindre Dieu, en chemin d'enfer erre ;
Chascun y va, qui bien en veult enquerre,
Dont de doleur le povre cuer me sayne ;
Mais qui vouldra Dieu par pitié requerre,
Tout yra bien.-— Et quant ? — L'autre sepmaine. 3o
l'envoy
Prince, quant cil m'ot ces maulx racontez
1 demaine.
a. Qui enchaîne.
41 0 BALADES
Et les péchiez dont chascun est temptez,
Esbahy fu, et pour fuir la paine,
Ly demanday se nous serions dampnez :
35 II dist : oil, mais, se vous repentez,
Toutyra bien, — Et quant? — L'autre sepmaine.
MXCVIII
E
Autre Balade.
(La richesse arrive trop tard.)
n ce doubteus pelerinaige
De ceste mortel vie humaine
A moult de péril et de raige
Et de la mort heure incertaine,
5 Traveil, desplaisir, doleur, paine
D'acquérir avoir et chevance,
Renommée avoir et puissance;
Et lors qu'on cuide estre plus hault,
Ont pluseurs mort et pestillence,
io Car quant avoir vient et a corps fault.
En jeune temps se fait oultraige
Qui maint homme a deshoneur maine ;
Ou moien b quiert l'un heritaige,
L'autre va en guerre soudaine,
i5 L'un va par mer, l'autre par plaine,
a. Voilà que. — b. Dans l'âge moyen.
BALADES 41 I
L'autre met en fust d'une lance a
Sa vie, l'un par bien s'avance,
L'autre non, car ne lui en chault ;
2gi a Vivons donc tuit a souffisance
Car quant avoir vient et corps fault. 20
Grant traveil ont pour vivre, sai ge,
Ainçois que leur bourse soit plaine
Ly noble homme de hault couraige
Qui b Fortune en mains lieus pourmaine
Pour los avoir ; chascun d'eulx paine; 25
Les marchans ont moult de pesance,
Serviteurs de maie meschance;
Or ont l'avoir, et lors leur sault
Goûtes, maladie ou grevance :
Car quant avoir vient et corps fault. 3o
l'envoy
Prince, il fait tresbon dès s'enfance
Congnoistre Dieu, avoir plaisance
A vivre en honeur qui moult vault,
Liement, en bonne espérance,
Sanz trop de biens, sanz mendiance, 35
Car quant avoir vient et l corps fault.
I le.
a. Au bois d'une lance, — b. Que la fortune promène en maints
lieux.
412 BALADES
MXC1X
Autre Balade.
(Heureux l'homme qui est indépendant.)
L
y homs qui a de Dieu principalment
Des biens mondains, son estât, sa chevance,
Par son labeur, par bon gouvernement,
Par clergie, par servir, par vaillance,
5 Par ses amis, d'ancienne puissance,
En succédant a eulx selon les drois,
Sanz offices de princes et de roys,
Et sanz leurs dons, doit Dieu bien gracier,
Car joieux vit et frans selon les loys :
10 Telz homs doit bien son Dieu remercier,
Pour les âmes prier dévotement
Des trespassez, sanz mettre en oubliance
Les biens qu^m a par leur trespassement, 2gi b
Art ou mestier pour vivre a souffisance
i5 Sanz court suir ne la desordonnance
Ou Envie grieve homme mainte fois;
La devient sers, dolereux et destrois a,
Si vault de Dieu mieulx estre officier,
Car qui le sert humblement a son chois,
20 Telz homs doit bien son Dieu remercier.
Car il est hors de paine et de tourment,
a. Tourmenté.
BALADES 41 3
De grant dangier, de mainte desplaisance,
Et n'est tenu fors a Dieu seulement
Des biens qu'il a ; autres sont en balance,
Gréez d'autrui, mais cilz que nulz n'avance 2 5
Et vit du sien, s'il est doulz et courtois,
Vit seurement sanz seoir en hault doys «,
Et sanz paour qu'il doie trebuchier :
Qui ainsis fait, s'il est humbles et frois,
Telz homs doit bien son Dieu remercier. 3o
l'envoy
Princes, li homs qui vit de pourveance
En son labour, et qui met atrempance b
Sur son estât, a tousjours plain grenier ;
Il règne en paix, en joie et en plaisance
Sanz estre sers; qui a tele ordonnance, 35
Telz homs doit bien son Dieu remercier.
a. Taille due au seigneur. — b. Modération
414 BALADES
H
MC
Autre Balade.
(Devoirs des princes.)
onourer Dieu, doubter et obéir,
Le bien commun et son prochain amer,
Largesce avoir pour les bons remerir,
Pugnicion et justice garder
5 Sur les mauvais doit sanz dissimuler
Tout franc seigneur et gouverneur de terre 2çi c
Quérir la paix et eschiver la guerre
A son pouoir, sanz avoir convoitise
Des biens d'autrui, n'estrange avoir acquerre;
10 Servir a Dieu, bien régner lui souffise.
Car faire ainsi est pour terre tenir,
Bon peuple avoir, son pais augmenter,
Soy faire en bien de ses voisins cremir,
Moiennement, sanz soy trop eslever,
1 5 Ne ses subgiez contre droit requérir,
De son pais et de ses gens enquerre,
Pour oster ceuls ou avarice est prinse
Ou cas villain ; s'ainsi ne fait il erre :
Servir a Dieu, bien régner lui souffise.
20 De tous péchiez doit son corps abstenir
Et bon exemple a ses subgiez donner ;
Mieulx en feront, et les pourra pugnir
Plus justement, se mal veulent ouvrer;
Des prodommes, sy\\ en puet recouvrer,
BALADES
2 5 Ait devers lui et saiges, c'est la serre a
Qui les pais et les royaumes serre
Si qu'on n'y puet fere villaine emprise.
Tous ces poins doit princes tenir et querre :
Servir a Dieu, bien régner lui souffise.
4i5
L envoy
3o Princes, qui veult en ce monde régner
Doit tous ses faiz selon Dieu ordonner,
La loy garder, défendre saincte Eglise,
Aux soufraiteux et povres aumosner b
De son avoir, saincte vie mener.
35 Servir a Dieu, bien régner lui souffise.
a. La serrure.— b. Faire l'aumône aux pauvres et aux indigents.
TABLES
T. V
27
TABLE
DES
MATIERES DU CINQUIEME VOLUME
Ballades.
DCCCXXXII.
DCGGXXXIII.
DCCCXXXIV.
DCCCXXXV.
DCGCXXXVI.
DCGCXXXVII.
DGCCXXXVIII.
DCCCXXXIX.
DGCCXL.
DCCGXLI.
DCCCXLII.
DCCCXLIII.
DGCGXLIV.
DCCCXLV.
DCGCXLVI.
DCCCXLVII.
Pages.
Regrets d'avocats i
Il faut être bien portant pour plaire. 2
Gontre le mal de dents 4
11 ne doit plus s'appeler Eustache,
mais Brûlé des Champs 5
Sur le désastre de la ville de Vertus. 6
Les hommes d'armes sont seuls esti-
més 7
Raillerie sur une dévote 8
L'habit ne fait pas le moine 9
Un de perdu, deux de retrouvés 10
Sur une ordonnance du Roi 12
Allégorie ' 1 3
Sur les différentes manières de rire.. 14
Sur les différentes manières de manger 1 5
Doléances de la ville de Vertus 17
Utilité de l'écriture 18
■ Pourquoi Dieu a-t-il mis un grand
cœur dans un corps chétif? 20
420 BALADES
DCCCXLVIII. — Pourquoi Dieu a-t-il mis un petit
cœur dans un grand corps 21
DGGGXLIX. — Injures contre une femme 22
DGGGL. — Un serviteur fait son éloge 23
DCGCLI. — Même sujet (1) 25
DGCCLII. — Défauts d'un varlet 26
DGGCLIII. — Une dame se plaint de la jalousie de
son mari 27
DCCCLIV. — Sur les mandemens du roy 29
DGGGL V. — Conseil de ne pas se rendre aux man-
dements [i386-i 387] 3o
DCCGLVI. — Injures à un homme 32
DCCCLVTI. — Sur sa détresse 33
DGGGL VIII. — Les bêtes valent mieux que les gens. 34
DGCGLIX. — Sur sa malechance 36
DCCCLX. — On ne vaut rien si on ne se vante... 37
DCCGLXI. — Il faut savoir dissimuler 38
DCGCLXII. — Sur sa pauvreté 3g
DCCCLXIII. — Sur les maiours de Veucq.uessin 41
DGCGLXIV. — Requête aux ducs d'Anjou et de Bour-
gogne [1 38 1] 42
DCCCLXV. — Sur sa vieillesse 43
DGGGLXVI. — Balade faicte par manière de suppli-
cacion 45
DGGCLXVII. — Comment on souloit anciennement
MOULT HONOURER LES SAIGES ET AN-
CIENS PLUS QUE ON NE FAIT AU JOUR
d'ui. — Des têtes chauves à la cour. 46
DCCCLXVIII. — Sur les Anglais 48
DGCGLXIX. — Contre un dépensier 49
DGCCLXX. — Réponse d'une dame à des proposi-
tions 5o
DCGCLXXI. — Adieux à Paris 5 1
DCCCLXXII. — A un poète 53
DCCCLXXIII. — Demande d'un cheval 54
DCCCLXXI V. — Sur une coiffure de queue de martre. 55
DCGCLXXV. — Sur un mariage manqué 57
DGGCLXXVI. — Sur son désir de rentrer en France,
après la guerre de Flandre 58
DCCCLXXVII. — Contre les maris jaloux 59
DCCCLXXVIII. — Sur foul cuidier 61
1) Même ballade que la précédente.
TABLE DES MATIERES 421
DCCCXXIX. — Sur les mandemens faiz pour la
GCERRE DE FRANCE 62
DGCCLXXX. — Contre les mariages disproportionnés. 63
DCGCLXXXI. — Balade d'amour forsennée 64
DCCCLXXXII. — Sur la guerre entre les Anglais 66
DCCCLXXXIII. — Vœu pour la paix 67
DCGCLXXXIV. — Ballade en picard 69
DCCGLXXXV. — Sur le mariage d'un jeune homme
avec une vieille femme 70
DCCCLXXXVI. — Même sujet, allégorie 71
DGCCLXXXVII. — Sur son varlet, nommé Jeannin 72
DCCCLXXXVIII. — Contre le mariage 73
DCGCLXXXIX. — Sur sa mauvaise chance 75
DCCCXC. — Deschamps réclame une épée promise
à Ardres 76
DCCCXCI. — Demande d'argent pour payer la dé-
pense de ses chevaux 77
DCCCXCII. — Le femme de Giraudon se plaint de
son mari 78
DCCCXCII1. — Récit d'une aventure à Calais 79
DCCCXCI V. — Sur le j eune de la Barrée 81
DCCCXCV. — Mauvais emploi des mots 82
DCGCXGVI. — Il veut mentir puisque chacun lui ment 83
DCCCXGVII. — Supériorité de la Champagne sur la
Brie 84
DCCCXCVIII. — Tout va au rebours de la raison 86
DCCCXCIX. — Contre les exactions des routiers ... 88
DCCCC. — Il ne faut pas laisser aller sa femme
aux fêtes 90
DCCCCI. — Avis aux serviteurs des princes 91
DCCCCII. — Maladie d'argent d'Eustache Des-
champs 93
DCCCCIII. — Supplicacion. — Eustache réclame une
houppelande promise par le duc de
Bourbon 94
DCCCCIV. — Contre les chevaux trop jeunes g5
DCCCCV. — Demande de bois pour l'hiver 97
DCCCCVI. — Conseils contre l'hiver ' 98
DCCCCVII. — Contre les regards mauvais 100
DCCCCVIII. — Contre un savetier devenu, un mo-
ment, écuyer et brigand 10 1
DCCCCIX. — Il faut pendre les malfaiteurs io3
DCCCCX. — Contre les bandits io5
DCCCCXI. — Requête d'une fiancée., 107
42 2 BALADES
DCCCCXII. — Vénalité de la justice 109
DGGGCXIII. — Sur un faux brave humilié par un
moine m
DCCCCXIV. — Plus de guerres u3
DGCGCXV. — La grandeur et la richesse ne font
pas le bonheur 1 1 5
DCGCCXVI. — Eloge de la largesse, sauf en amour. 117
DCCCCXVTI. — Eloge de l'épargne, sauf en amour. . . 118
DCCCCXVIII. — Sur sa nomination comme bailli de
Senlis. Jeux de mots sur le nom de
Senlis 119
DCGCCXIX. — Demande au prince de Bar d'un cheval
promis depuis longtemps 121
DGGGCXX. — Quand reviendra notre roi à Paris?
[1389] 122
DCGCCXXI. — Plus on le voit, moins on le prise... 124
DCGCGXXII. — Contre Brugaud 126
DCCGGXXIII. — Contre la danse au son du chalumeau. 127
DCCCGXXIV. — Guerre de J. d'Armagnac contre J.
G. Visconti. [i3g 1] 129
DCCCCXXV. — Deschamps demande conseil à maître
Mathieu et à maître Regnault 1 3o
DCCCCXXVI. — Récit d'une aventure amoureuse 182
DCCGCXXVII. — Sur l'ordre de la Baboue 134
DCGCCXXVIII. — Sur sa mauvaise chance et sa pauvreté. i36
DCGGCXXIX. — Contre le mariage 1 38
DGCCCXXX. — Rondel équivoque. — Jeu d'esprit... 139
DGGGGXXXI. — Autre rondeau équivoque. — Contre
le mariage 140
DCCCGXXXII. — Campagne d'Ecosse (1) 140
DCCCCXXXIII. — Décadence du temps présent 142
DCGCCXXXIV. — Conseils donnés par une dame à un
jeune homme 143
DCCGCXXXV. — La Règle se plaint d'être délaissée... 145
DCGCGXXXVI. — Comment le premier aage fut igno-
rant, MAIS LE .VIIr. A PRESENT EST MA-
LICIEUX, INIQUE, LASCHE ET DECOURANT 147
DCCCCXXXVII. — Comment le mendre des .vu. ars fondé
SUR PURE CONVOITISE REGNE AU JOUR
D'UI DE TOUTES PARS I 48
DCCCGXXX VIII. — D'arismetique 1 5o
DCGCCXXXIX. — De la complainte de gramaire ibz
(1) Même ballade que le numéro LXII, tome I, page i 56.
TABLE DES MATIÈRES 42 3
DGCCCXL. — Il faut faire des économies i53
DCCGCXLI. — Comment on eslieve au jour d'ut mâle
HERBE EN HAULT ET LAISS'ON LA BONNE I 56
DCCCCXLII. — Delà grant complainte de Babiloine. i 57
DCCCCXLIII. — Sur tous maulx qui régnent en chas-
CUNE COURT i5g
DCGCCXLIV. — Le bien d'autrui ne profite pas 160
DCGGCXLV. — Rondeau. Même sujet 162
DGGCCXLVI. — Comment envies, haines et convoitises
DESORDONNÉES REGNENT AU JOUR D'UI
PARTOUT l62
DCCCCXLVII. — De la complainte que un amant fait
A SA DAME AMOUREUSEMENT I 64
DCCCCXLVIII. — Balade faicte sur la division et
CISME DE L'EGLISE QUI EST AU JOUR
D'UI MOULT TROUBLÉE PAR LA LUNE.. l65
DGGCCXLIX. — Comment vérité, charité et loyauté,
FOY ET CREANCE FONT AU JOUR d'UY
LE CONTRAIRE DE LEURS NOMS 167
DGGCGL. — Sur prodiges et corps monstrueux. . 168
DCCCCLL — Sur un saint corps miraculeux comme
uns loups..... 170
DCCCGLII. — Sur gouverneurs, baillis et senes-
CHAULX I7I
DCCGCLIII. — On ne peut être aimé de tous 173
DGCCGLIV. — Sur envie et povreté 175
DCCGCLV. — Parlant d'un monstre nommé Mino-
taurus 176
DCCGCLVI. — Précautions que doit prendre un
prince avant d'entrer en campagne. 179
DGCCCLVII. — Balade qui parle des estraines du
jour de l'an 1 8 1
DCCCCLVIII. — Comment le chief se duelt de ses
membres. — Demande de garder le
chaperon sur la tête i83
DCCCCLIX. — Ce qui est violent ne dure pas 184
DCGCGLX. — Amoureuse. — A une dame 186
DGCGCLXI. — Balade faicte par Eustace sur la-
mutacion du ciel et de la terre et
comment Lucifer trébucha en enfer
par son orgueil et grant presump-
cion. — Double chançon royal 1 88
DCCCGLXII. — Il faut tenir sa parole 192
DGGCGLXIII. — Danger d'aimer en trop haut lieu.... 193
4^4 BALADES
DCCCCLXIV. -— Que chacun cherche son refuge...... ig5
DGCGGLXV. — Comparaison d'un homme vieux avec
une vieille selle de cheval 196
DCGCCLX VI. — Sur les serviteurs 1 gg
DCCCCLXVII. — On n'est connu qu'après sa mort.... 200
DCCGCLXVIII. — Des perilz qui sont a suir la court. 202
DGGGGLXIX. — Vanité de la vie humaine 204
DCCCGLXX. — Sur l'estat moyen 2o5
DGGGCLXXI. — Sur la court celestial 207
DCCCCLXXII. — En alléguant Boece, de consolacion,
COMMENT IL FUT MOULT CONSTANT EN
TRIBULACION ET DE GRANT RECONFORT. 20g
DCCCCLXXIII. — Sur les estaz moyens et qu'ilz sont
LES PLUS SEURS 211
DGCGCLXXIV. — Amoureuse. — Souvenir à une dame. 212
DGGCGLXXV. — Injures contre une femme qui l'avait
trahi 214
DCCCGLXX VI. — Morale. — Contre le mariage 216
DGCGCLXXVII. — La complainte d'un gentil homme
marié en aage moien, faicte par Eus-
tace par maniere de balade 2 i 7
DCCGCLXXVIII. — Comment le chief se plaint moult
DUREMENT DE SES MEMBRES I C'EST AS-
SAVOIR l'église 219
DGCCCLXXIX. — Contre l'arithmétique 221
DCGCCLXXX. — Touchant le royaume des François.. 222
DCGCGLXXXI. — Du diluge et comment les quatre
citez fondirent. — Prédiction d'une
révolution prochaine 224
DCGGCLXXXII. — De luxure et d'orgueil. -— Le monde
approche de sa fin 226
DCCCGLXXXIII. — Comment toute terre qui a vaines
d'or et d'argent se doit moult amer
et chierir et reclamer plus que
Dieu, car nous laissons Dieu pour
acquerir l'or et l'argent 227
DCCCGLXXXIV. — Comment les flours naissent. — Sur
un manuscrit qu'on lui avait pris.. 229
DCCGCLXXXV. — Sur la division de l'Eglise 23o
DGCGCLXXXVI. — Tout est fondé sur convoitise 232
DCCCCLXXXVII. — Morale sur le conseil du roy 234
DCCGCLXXXVIII. — Le monde va de mal en pis 235
DGCCCLXXXIX. — Il faut penser à la mort. . , 237
DGCCCXG. — De l'amour que homme aajeunesce.. 23g
TABLE DES MATIÈRES 425
DCCGCXGl. — Comment nulz homs ne se doit es-
BAH1R DE CHOSE QU'lL VOYE 24O
DGCCCXCII. — Sur les granz estaz 242
DCCCCXCIII. — Comment on honoure au jour d'ui
PLUS L'ABIT QUE LE PORTEUR û'iCELLUI 244
DCCCCXCIV. — Contre l'orgueil 245
DCCCCXCV. — On ne parle plus que d'argent 246
DCCCCXCVI. — Il faut des e'poux assortis 248
DCCCCXCVII. — Sur le bon temps passé 249
DCCCCXCVIII. — Même sujet 25o
DCCCCXCIX. — Contre les mécontents 2Ô2
M. — Sur l'office des huissiers d'armes 253
MI. — Il faut apprendre en tout temps 255
Mil. — 11 faut penser à la miséricorde de Dieu. 256
MIII. — DE LA GLOIRE DES ROYS 258
MIV. — Heureux sont ceux qui n'ont pas
d'enfants ! 25g
MV. — Misères du temps présent 261
MVI. — Comment tous roys et princes se doi-
vent FAIRE DOUBTER ET OBEIR EN
TOUS CAS ( i) 263
MVII. — Sur l'estat de cest monde 265
MVIII. — Amoureuse 267
MIX. — Sur pastours qui estoient entre Da-
MERY ET ESPARGNAY 2Ô8
MX. — Dumauvaisgouvernementduroyaume 271
MXI. — Comment les bestes ensuivent mieulx
LEUR LOY ET CONGNOISSENT LEUR NA-
TURE QUE LES HOMMES 2"]1>
MXII. — Balade qui parle sur l'estat de re-
ligion 276
MXIII. — On hait les gens de justice 278
MXIV. — Causes de la destruction du royaume. 27g
MXV. — Il faut récompenser les bons serviteurs 281
MXVI. — L'humilité des grands attire le coeur
des petits 282
MXVII. — Le bon sens n'est pas à la cour 284
MX VIII. — Il fait bon d'être loin de la cour ' 285
MXIX. — Tout se détruit dans le monde 286
MXX. — Sur ce qui doit advenir [1 392] (2). . . . 288
(1) Même ballade que le numéro CCXCVI, tome II, page 154.
(2) Même ballade que le n° LXXXI, tome I, pages 183-184.
426 BALADES
MXXI. — Conseil de fuir la cour 28g
MXXII. — Dialogue entre deux voleurs 2g 1
MXXIII. — Eloge de la tranquillité d'esprit 292
MXXIV. — Contre Jehan de Saint-Symon 294
MXXV. — Contre quatre mauvais sujets 295
MXXVI. — Dialogue 297
MXXVII. — Sur l'office que Deschamps remplit à
la cour 298
MXXVIII. — Il vaut mieux coucher seul qu'à deux. 3oo
MXXIX. — Sur la défense, faite par le médecin,
d'assister au repas du roi, au châ-
teau de Beauté 3o2
MXXX. — Cupidité des gens de cour 3o3
MXXXI. — Assaut de politesse 3o5
MXXXII. — Comment il faut aimer 3o6
MXXX1II. — Conseils pour réussir à la cour 3o8
MXXX1V. — Ainsi va le monde 309
MXXXV. — Sur sa maie chance, au sujet d'un
accident à la jambe 3 1 1
MXXXVI. — Sur les ennuis de sa charge de Bailli
de Senlis 3 1 3
MXXXVII. — Voyage des princes en Lombardie... 3 14
MXXXVIII. — Requête de Deschamps au pape, afin
d'obtenir un canonicat pour son fils,
Gillet Deschamps 3 16
MXXXIX. — Plaintes de l'Amant (i)....r 3 18
MXL. — Sur le départ du Roi 319
MXLI. — Prophecie des doulours qui sont ad-
venir.. 320
MXLII. — Deschamps se plaint que ses valets
dépensent trop d'argent 324
MXLIII. — Ballade amoureuse 325
MXLIV. — Chacun fait ce qui lui plaît 326
MXLV. — Que Dieu ait pitié de nous ! 328
MXLVI. — Prophétie de Sybille 329
MXLV1I. — Les maîtres de Deschamps 33 1
MXLV1II. — 11 vaut mieux coucher seul qu'à deux (2) 332
MXLIX. — Allégorie à la vigne 334
ML. — A une dame 335
MLl. — Ballade amoureuse 336
(1) Même ballade que le n° DXXX1 V, tome III, pages 372-373.
(2] Même ballade que le n° MXXVIII, pages 3ooet 3oi.
TABLE DES MATIÈRES 427
MLII. — L'amour est aveugle 338
MLIII. — Sur son éloignement d'une dame qu'il
aime 340
MLIV. — Chançon baladée. Amoureuse 341
MLV. — Autre chançon baladée. Sur les mœurs
du temps présent 343
MLVI. — Dialogue entre la tête et le corps ..... 344
MLVII. — Allégorie 346
MLVIII. — Sur les vices du temps 348
MLIX. — Préparatifs pour passer en Angleterre
[1 386- 1387] 35o
MLX. — Même sujet [1386-1087] 35 1
MLXI. — Allusion politique à un jeu de quilles. 353
MLXII. — Il faut toujours mentir 354
MLXIII. — Deschamps renonce à corriger les gens. 356
MLXI V. — Ballade amoureuse 357
MLXV. — Mendiant d'amour 358
MLXVI. — Le monde ne se corrige pas 36o
MLXVII. — Récit d'une aventure galante 36i
MLXVIII. — Injures 362
MLXIX. — Heureux qui est aveugle, muet et sourd 364
MLXX. — Des moyens de parvenir à la cour... 365
MLXXI. — Questions et réponses 367
MLXXII. — Le monde doit bientôt finir 370
MLXXIII. — Même sujet 371
MLXXIV. — Que la paix soit rendue au monde et
à l'Église 373
MLXXV. — Danger d'une révolution prochaine.. 374
MLXX VI. — Devoirs des bons serviteurs 376
MLXXVII. — Tout finit 377
MLXXVIII. — Il ne faut jamais mentir 38o
MLXXIX. — Sur les gens qui volent le trésor royal. 38i
MLXXX. — Qui veut s'élever trop haut, tombe.. 383
MLXXXI. — Les grands états sont dangereux... .. 385
MLXXXII. — Rondeau. Eloge de la médiocrité.... 386
MLXXXIIl. — Autre Rondel. Amoureux 387
MLXXXIV. — Autre Rondel contraire 388
MLXXXV. — Le conseil ne suffit pas, il faut l'exé-
cution 388
MLXXXVI. — Comparaison de l'État avec une tour. 3go
MLXXXVII. -— Dieu punit le peuple qui pèche 3g2
MLXXXVIII. — Tout se détruit 394
MLXXXIX. — Il faut penser à son salut 3q6
MXG. — Chacun va à sa fin .... • 397
428 TABLE DES MATIÈRES
MXCI. — Ce que Justice devrait être à la cour. 399
MXCU. — La loyauté ne se trouve pas à la cour. 400
MXGIII. — Qui veut tuer son chien l'accuse de
la rage 402
MXCIV. — Contre les menteurs 403
MXCV. — Contre les généraux de finance 405
MXCV1. — Contre la fausseté des gens de cour.. 407
MXCVII. — Sur les vices du temps 408
MXCVIII. — La richesse arrive trop tard 410
MXCIX. — Heureux l'homme qui est indépen-
dant 4i3
MC. — Devoirs des princes 414
Table des matières du cinquième volume 416
Table alphabétique des refrains des ballades dans le cin-
quième volume 426
TABLE ALPHABETIQUE
DES
REFRAINS DES BALLADES CONTENUES DANS CE CINQUIÈME
VOLUME
Adieu Paris, adieu petiz pastez ! 5 1
A dire voir, c'est pour quoy nous amons 3o6
Advise cy toute noble personne 179
A grant moqueur fault grande moqueresse 5o
Aies sur ces poins ton advis 143
Ainsi seront tuit mignez mes quevaulx 69
Ainsi va chascun a sa fin 397
Ainsis cilz mondes se demaine. , 265
Ainsis va des choses du monde 309
Aise sont ceulx qui n'ont ne filz ne fille 259
Ait homs toudis bonnes mains, bonne bouche. 38o
Alez a Dieu, l'aumosne est faicte 358
Alez disner, ce dit maistre Regnault 3o2
Amour n'y voy fors l'amour de Renart .'. 34
Ancor est Dieu ou il souloit 252
Ancre, cire, pappier et parchemin 18
Aussi tost vient a Pasques limeçon 1 1 5
B
Bon fait sanz court vie et chevance avoir 202
Bon temps, ne revendras tu mie ?.. 149
Bonne et belle, gracieuse et courtoise * 267
43o
BALADES
Car, chascun jour, meschiet il qui que soit 3 1 1
Car de telz dons voy po joir nullui 192
Car Dieu partout pugnit peuple qui pèche 392
Car en tous fault que jonesse se passe ! 212
Car nulz ne veult fors que parler d'argent 246
Car on ne het fors les gens de justice 278
Car quant avoir vient et corps fault 410
Car tout le monde me fait guerre 157
Car un chascun fait du sien a sa guise 326
Car vostre amour trop fort au cuer me touche 1 07
C'est Alixandre le poing clos 49
C'est beau gieu, mais qu'om ne te voie ! 291
C'est ce qui destruit les provinces 279
C'est de dancier au son des chalemiaulx 127
C'est droitement Jhesus sur une pelé 9
C'est grant péril que de tant amer l'or 227
C'est li règnes de paradis 207
Ceuls de Brie la mousse aux Champenoys 84
Char a espée au jour d'uy ne vault rien 1 g3
Char a espée ne vault rien 160
Chiere dame qui n'avez vo pareille 335
Com viel roucin, mourir a la Saussaye 91
Congié, pour Dieu, d'avoir noz chaperons ! 1 83
Congnoissance se tient trop pou a court 284
Convoitise déçoit et foui et saige 73
Corps, doulz amis, dy moy donc que feray ge ? 344
Crions mercy, demandons grâce et paix ! 256
D'acort commun a Rodelinguehem , 67
De ces trois bons ne vueil nul retenir 82
De deux celles le cul a terre 383
De faulx parler et de mauvaise envie 181
De jour en jour vo beauté renouvelle 186
De mentir, puisqu'on! me ment 83
De mes seigneurs d'Anjou et de Bourgongne 42
D'escrevice, qui en alant recule 35o
Des or me fault jouer a l'esbahi ^4
TABLE ALPHABÉTIQUE 43 I
D'estre monarchie muée 224
De tous ces maulx est servie Vertus 17
De voluntiers tenir vostre promesse 121
Dieux gart les veaulx de Veucquessin 41
Dieux nous vueille garder et Nostre Dame ! 204
Dieux nous vueille tous getter de ta main 168
Donnez leur l'ordre du cordier 1 o3
Dont grant doleur vendra prouchainement 374
Durer ne peut royaume sans justice (1) » 2Ô3
Du temps qui court ay grant merveille 273
E
En disant : « A ce coup la quille! » 353
En cel estât puis bien servir le roy 29
En jeusne amour ne se doit nul fier 239
En tous estas et par tous les pais 209
En tous temps fait bon couchier a par soy 3oo
En tous temps fait bon couchier a par soy (2) 332
Entra vous, roys, a ces poins advisez 222
Envie est en cloistre et en court 175
Es grans cours n'a siège qui soit certains 242
Est il saiges qui ainsi s>e marie ? 63
Et a tous ceuls qui ont pou de cheveulx 46
Et ce sçavoir nous fait Expérience 200
Et comment feray je, comment? 145
Et de putain ne face ja grenier. 118
Et lors doivent monarchies changier « 329
Et panduz soit qui ainsi m'assena! 27
Et par ce convient que tout fonde 234
Et qui sont il? — Ce sont li gênerai 405
Et se je fail je doy bien dire : Helas! 61
Et si n'est nul qui en ait congnoissance ,. 370
Eustace dit que c'est folie 129
Excusez vous par le conseil d'Eustace 62
F
Faittes du pis que vous pouez 356
(1) Même ballade que le n° CCXCV1, tome II, page 1 54.
(2) Mêmes ballades.
432
BALADES
Faictes sur ce vo jugement 294
Faisons le bon plant aluchier iï>6
Fors bouche a court, senz riens mettre dedens 12
G
Gardez vos brebis pour les leux 346
Garnissez vous avant qu'iver vous fiere 98
Geline, oe, ne poucin ne chapon 88
G'y renonce ; a Dieu les commans ! 3o
Haro ! Haro ! est ce bien gracieuse ? 8
Humilité attrait le cuer des gens.. 282
Hurter ne veult plus a mon huis derrière 78
Il a tousjours eufs ou pigons 81
Il fait trop bon son pain en paix mangier 285
Il me fault coucher sur l'estrain 119
Il me souffist que je soie bien aise 292
Il n'est chose qui ne viengne a sa fin 377
Il n'est doleur fors que le mal des dens 4
Il ne vault rien au jour d'ui qui ne soufle 37
Hz ne cèlent rien l'un a l'autre 295
J
Jamaiz dame forment ne l'aimera 2
Ja ne deissent sur autrui tel goulée 7
Ja sur mon corps n'en cherroit une goûte 1 36
J'aray desor a nom Brûlé des Champs 5
J'ay grant paour qu'om ne me vueille pandre 101
J'ay menti ; je croy que je songe 407
Jehanne? — Nenil. — Le vit ne te veult tendre i32
Je Tay juré, ne m'en parjurray mie 64
Je, Mémoire, scay ce que Dieu fist estre 188
Je me tue et si ne faiz rien.... 36
TABLE ALPHABÉTIQUE 433
Je n'attens riens fors que mort ou mercy 3i8
Je n'en vueil point ; varlet soit il au diable ! 26
Je ne requier fors la paille d'amours 336
Je pri a Dieu que mal feu d'enfer Tarde 22
J'estoie trop mal informez 109
Je suis de paupere regno : 3g
Je suis perduz quant on ne boit de vin 58
Je vien toudis a escourre les napes 75
Je vous di que la gist le lièvre 38
Jusques il ait verificacion 43
Justice fault, loy et honneur, a plain 261
L
Labour des mains et hostel de mesnaige „ . . . . 2o5
La Folie passe le Sens 271
Languir me fault, ma dame souveraine 164
Las! Et de lui si eslongié me voy ! 340
Le crucefis et je n'ont que .11. crois 33
Le mal que j'ay jusqu'après la Toussains g3
L'en leur oste leurs drois de jour en jour 253
Lerres ne croit soy mesmes au jour d'ui 5g
Les autres mois vueil faire ma besongne 33i
Le temps toudis m'est tel comme il souloit 36o
Levez vostre queue, levez ! 48
Lors dis : Oil, je voy vo queue 7g
Ly Dieux d'amours qui me desvoye 338
Ly mondes en sera perdus 147
M
Maint ont granz oeulx et si n'en voient goûte ! 388
Mais a présent n'en suis pas bien d'acort 77
Mais au jour d'ui ne voy régner que vice 142
Mais de paour les voy trambler 35 1
Mais des .vi. ars voy la destruction 152
Mais encor n'est ce pas le bout 162
Mais vous qui me cuidez maudire ! 362
Mal chief fait les membres doloir 276
Mauditte soit la couille de Brugaut ! 1 26
Ment donc toudis et le voir vueilles taire 354
Mes seigneurs, j'oy bien que vous dites. 1 3
T, V 28
434 BALADES
Mieulx que n'a fait Jehannin, varlet Eustace 72
Muez vostre verdeur en vin 334
N
N'autre après lui jamais ne vueil avoir 57
Ne face nul grant largesee d'amours 117
Ne plus que fait une bûche vestue 244
Nostre sire t'a fait grant grâce! 364
Nulz, Dieu mercy, ne me scet riens apprendre 23
Nulz, Dieu mercy, ne me scet riens apprendre (1) 25
On ne puet estre amé de tous 173
Onques ne vi gens ainsi requinier i5
Ont pour déduire les belles 3 14
Or devinez qui ce puet estre 1 70
Or gart chascun qu'il n'y soit atrapé 217
Or ne vueillez vo promesse noier 76
Or quiere chascun son refuge i g5
Or se gart donc qui s'ara a garder 348
Or y pensons toutes et tuit 371
Pardonnez moy se j'ay en riens failli 97
Par faire mal n'aprivois'on pas chien! 281
Par mon conseil, refusez la a tous ! 90
Par vous s'en est tout li bon temps fuis 2 5o
Pensons a la fin pardurable 237
Pensons de nostre sauvement 396
Perdu avons nostre saison 1
Perilleus sont par tout les grans estas 385
Pestillence, guerre et mortalité 23o
Plus me voit on, tant suis je moins prisiez 124
Pou dure chose violent 184
Pour ce hair doit chascun Mauregart 100
(1) Mêmes ballades.
TABLE ALPHABÉTIQUE 435
Pour ce mist Dieux en gros corps petit cuer 21
Pour ce ne doit nulz homs amer poulain g3
Pour ce que foui ne doubte jusqu'il prant 289
Pour ce te pri, gardes bien ou tu vas ! 6
Pour ce vous lo porter queue Je martre 55
Pour l'amour Dieu, envoiez moy requerre 3 1 3
Pour un perdu j'en ay deux retrouvez ! 10
Pour quoy mist Dieux grant cuer en povre pense ? 20
Prions a Dieu que vers nous se rapaise!. 328
Puis que je voy vouloir régner la lune i65
Qu'a grant paine sont gent de court loyaulx ! 400
Qu'ainsi est il pieça prédestiné 288
Quant me souvient du doulz département 325
Quant on baille, je faiz des crois 298
Quant régner voy le mendre des .vu. ars 1 5o
Quant revendra nostre roy a Paris ! 122
Que ce semble le ris d'un cardinal 14
Que grant proufit de la court vous venrra 3o8
Que la dance est durement retournée 235
Que le monde approuche sa fin 226
Que mon cuer noyé en larmes et en plours 357
Que pour noz maulx la fin du monde approche 167
Que prandre rumoreus n'yvrongne 199
Que telz porte l'abit de hault parage 245
Qu
Qu
Qu
Qu
Qu
Qu
Qu
Qu
Qu
Qu
ces pilliers et leur nature sent 3go
en tout temps ne doye bien aprendre 255
fuit toudis treuve bien qui le chace io5
ne craint Dieu et justice, il a tort 258
onques vit corps de telle façon. . . . , 32
s'appelle l'ordre de la Baboe 134
se marie, il est foui, ce me semble 216
son chien het on lui met sus la raige 402
voit gens armez, chascun fuit 268
voulsist bien ceste conclusion 176
R
Ramenez moy deux couples de Bretons 66
Reformez paix au monde et en l'Eglise 373
436 BALADES
Régner ne voy fors l'art d'arismetique 221
Remède nul n'y a que boire fort 1 3o
Restraingnons ; si ferons que saige 1 53
Ribaut, trop avez de langaige ! 1 1 1
S
Sages est cilz qui ainsy se marie 248
Saichiez qui a mangié le lart! 38 1
Saiges est cilz qui tel service fait 376
S'ainsi le pers, c'est trespovres consaulx 229
Serfs gouverneurs, seneschaulx et baillis 171
Serve Dieu, face sa besongne 211
Servir a Dieu, bien régner lui souffise 41 3
Si grant faiseur ne si noble poète 53
Si je di voir, ne cuidiez que je songe 4o3
S'il ne revient, a tousjours languiray 3 19
Si prira Dieu pour vous ledit Eustace 94
Sire, souviengne vous de moy 3o3
Subgiez tiennent tous les offices 148
T
Tais toy ; les dens devant sont bons i5g
Tant qu'elle dist : a Fuy de cy, tu me blesces. » 36 1
Tant qu'il ne m'est demouré croix ne pille 324
Te!z homs doit bien son Dieu remercier 412
Tousjours fault ouvrer en viez selle 196
Tous les diables vous aiment par amours 214
Toutes vertus au jour d'ui se déclinent 219
Tout est fondé sur pure convoitise 232
Tout fu et tout sera autruy 240
Tout se destruit et ne scet on comment 3g4
Tout se destruit, rien n'est qui me conforte 286
Tout va ce que dessoubz dessus 86
Tout yra bien. — Et quant? — L'autre sepmaine 408
Trop me faites dure responce 297
Tu deusses tout faire trembler 3g9
Tu es foui, pran une massue i38
Tu porteras ma bannière 4^
TABLE ALPHABÉTIQUE 46*]
U
Un esprevier qui prant vielle perdris 71
V
Va a la cour et en use souvent 365
Vielle d'avoir, riche de cinquante ans 70
Voler, chacier, jouster et tournoier n3
Vous ne passerez plus avant 3o5
Vous n'estes pas sur Grant Pont a Paris (1) 14°
Vueillez lui faire vostre grâce 3 1 6
Chançons baladées.
Advisez tuit a ma dolour 343
Je n'ay leesce ne confort 341
Prophecie.
L'an de dolours et de reprouche 3îo
Questions et responces.
Gens qui ne partent d'une place 367
Rondeau équivoque.
Grant foleur fait qui se marie 140
Rondeaux.
Ne désire nulz les hauts lieux 386
Ne prenez pas char a espée 162
(1) Même ballade que le numéro LX11, tome I, page 1 56.
438 BALADES
Rondel.
Puisque Soûlas. Joie et Déduit ,....; «.»..». »*t*..* 387
Rondel contraire.
Doleur, Paine, Ennuy et Tristesse ... 388
Rondel équivoque.
Il convient le fol foloier *3g
Publications de la Société des anciens textes français.
(En vente à la librairie Firmin Didot et Gie, 56, rue
Jacob, à Paris.)
Bulletin de la Société des anciens textes français (années 1875 à 1886).
N'est vendu qu'aux membres de la Société au prix de 3 fr. par année, en pa-
pier de Hollande, et de 6 fr. en papier whatman.
Chansons françaises du xv* siècle, publiées d'après le manuscrit de la Biblio-
thèque nationale de Paris, par Gaston Paris, et accompagnées de la musi-
que transcrite en notation moderne par Auguste Gevaert (1875). Epuisé.
Il reste quelques exemplaires sur papier Whatman, au prix de.... 37 fr.
Les plus anciens Monuments de la langue française (ix«, xe siècles), pu-
bliés par Gaston Paris. Album de neuf planches exécutées par la photogra-
vure (1875) 3o fr.
Brun de la Montaigne, roman d'aventure, publié pour la première fois d'après
le manuscrit unique de Paris, par Paul Meyer (1875) 5 fr.
Miracles de Nostre Dame par personnages, publiés d'après le manuscrit de
la Bibliothèque nationale de Paris, par Gaston Paris et Ulysse Robert.
t. I à VII (1876, 1877, 1878, 1879, 1880, 1881, 1882), le vol 10 fr.
Guillaume de Paterne, publié d'après le manuscrit de la bibliothèque de l'Ar-
senal à Paris, par Henri Michelant (1876) 10 fr.
Deux Rédactions du roman des Sept Sages de Rome, publiées par Gaston
Paris (1876) 8 fr.
Aiol, chanson de geste publiée d'après le manuscrit unique de Paris, par
Jacques Normand et Gaston Raynaud (1877) 12 fr.
(Ouvrage couronné par l'Académie des inscriptions et belles-lettres.)
Le Débat des Hérauts de France et d'Angleterre, suivi de The Debate be-
tween the Heralds of England and France, by John Coke, édition com-
mencée parL. PANNiERet achevée par Paul Meyer (1877) 10 fr.
Œuvres complètes d'Eustache Deschamps, publiées d'après le manuscrit de la
Bibliothèque nationale par le marquis de Queux de Saint-Hilaire, t. I,
II, III, IV et V (1878, 1880, 1882, 1884, 1887), le vol 12 fr
Le Saint Voyage de Jherusalem du seigneur d'Anglure, publié par François
Bonnardot et Auguste Longnon (1878) 10* fr.
Chronique du Mont-Saint-Michel (1343-1468), publiée avec notes et pièces
diverses par Siméon Luce, t. I et II (1879, i883), le vol 12 fr.
Élie de Saint-Gille, chanson de geste publiée avec introduction, glossaire et
index, par Gaston Raynaud, accompagnée de la rédaction norvégienne tra-
duite par Eugène Koelbing {1879) 8 fr.
Daurel et Béton, chanson de geste provençale publiée pour la première fois
d'après le manuscrit unique appartenant à M. A. F. Didot par Paul Meyer
(1880) 8fr.
La Vie de saint Gilles, par Guillaume de Berneville, poème du xn« siècle, pu-
blié d'après le manuscrit unique de Florence par Gaston Paris et Alphonse
Bos (1 «Si) 10 fr.
Raoul de Cambrai, chanson de geste publiée par Paul Meyer et Auguste
Longnon (1882) i5 fr.
Le dit de la Panthère d'Amours, par Nicole de Margival, poème du xin« siè-
cle, publié par Henry A. Todd (i883) 6 fr.
Les œuvres poétiques de Philippe de Rémi, sire de Beaumanoir, publiées par
H. Suchier, t. I-II (1884-85) , 25 fr.
Le premier volume ne se vend pas séparément ; le second volume seul i5 fr.
La Mort Aymeri de Narbonne, chanson de geste publiée par J. Couraye du
Parc (1884) 10 fr.
Trois versions rimées de l'Evangile de Nicodème publiées par G. Paris et
A. Bos(i885) 8 fr.
Fragments d'une vie de saint Thomas de Cantorbery, publiés pour la pre-
mière fois d'après les feuillets appartenant à la collection Goethals Vercruysse,
avec fac-similé en héliogravure de l'original, par Paul Meyer (i885).. 10 fr.
Œuvres poétiques de Christine de Pisan, publiées par Maurice Roy, t. 1
(1886)........ 10 fr.
Le roman de Merlin, p. p. MM. G. Paris et J. Ulrich, t. I et II (1886) 20 fr.
Le Mistére du Viel Testament, publié avec introduction, notes et glossaire,
par le baron James de Rothschild, t. I, II, III, IV et V (1878, 1879,
1881, 1882, i885),levol , 10 fr.
{Ouvrage imprimé aux frais du baron James de Rothschild et offert
aux membres de la Société-J
Tous ces ouvrages sont in-8°, excepté Les plus anciens Monuments de la
langue française, album grand in-folio.
Il a été fait de chaque ouvrage un tirage sur papier Whatman. Le prix des
exemplaires sur ce papier est double de celui des exemplaires en papier ordi-
naire.
Les membres de la Société ont droit à une remise de 2 5 p. 100 sur tous les
prix indiqués ci-dessus.
La Société des Anciens Textes français a obtenu pour ses pu-
blications le prix Archon-Despérouse,' à l'Académie française, en
1882 , et le prix La Grange, à V Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres y en i883.
Le Puy. — Imprimerie de Marchessou fils, boulevard Saint-Laurent, 23.
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